Interview faite par mail par Man Of Shadows

Bonjour les PITN. Merci beaucoup de répondre à ces quelques questions. Comment vous portez-vous maintenant que votre nouvel album est enfin sorti ? Libérés ? Soulagés ? Fiers aussi j'imagine ?
Saïm (guitare) : Salut Man Of Shadows, merci pour tes questions ; eh bien oui, on est vraiment contents d'avoir concrétisé ce projet. On parle ici de neuf ans de gestation donc comme tu l’imagines, c’est une lourde page qui se tourne et on est tous ravis de pouvoir enfin penser à la suite. Donc libérés et soulagés car ça faisait longtemps qu’on attendait ce moment, et fiers aussi car on assume cet album à 100%.

Toute première question, évidente. Pourquoi un si long laps de temps entre "Lunatic" et "Equanimity" ? Certains fans ont dû mourir d'attente... Ca a failli être le cas pour moi en tout cas...
Saïm : A l’époque de "Lunatic", on avait signé avec Black Lotus pour deux albums en quatre ans donc autant te dire que les 9 ans d’écart entre les deux albums n’étaient vraiment pas prévus. Pour faire synthétique, dans un premier temps, notre label a coulé en 2007, on s’est séparé de Greg notre manager de l’époque et notre chanteur Panda est parti. La production du deuxième album était donc fort mal amorcée. Dans un second temps, Ced de Supertanker a été de passage dans le groupe puis nous avons ensuite travaillé avec Tersim Backle arrivé en 2010. Toutes ces étapes ont été plus ou moins sinusoïdales avec des baisses de motivation à certains moments et des sursauts d’engouement à d’autres. Tu étales donc toutes ces aventures sur 9 ans et tu obtiens la réponse à ta question.

Vouliez-vous battre le record qu'Axl Rose détient avec "Chinese Democracy" ?
Saïm : On pourrait rivaliser sur le temps d'enregistrement mais difficilement sur le budget.

Plus sérieusement, combien de temps vous a t-il fallu pour écrire ce disque ? Sachant que certains membres du groupe jouent également dans Supertanker.
Saïm : Pour répondre à ta question à la manière d'un problème de CM2, je dirais qu’ ¼ de l’album a été composé en 6 ans et les ¾ restants en 3 ans avec une année ou l’on n’a pas répété du tout à cause des disponibilités de certains. Je te laisse faire les calculs. Certains morceaux comme "Soulbones" ou "Reality" datent de l’ère "Lunatic" tandis que des morceaux comme "Rule The Plight" ou "The Oat"h sont associés à l’arrivée de Tersim. On avait donc en gros 4 morceaux avant que Ters débarque en 2010 et tout le reste a été fait ensuite. Une zic comme "Crawling" a été composée en plusieurs mois tandis qu’"Insiders" par exemple, a été structurée en quelques jours. Jerry et Mat jouent dans SupertankerWuillamie, Francesco leur fait le son mais ils ont toujours préservé une dispo pour PITN donc cela n'a pas vraiement de rapport avec la lenteur d’écriture, au contraire ça a permis de garder une fraîcheur dans le groupe que ce soit pour l’enregistrement de leur album ou les quelques concerts qu’ils préparaient.

La musique de PITN est ultra-millimétrée. Avec deux albums en 18 ans de carrière, on peut dire que vous êtes des perfectionnistes. Cela doit vous prendre énormément de temps. Cet investissement, cette recherche, est-ce une quête musicale personnelle ?
Saïm : Vu qu’on raisonne en tant que groupe, ça devient une quête musicale collective et c’est là qu’on prend énormément de temps. Chacun à un rôle qui forme un fragile équilibre pour ce qui est d’arriver à une zic qu’on aime et qu’on s'approprie tous. Tant qu’on n’est pas 100% unanimes sur la zic, on cherche, on bidouille, on fait et on défait. Enfin, nous n’avons, depuis la chute de Black Lotus, aucune dadline ce qui est un avantage pour se permettre d’être perfectionniste mais qui peut-être aussi vicieux pour la motivation. Cet album aurait bien évidemment pu être composé plus prestement.

Ne pensez-vous pas que cette perfection a pu être un frein à votre progression ? Je ne parle pas bien sûr d'un point de vue artistique ou personnel mais du point de vue de la carrière et de la renommée du groupe. Car c'est vraiment dommage d'avoir un talent pareil et d'avoir peu l'occasion de le faire connaître.
Saïm : C’est évidemment un frein d’un point de vue de la carrière, tu as raison, mais, n’étant pas professionnels via PITN, nous prenons toujours un certain recul par rapport à ce que nous aurions pu faire ou ne pas faire. Au final, à mes yeux, d’être encore tous ensemble depuis 2001 (mis à part Tersim arrivé en 2010) en ayant traversé des moments faciles comme des périodes de tensions, de prendre du plaisir à répéter et voir nos gueules se rider petit à petit, c’est une force, résultat d’une belle progression. Pas le temps pour les regrets. Pour ce qui est de se faire connaître, on encore de belles années devant nous je l’espère.



Pour préparer le terrain avant la sortie de votre nouvel album, vous êtes revenus sur scène plus intensivement depuis 2013 avec notamment des dates avec Kronos ou encore le MFest. Etait-ce pour vous rappeler au bon souvenir du public ?
Saïm : Ces dates étaient éparpillées et épisodiques. Nous avons après le départ de Ced refusé beaucoup de concerts et cela a eu pour conséquence directe de nous mettre naturellement sur le banc de touche. Une fois que la formation actuelle fut prête à tourner, nous n’étions plus autant dans le réseau des concerts. Quelques dates nous étaient proposées quelquefois, ce fut le cas des concerts dont tu parles. C’était une manière de tester la nouvelle formation et de tâter le terrain.

Vous collaborez avec la Klonosphere pour le nouveau disque. Comment se passe le deal ? S'agit-il d'un contrat complet ou d'un contrat de distribution ?
Saïm : C’est un contrat complet de distribution pour ne pas te répondre. Comme tu le dis, le mot "collaborer" est plus qu’adapté. Pour résumer, nous produisons notre musique à nos frais, Klonosphere s’occupe de la promouvoir et de la faire distribuer tout en nous laissant une liberté totale sur tout le reste. Cette démarche nous implique directement dans la gestion de la production. Nous aimons cette forme de transparence et de liberté même si elle demande beaucoup plus d'investissement sous toutes ses formes qu'un contrat "complet".

"Equanimity" est bien différent de son prédécesseur. Quoi de plus normal après tant d'années. Je dois avouer ne pas avoir été très surpris à son écoute, je veux dire que l'évolution stylistique ne m'a pas choqué. Cela était anticipable. C'est une évolution naturelle. Vous sentiez-vous un peu prisonniers après "Lunatic" ?
Saïm : Absolument pas. "Lunatic" nous a montré justement que l’audace dans les mélanges de style ou d’effet était souvent bien accueillie tant qu’il y a de la cohérence (cf la ghost track au sitar à la fin d’"In My Veins"). Du coup, nous nous sentions à l’époque prêts à tester plein de choses relativement osées et nouveau par rapport à "Lunatic". Le passage dubby de "Soulbones" (composé en partie à l’époque de "Lunatic") en est un parfait exemple. Il faut bien entendu dire aussi que le changement de chanteur a été aussi un moteur de l’évolution stylistique.

Sur "Equanimity", vous abandonnez presque toutes vos influences death metal pour vous tourner vers un metal technique et moderne, entre un Decapitated récent et un Between The Buried And Me moins démonstratif. Votre style est plus équilibré qu'auparavant, plus naturel aussi. Que vouliez-vous exprimer à travers ce nouvel album ?
Saïm : Difficile de répondre tant la période de composition est étalée mais quelques grandes idées ressortent de ce qu'on souhaitait exprimer. Tout d'abord la puissance, même s'il y a beaucoup moins de riff s"peed ou blastés sur Equanimity", on cherche toujours LE riff qui te donne envie de banguer voir de te lever de ton fauteuil. On a aussi voulu davantage s'attarder sur des riffs et les faire évoluer, jouer sur les contrastes tout en essayant de rester cohérent sans que cela devienne ennuyeux. C'est la plus grosse différence avec "Lunatic" je pense, on n'hésite pas à faire tourner un riff plutôt que de le consommer en 4 mesures pour enchaîner derrière. Tout cela aide à créer des ambiances plus imprégnées et du coup participe à donner une âme à la musique, c'est en tout cas ce qu'on essaie de faire ressortir de cet album.

Le changement de chanteur est l'un des facteurs ayant grandement retardé la naissance de "Equanimity". Tersim vous a t-il aidé à développer le son que vouliez atteindre ou fut-il l'élément déclencheur de cette approche nouvelle ?
Saïm : Un peu des deux,. La première fois qu’il a posé son chant, ce fut sur "Your Dream’s Not Mine". On a tous été bluffé de son flow très posé sur un riff très saccadé. En ce sens, il nous aidé a développé le son que l’on cherchait. Il a su s’adapter impeccablement sur beaucoup de morceaux qui étaient déjà finalisés. A la vue aussi de sa tessiture et de ses influences, il a aussi poser sa patte sur pas mal d’orientation de riff ou de zic ce qui en fait indéniablement un déclencheur de cette "nouvelle approche" comme tu dis.

"Equanimity" présente du chant clair et des parties très atmosphériques et émotionnelles. Comment pensez-vous que le public accueillera cette nouvelle approche ?
Saïm : Certains bien, d’autres mal. Tout est affaire d’artistique ici et dans ce cas, aucun argument n’a sa place ce qui fait qu’un pronostic est impossible à dresser. C’est sûr qu’on va perdre des aficionados du growling et du death metal en général. On est désolé pour eux parce qu’on les aimait bien quand même. A contrario, on a vu des fans d’ultra brutal nous dire qu’ils trouvaient l’album agréable à écouter. La grande différence maintenant par rapport à Lunatic est que nous ne nous sentons pas attendus au tournant étant donné qu'une bonne partie des connaisseurs n'imaginaient pas le groupe encore actif.

Les mots "maturité", "plénitude" et "maîtrise" m'ont traversé l'esprit à l'écoute de l'album. Sentez-vous que vous avez franchi un cap musicalement et artistiquement parlant ?
Saïm : C’est certain. La longueur de certains morceaux en est une preuve. Nous n’aurions sûrement pas osé faire ça pour "Lunatic". Aujourd’hui il y a surement moins de fougue dans notre musique mais plus de maîtrise (maîtrise des tempi, assoir un riff plus longtemps, jouer piano, soigner une montée etc…). Comme tu le disais plus haut, c’est aussi naturellement le résultat des 9 ans d'évolution.



Si votre musique est toujours aussi techniquement élaborée et les signatures rythmiques ultra-complexes, je trouve que vous ne faites pas dans la démonstration musicale vaine. Votre propos n'est jamais décousu, les enchîinements sont logiques. Le résultat final est super impressionnant. Quelle est votre méthode de travail ?
Saïm : C’est très simple, Mat et/ou moi-même posons des enchaînements de riffs sur des logiciels de son de manière à fournir un squelette de zic. On discute de ce qui est retenable ou non en fonction des vétos de chacun. On essaie ensuite d’amadouer Jerry (le batteur) pour qu’il épouse les riffs avec sa touche et qu’il donne le premier relief à la future zic. C’est enfin au tour de Francesco de poser sa grosse basse et le pauvre Tersim se tape souvent le final. Il dit souvent dans un premier temps que ça ne va pas le faire et puis au final, on est souvent ravis du résultat. On remue ensuite le morceau en répèt' jusqu’à ce que chacun trouve sa petite touche et c’est dans la boîte.

Parlons production. Pour un style aussi exigeant et minutieux que le vôtre, une production doit être irréprochable. Celle de "Equanimity" est énorme. Claire, puissante et moderne. Elle est très précise et ample. Surtout, elle sonne vraie, et non comme ses innombrables groupes ultra-techniques avec une production en plastique et des effets numériques à la pelle. Il s'agit, dans votre cas, d'une autoproduction, ce qui est d'autant plus admirable...
Saïm : Merci pour le Grand François "Francesco" Ugarte (El Bassisto !). Nous avons en effet enregistré au DarkWizard Studio à Gif/Yvette. Le but était de prendre le temps qu’il fallait dans une ambiance décontractée, c'est tout l'avantage d'enregistrer chez un membre du groupe. Pour ce qui est du son, on est bien contents du résultat. On s'est vraiment donné le temps de choisir chaque son. Francesco a fait un gros travail dans le détail pour réaliser tout ce qu'on voulait. C'est un luxe de ne rien avoir à regretter vis à vis de la prod ou des sessions d'enregistrement.

"Equanimity" ou équanimité en français, signifie l'égalité de l'âme, en d'autres termes, la tranquillité d'esprit face à l'adversité, un concept stoïcien. Si on sens à travers ce second album une certaine forme d'accomplissement musical et une grande maitrise dans la diffusion et la présentation de vos sentiments, comment l'équanimité se reflète-elle au niveau des paroles ?
Saïm : Je passe le micro à Tersim pour cette question.
Tersim (chant) : Comme tu le soulignes, l'équanimité signifie l'égalité de l'âme, mais pas uniquement dans l'adversité, c'est une âme apaisée et détachée, et ce en toutes circonstances, dans les moments durs, comme dans les moments les plus heureux, il traduit un lâcher-prise de l'individu, face à lui-même, face à ses désirs, ses envies, ses caprices, ses peurs... en gros face à tout ce qui éloigne de la paix intérieur. Ici il est donc plus proche de la philosophie bouddhiste. L'équanimité n'est peut être pas retranscrite dans les textes comme on pourrait s'y attendre, il faut peut être voir ça comme un message envoyé,  un état à atteindre pour pouvoir avancer dans la vie en toute sérénité.

C'est une nouvelle fois Djahal qui s'est chargé de l'artwork, superbe. Qu'est-ce qui vous fascine autant dans son œuvre ? Que retrouvez-vous chez lui qui ne se trouve pas chez d'autres ?
Saïm : DjahaL est un pote de longue date, il fait nos lights sur scène et on se connaît depuis le collège. On adore son style et il a un niveau de coquin pour être poli. Il a fait les deux précédents visuels de PITN ("Impact" et "Lunatic") comme tu le sous-entendais plus haut. Il était donc tout naturel qu’on fasse appel à lui pour le visuel d'"Equanimity". La question de travailler avec d'autres artistes ne s'est donc pas posée.

Parmi vous projets futurs, vous prévoyez la sorti d'un EP expérimental centré sur le sitar. On en trouvait déjà sur une piste fantôme de "Lunatic". D'où est venue cette idée et quand sera t-elle concrétisée ?
Saïm : Répondre à la question "quand" porte malheur dans PITN, je peux te dire que c’est le prochain projet du groupe, qu’il est embryonnaire et que cela fait un bout de temps que ça traîne dans nos têtes. Cette idée a été réactualisée lors de notre campagne de crowdfunding Ulule dès lors que l’on devait justifier de ce que l’on allait faire de l’argent en cas d’excédent. Au moment ou on écrivait ça, nous ne nous doutions pas du tout que nous allions dépasser l’objectif.

On retrouve d'ailleurs au début de "Insiders" un cours passage avec un chant mystique hindou. Quel est votre rapport avec cette culture ?
Tous les concepts liés de près ou de loin à la spiritualité, le questionnement, la remise en question, l'humilité, l'échec, la persévérance se retrouvent dans les courants de pensées philosophiques asiatiques et Indiens. Ces concepts se ressentent à certains endroits dans les lyrics. Le sitar rappelle aussi ce coin du globe mais finalement, nous n'avons pas de lien spécialement étroits avec la culture indienne. C'est principalement une source d'inspiration.

Pourra t-on attendre un troisième album avant 2024 ?
Saïm : Ce serait donc te faire réellement mourir d’impatience, hors de question. Tant qu’on ne splittera pas, on fera de la zic, et tôt ou tard il y en aura assez pour faire un CD. Si on ajoute à ça la motivation que nous procure la sortie d’"Equanimity", je pense qu’on devrait s'y mettre relativement rapidement. Nous avons déjà quelques structures et riffs de côté.


Le site officiel : www.pitbullsinthenursery.com