Interview faite par mail par Boris

Fort d'un premier album en 2012, le bien nommé "Al Azif", les Bordelais de The Great Old ones reviennent cette année avec un deuxième album tout aussi puissant et énigmatique. Puisant une fois de plus son essence chez Lovecraft, "Tekeli-li" est un concept album tiré de son œuvre "Les Montagnes sacrées". L'occasion d'en savoir plus sur les sombres manigances de ses apôtres de Cthulhu avec Jeff (guitare / chant) qui nous en apprend un plus sur le maître de l'horreur et son influence, mais aussi sur les secrets du son particulier, aquatique et viscéral du groupe. Croyez-moi, The Great Old Ones c'est tout un art !

Salut à toi Jeff et merci de répondre à mes questions pour French Metal. Tout d'abord, une petite présentation s'impose, comment est né TGOO ? Votre musique assez atypique semble être la rencontre d'individualités venues d'univers musicaux différents, je me trompe ?

Jeff (guitare / chant) : A la base TGOO est un projet de Ben. Un jour en allant à une répétition de mon ancien groupe, j’ai vu une annonce "cherche musicien pour projet black". Vu que je connaissais Ben depuis longtemps et que je suis fan de ce style j’ai tout de suite répondu. Par la suite, j’ai contacté Léo que j’avais vu dans d'autres projets. Je le trouvais excellent, nous avons fait la première répétition à 3 et j’ai tout de suite senti une certaine osmose. Nous avons passé une annonce sur le net pour chercher un guitariste et un bassiste. Rapidement nous avons pu tester Xavier et Seb. Nous avons sorti le premier album "Al Azif" en 2012 et les retours ont été très favorables. Là nous venons de sortir le second "Tekeli-li" qui est un album concept sur "Les Montagnes Hallucinées" de HP Lovecraft. Il est vrai que nous venons d'univers différents :
- Xavier à l’époque jouait dans un groupe de HxC metal,
- moi-même dans un délire de metal instru psyché et un projet acoustique,
- Leo fait du funk, du jazz et du grind,
- Ben avait un groupe de hxc screamo,
- Seb dans le blues.
Donc oui l'univers est varié et justement je pense que ça apporte beaucoup de musicalité dans le groupe.

Rares sont les groupes à imposer une véritable personnalité. Saviez-vous de quelle manière devait sonner The Great Old Ones dès le départ ?
Comme je le dis plus haut, Ben est le compositeur. Il avait déjà une vision bien précise du concept : "Comment cela devait sonner". Nous avons accompli l'aboutissement de son travail. La première fois que j'ai écouté ses compos, je me suis dis "bordel c’est ça que je veux faire".

Aviez-vous des références musicales au départ ?
Toute la scène post black metal et black en général et aussi des groupes comme Neurosis, Cult Of Luna. Mais nous sommes éclectiques, je peux écouter du jazz et finir sur un titre de death metal. Nous ne nous mettons aucune barrière, nous aimons expérimenter et nous remettre en question, je pense que c'est très important pour un artiste.

Peux-tu me parler de la conception de votre premier morceau ?
Le premier titre que j’ai reçu est "Al Azif", Ben m'a envoyé ma partie guitare et je l’ai écoutée et bossée avec cubase. En fait nous travaillons comme ça, chacun a sa partie à bosser chez lui et après on travaille le tout en répétition.

On sent une véritable recherche au niveau de votre son à la fois organique et très onirique. (Personnellement, quand je vous écoute j'ai l'impression de nager dans un lac de viscères...) De quelle manière l'aviez vous envisagé et travaillé ?
Oui, voilà, j’ai aussi cette impression du moins pour le lac, les viscères beaucoup moins. Nous travaillons les ambiances avec des réverbs et des delays pour avoir ce côté lac comme tu dis. Bien sûr nous composons à 3 guitares, donc un panel élargi pour l’harmonie pour avoir vraiment l'impression de naviguer sur des eaux menaçantes mais captivantes. Le danger peut apparaître à tout moment mais aussi la lumière, du moins un petit fil de lumière.

Les Acteurs de l'Ombre font un travail remarquable pour vous. De quelle manière en êtes-vous venus à collaborer ensemble ?
Nous avons partagé des préprods sur des forums et webzines et Gérald des Acteurs de L'Ombre est tombé dessus. Il a tout de suite aimé et a pris contact avec nous. Ils font un travail remarquable, de la promo jusqu'aux sorties CD vinyl box. Ils ont un amour pour les beaux objets. Pour "Tekeli-li", nous avons sorti l'abum en 3 objets, un digipack, un LP et une box limitée avec des artworks différents, ainsi que le livre "Les Montagnes Hallucinées" illustré par moi-même. Je suis vraiment très fier de bosser avec eux !!



Votre univers est inspiré du très complexe auteur américain Lovecraft. S'il n'est pas un inconnu, je préfèrerais que tu m'en parles avec tes mots et ce qu'il t'a inspiré ?
C'est un des premiers auteurs fantastiques que j’ai lu. J’ai commencé par l'affaire Charles Dexter Ward qui fut pour moi une révélation. Par la suite j’ai lu toutes ses œuvres. C'est le grand maître de l’horreur du début du 20e siècle. Il a touché un grand nombre d'artistes dans le metal, la musique en général, mais aussi dans le cinéma et la peinture. Je suis vraiment très influencé par son œuvre. Ce qui me plaît dans le travail de Lovecraft, c'est tout d'abord la dimension cosmique des dieux et démons qu'il met en scène. Ces êtres sont organiques mais d'un niveau de conscience supérieur à l'homme, ce qui fait de ce dernier un spectateur muet et impuissant au milieu d'une guerre que se font ces puissances depuis le commencement des temps. La deuxième chose qui me passionne est que Lovecraft fait très souvent état d'univers parallèles, de contrées oniriques et de mondes multidimensionnels. Pour un auteur, autant que pour un lecteur cela devient inévitablement une source d'inspiration inaltérable.

Comptez-vous construire votre discographie uniquement à partir de son œuvre ?
Pour le moment oui mais le futur peut changer les choses.

Quelle est la différence de concept entre votre premier album "Al Azif" et le dernier "Tekeli-li" ?
Le premier parle en globalité de l’oeuvre de Lovecraft, le deuxième est un concept album sur "Les Montagnes Hallucinées".

Vu la qualité de votre premier album et l'accueil positif qu'il a reçu, votre deuxième album était très attendu. Avez-vous ressenti une certaine pression lors de sa composition ?
Bien sûr, la pression est grande dans la création d'une œuvre, on peut toujours se dire c'est peut-être le mauvais choix et justement c’est important d'avoir une certaine appréhension pour la composition. Cela peut être un facteur de motivation.

Comment le décrirais-tu par rapport à "Al Azif" ?
Puissant, planant, onirique, inquiétant, abstrait, plus abouti que le premier.

Les titres longs ne vous font pas peur à l'image du titre "Behind The Mountains" qui fait 17 mn !!!..., ce qui est plutôt rare dans le metal extrême. Comment en êtes-vous arrivés là ? Était-ce prémédité, ou est ce un morceau qui imposait une telle durée ?
Cela nous semble normal, et pour notre style je pense que c’est judicieux. En effet, c’est un morceau qui a été écrit par Ben, bien pensé donc très abouti. D’ailleurs, je ne trouve pas que cela soit rare que des morceaux soient longs dans le metal, puisqu’il y a beaucoup de groupes qui pratiquent de cette manière. Regarde par exemple un groupe comme Neurosis, qui depuis très longtemps fait cela et je pourrais t’en citer des tonnes.

Vous portez beaucoup d'attention aux ambiances, tu me parlais du travail sériel de Steve Reich qui vous aurait inspiré. Peux-tu m'en dire davantage ?
Alors il n’a pas vraiment inspiré le groupe, on en a parlé la dernière fois avec toi quand je parlais des couches harmoniques du fait de l'utilisation de 3 guitares. De la juxtaposition des mélodies qui emmènent vers une autre mélodie fantôme. Sur le premier, des gens pensaient entendre des claviers alors qu'il y avait 0 clavier, mais c est aussi dû à la réverb et au delay.M ais pour revenir sur Steve Reich, il a une démarche intéressante de faire passer en continu deux boucles du même son, jouées simultanément au départ, puis de les accélérer progressivement l'une par rapport à l'autre. Il a fait ça avec des orchestres, à chaque écoute j'entend des choses nouvelles, c'est pareil pour certaines parties dans THE GREAT OLD ONES.



On vous étiquette "post black" du fait que vous ne respectez pas vraiment de "code". D'après toi, considères-tu l'esprit de TGOO comme black ?
C'est juste une étiquette, cela n'a pas trop de sens pour moi, on fait une musique sombre point barre. Je considère la musique de TGOO comme un long trip d'acide avec Cthulhu et ses potes.

Vous avez pas mal tourné déjà ! Ça donne quoi TGOO en concert ?
Nous utilisons des lights de certaines couleurs pour rendre une ambiance pesante et dramatique, ainsi que de la fumée pour simuler le blizzard. Nous avons un code vestimentaire noir mais bien sûr nous n’utilisons pas de corpse paint. Nous essayons de faire un show le plus intense possible de manière que le public s’imprègne des ondes négatives du maître de l’horreur.

Le 15/05/14 vous avez joué l'intégralité de "Tekeli-li" près de Bordeaux. Comment ça s'est passé ?
Cela s'est super bien passé, il y a eu beaucoup de monde, ce fut une expérience enrichissante. Ce fut aussi très physique, avec les lights et la fumée non stop la chaleur était intenable sur scène mais ce sont les risques du métier !

De quelle manière allez-vous défendre "Teleli-li" à présent ? Une tournée de prévue ?
Nous jouons le 25 Juin à Toulouse (le Connection) avec Kylesa, le 3 Juillet au Under The Black Sun 2014 en Allemagne, le Motocultor en Août.

En t'occupant des visuels de TGOO, je pense que ça renforce l'identité de TGOO. Peux-tu me parler de ton travail d'artiste, et de la conception de la pochette de "Tekeli-li" ?
Je dirais que je fais un art bipolaire : d’un coté un dessin minutieux avec beaucoup de détails, de l’autre une peinture que l’on va dire plus classique avec beaucoup de couches et superpositions de peintures et de couleurs. Mon travail en noir et blanc se déroule avec un feutre et de temps en temps crayon à papier. C’est un style qui peut se rapprocher du tatouage ou du pointillisme. Pour mes projets en couleur je bosse à la peinture à l’huile c’est souvent plus abstrait et mouvant. Les peintures pour "Tekeli-li" sont à l’huile, je me suis très vite imprégné des "Montagnes Hallucinées", j'ai trouvé rapidement les formes et les couleurs, en peignant en plusieurs couches, je trouve que c'est à la limite de l'abstrait ; je ne voulais pas faire une pochette clichée comme 80 % des sorties metal actuelles.

Quelles sont tes références en la matière ?
Oui, j’ai bien sûr des influences qui sont très variées, ça peut aller du surréalisme en passant pas l’art nouveau ou l’art brut. C’est très vaste, je suis intéressé par toute forme d’art. Mes projets sont de continuer à faire les artworks pour mes groupes et progresser en tant qu’artiste, et bien sûr faire des covers pour d’autres groupes. J’ai aussi l’intention de faire une série de portraits sur le cinéma et la littérature. J’ai déjà commencé à faire Hitchcock et Poe.

Quels sont vos albums de chevet ?
En ce moment j'écoute le dernier Worship (funeral doom) sinon Wovenhand (folk) qu' il me tarde de voir en live d'ailleurs. J'aime beaucoup le dernier album de Inter Arma "Sky Burial", un mélange de prog black sludge, je conseille le titre "The Long Road Home", ou comment mélanger du Floyd avec du black metal. J'écoute aussi beaucoup de classique, surtout le mouvement de musique minimaliste comme Arvo Pärt, Steve Reich, Philip Glass.

Je te remercie et chapeau bas pour cet excellent album !! Je te laisse le dernier mot pour nos lecteurs.
Merci pour cette interview ainsi qu’aux fans qui nous supportent.


Le site officiel : www.thegreatoldonesband.com