Interview faite par mail par Murderworks

Salut les gens, avant d'aborder la sortie de "Après Nous Le Silence", j'aimerais revenir sur le titre énigmatique de votre premier album "2END757". Puisque vous ne vous contentez pas de proposer des albums concepts qui racontent une histoire différente à chaque fois et que vos albums s'inscrivent dans une démarche globale je me disais qu'il était peut-être intéressant de vous demander ce qui se cache derrière ce titre ?
Victor : Salut ! Alors rien de mystique là-dedans, c’est le tatouage d’identification de mon chien. Mais elle nous a laissé une leçon lourde de sens. Elle est morte devant mes yeux, et des cadavres j’en avais vus, mais là j’ai vu le moment où la vie s’efface, quand le brillant dans les yeux s’éteint. Pas le genre de moment qu’on anticipe en fait. Pas avant, pas après, mais LE moment où la mort fait son job. Une leçon sur la fragilité de la vie, de la souffrance endurée avant d’avoir le droit d’être libéré, que même la plus forte des âmes finit toujours par partir à un moment, on le sait tous, mais s’y confronter c’est autre chose. Elle faisait partie de la famille, de notre univers, alors pour l’honorer et marquer durablement cette leçon, on a décidé de nommer l’album "2-END-757".

D'ailleurs tant qu'on y est, est-ce que le nom du groupe a une signification particulière ?
Victor : C’est une grotte au Japon dans laquelle un Samouraï connu (Musashi Miyamoto) a écrit ses dernières pensées, sa vision du monde et de son art du combat, dans sa philosophie il aborde le néant, la capacité de ne plus ressentir la peur, et ça a radicalement changé son point de vue sur le monde. Aborder la vie sans peur, c’est être capable d’aller plus loin que n’importe qui, assez complexe à bien expliquer mais on est guidé constamment par la peur, quand on réfléchit bien notre quotidien c’est que de la peur, celle de mourir, de vieillir, de se blesser, d’échouer dans son taff, son couple, sa vie, ses projets. Pour garder cette vision du monde, pour pouvoir la partager avec les gens, on a choisi d’appeler le groupe REIGAN-DO, l’orthographe est un peu adaptée pour faciliter la lecture mais l’esprit reste là.

L'idée qui entoure votre musique est intéressante parce qu'elle va plus loin que la plupart des groupes metal ou core, comme eux vous faites un constat amer mais contrairement à la plupart des groupes vous n'en restez pas là. Vous appuyez bien sur le fait que ce constat d'échec n'est pas une fatalité et qu'il n'est que le point de départ, ce n'est qu'une fois que l'on a vu ses erreurs et ses défauts que l'on peut espérer les rectifier. C'est simplement le reflet d'une démarche personnelle ou c'est aussi une façon d'amener un peu d'espoir dans cette période troublée ?
Nicolas : Les deux. Passer ce constat amer, faut aussi pousser les gens à se dire que rien n’est jamais totalement foutu. On sait bien que notre musique ne va pas changer la vie des gens ou révolutionner quoi que ce soit, et on n’est pas des donneurs de leçons, mais si à travers notre musique on peut leur apporter quelque chose de positif autant qu’à nous, on continuera dans cette voie.
Ben : On parle aux gens comme à nous-mêmes, continuer à s’accrocher, à avancer, savoir se remettre en question, c’est valable pour nous comme pour les autres.
Victor : Un moment quand t’as fait le tour du "pourquoi" on est dans cette situation, c’est inutile d’enfoncer le clou encore et encore, ce n’est pas ce qu’on veut. Comme tu as dit c’est aussi un point de départ, quand t’as fait ton constat, que t’es entre le déni et le suicide, faut trouver la force de ne tomber ni dans l’un ni dans l’autre. On a besoin de notre musique pour ne pas sombrer.



Est-ce que la pandémie a eu une influence quelconque sur la création de "Après Nous Le Silence" ? Je pose la question parce que la vague de panique qui a débarqué avec les premiers confinements a poussé pas mal de monde à se montrer du doigt, on a bien vu toutes les tensions sous-jacentes en temps normal s'exacerber d'un seul coup.
Victor : Ouai bien sûr, comme pour tous les groupes, ça a eu un impact technique autant que psychologique. Comme tu dis, ça a exacerbé des tensions qui étaient déjà présentes, on a vu ce que c’était un monde dirigé par la peur… Les gens ont pété les plombs, ça avait une odeur de début de fin du monde.
Ben : On est habitué à travailler à distance étant donné qu’on n’habite pas tous les uns à côté des autres. Dans le processus de composition, ça ne nous a pas trop dérangés. On a par contre fait pas mal de dates chez des gens pendant cette période. On sentait, pour le public comme pour nous, que la musique manquait à beaucoup de monde.
Nicolas : Ça nous a pas mal inspirés on va dire ! Entre les dérogations, le masque etc, on a vu pas mal de comportements différents mais ça a eu un impact, c’est sûr. La frustration, la peur, l’incompréhension, les clivages, l’effondrement de tellement de certitudes… Ça allait de pair avec les thèmes qu’on abordait déjà de base, là, ça nous a juste confortés dans notre vision.

Votre démarche par rapport aux concerts est originale aussi, vous proposez de jouer directement chez les gens qui ont les moyens de vous recevoir. Est-ce qu'on peut quand même espérer vous voir sur scène de manière plus conventionnelle ?
Victor : Alors pour clarifier, quand on parle de moyens, on parle surtout du lieu et de la place, même si comme tout le monde on doit payer l’essence etc, on part du principe que notre musique on la donne avec plaisir et fierté, juste nous défrayer autant que possible parce que c’est limite impossible sans ça. Sinon, bien sûr, on apprécie les concerts conventionnels ! Partager la scène avec d’autres groupes, c'est unique, on fait des supers rencontres. Avoir le retour des gens, et vivre la scène metal en France, ça a ses hauts et ses bas mais ça reste globalement une super expérience.
Ben : On apprécie autant les scènes improvisées chez Monsieur et Madame tout le monde que la scène conventionnelle. Les échanges avec les gens sont différents quand ce sont eux qui t'invitent chez eux mais notre volonté reste la même, tout donner, avec la même intensité.
Nicolas : Le souci c’est que ça devient de plus en plus compliqué de faire des dates sans se ruiner. Au prix de l’essence, ça force à devenir sélectif et limité. Pour des petites dates c’est compliqué de sortir de la région, et même si c’est pas notre délire de courir derrière l’argent ou de faire de la musique pour en gagner, on est obligé de faire l’impasse sur des régions alors qu’on est motivé à bouger.

D'ailleurs je ne sais pas si vous enregistrez en conditions live mais en tout cas, vous prenez soin d'avoir un son organique et chaud, on est très loin des productions sur-compressées que l'on a malheureusement souvent entendues ces dernières années. Vous avez une méthode de travail particulier ou un matériel particulier ?
Victor : On essaie de rester simple dans l’aspect technique et matos. On enregistre tout à la maison, façon micros devant les HP pour guitare, et basse. Batterie en acoustique, avec des micros, rien de fou, aujourd’hui, sans rentrer dans des détails technique lourd, l’utilisation du numérique rend un peu tous les sons "similaires", ça ne nous empêche pas d’en utiliser dans certaines situations mais ce n’est pas le cœur de notre son. On bosse avec un ami proche : BlackSmith Audio, il nous suit depuis le début, et nous a beaucoup appris. Il est derrière une grande partie du son d’"Après Nous Le Silence". On passe pas mal de temps à parler avec lui de nos attentes, de nos besoins etc, même si on garde la main sur notre son et les choix qui doivent être fait pour donner une couleur à un album, on lui fait confiance pour nous guider et nous soutenir.
Nicolas : Je joue sur une batterie un peu plus large que les standards, ça donne un coté plus lourd et moins sec. J’utilise une caisse claire que j’ai fabriquée en DIY, elle donne aussi pas mal de personnalité par rapport aux sons de batterie moderne qui sont souvent fait en MIDI. Le fait qu’on enregistre un peu "à l’ancienne" aide pas mal à donner cette sensation de prod "organique et chaude".
Ben : Pour avoir connu le système classique comme beaucoup de groupes, c'est-à-dire d'aller dans un studio pro, faire mixer ton son par un grand nom, c'est sûr que les conditions ne sont pas les mêmes. Mais elle est, pour nous, plus valorisante du fait qu'on apprend déjà beaucoup par nous-mêmes et qu'une certaine fierté se dégage de ça.

Je sais que vous avez déjà réalisé quelques vidéos mais vu que votre univers a l'air d'aller au-delà de la simple musique aimeriez-vous vous le décliner sur d'autres médias si possible ? J'imagine que ça pose des contraintes de coûts et d'organisation mais est-ce que l'idée vous tenterait ?
Ben : Oui c’est clair que l’idée nous tente, mais comme tu dis, réaliser des supports vidéo c'est pas simple. C'est pas pour rien que c'est un métier mais on accumule au fil du temps et des concerts, des contacts à droite et à gauche qui pour beaucoup nous aident à développer et à promouvoir notre musique sur d'autres supports. Cela prend du temps bien sûr, mais on est ouvert à toutes sortes d'idées.
Nicolas : On en a plein des idées mais malheureusement ça demande un budget assez difficile à obtenir. On ne cherche pas le clip de base dans une usine ou dans la forêt. On n’a pas envie non plus de se mettre en scène, et mine de rien ça limite pas mal. Le DIY c’est cool mais ça restreint, et tant qu’à faire un clip autant faire un truc dont on sera fier et qui nous ressemble vraiment.
Victor : Ça nous gave un peu d’être obligé de devoir faire du clip alors qu’on fait de la musique, tout le monde écoute sur Spotify, Deezer, etc. Ça donne l’impression de devoir le faire par obligation, parce que sinon tu passes pour un amateur, c’est frustrant, alors comme dit Nico, si c’est pour faire un truc et se ruiner ou se lancer dans un gros projet, autant que ça nous plaise et qu’on en soit fier, quitte à ce que ça prenne du temps, beaucoup de temps….



Je ne sais pas si c'est un hasard mais on voit de la symétrie sur les pochettes de vos deux albums et la fumée noire visible dans le clip de "Hiiro No Yuugure" par exemple semble être vue en négatif. Y aurait-il un concept caché derrière cette utilisation du négatif et de la symétrie ? Une illustration de la dualité ou du changement lié à l'introspection qui nous ferait passer d'un état à son opposé ? Ou peut-être le miroir dans lequel nous devrions nous examiner avant de porter des jugements sur les autres ?
Nicolas : Le concept qui anime la plupart de nos visuels c’est l’interprétation personnelle. Y’a pas vraiment de message caché ou de portée métaphorique poussée, mais plutôt la volonté que chacun voit selon sa propre imagination, comme pour notre musique.
Ben : On bosse avec des amis pour diversifier un peu les visu : Crow qui nous a fait notre première pochette en linogravure, Bob LM pour le reste (les clips, les stickers, les visu sur les sites etc). Bob va beaucoup s’imprégner de la musique avant de créer, et laisser l’inspi faire. Ils ont carte blanche parce qu’ils savent vraiment capter notre univers visuel.
Victor : Le côté introspectif est pas mal mis en avant dans notre univers, la symétrie pousse beaucoup à la subjectivité. Un peu sur le principe de la paréidolie, où on voit des visages, des animaux, des formes etc… Mais on veut pas forcément rester dans le même univers graphique, le t-shirt que Nico a fait par exemple est pas basé sur une symétrie ou un visu abstrait. C’est un gamin seul au milieu de ruines.

Ce nouvel album sort chez N-Vox Productions et pour avoir parlé de Mineral Refelctance avec Stéphane je trouve que vous partagez une vision commune, une envie de tendre la main, d'entamer une introspection. On y retrouve ce constat dur et amer dans un premier temps qui amène ensuite à une remise en question et un espoir de changement. Est-ce que ça a joué dans la décision de sortir "Après Nous Le Silence" sur cette structure ?
Victor : Oui ça a beaucoup joué, à la base on n’est vraiment pas pour s’affilier à un label. Entre les mauvaises expériences qu’on entend par ci par là, et la peur de perdre notre indépendance et notre liberté, on a vite fait le choix de ne pas se prendre la tête avec ça. Mais avec Stéphane, c’est pas du tout pareil, il a un rapport vraiment humain, il ne cherche pas à trouver comment profiter de nous pour de la thune, il est simple et sincère, il nous a beaucoup aidé à passer au niveau supérieur dans plein de points, sans jamais interférer dans notre vision du groupe (le handicap de ne pas avoir de réseaux sociaux, de ne pas suivre le rythme de sorties, de clip etc). Il est plein de bons conseils, comme un grand frère ou un prof qui veut pousser vers le haut les projets qui lui semblent valoir le coup.

Est-ce que cette démarche d'ouverture aux autres pourrait donner lieu à des collaborations extérieures, comme par exemple The Ocean qui à une période ressemblait plus à un énorme collectif qu'à un simple groupe ?
Ben : Oui, on travaille actuellement sur des morceaux sur lesquels des amis et des artistes qu'on a rencontrés depuis la création du groupe vont participer. Des chanteurs et des musiciens. Mais le cœur du groupe reste et restera sur le trio actuel.
Nicolas : On ne veut pas forcément en dire plus tant qu’on n’a pas du concret mais oui, on bosse dans ce sens-là.

Là encore je sais que les coûts de production et les délais de fabrication posent souvent problème mais est-ce que des sorties vinyles vous tenteraient un jour sachant que ce format reprend du poil de la bête depuis quelques temps ?
Ben : Oui, on est en train de voir pour sortir avec N-Vox le vinyle d’"Après Nous Le Silence" d’ici début 2023.

Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions, si vous avez quelque chose à ajouter vous avez carte blanche !
Victor : Merci de nous offrir cette tribune pour nous exprimer avec autant de détails, sans nous limiter dans la longueur. On avance, grâce à des médias comme vous, on ne va pas jouer les ingrats alors un grand merci. La musique qu’on fait porte un message, mais à la fin, c’est à vous d’en faire votre propre interprétation, même si le thème reste globalement facile à comprendre, faites votre voyage dans vos souffrances, vos espoirs, en nous laissant vous accompagner. Ne sombrez pas, profitez de chaque moment, tout pourrait s’arrêter plus vite que ce que vous pensez.


Le site officiel : www.reigan-do.com