Interview faite par mail par Murderworks

Salut Gilles & Phil, dix années se sont écoulées depuis la sortie de "A Decade Of Dusk" dont le titre était finalement prophétique. Qu'est-ce qui vous a amené à remettre le couvert cette fois ?
Gilles (guitare) : Salut Jessy ! En effet, "A Decade Of Dusk" concernait la période 2001 à 2011, mais, avec le recul, on pourrait se dire que c’était un titre annonciateur pour ces dix dernières années ! Suite à la sortie de "A Decade…", LUX INCERTA a été mis en sommeil pour une durée indéterminée. C’est lors de mon arrivée à Nantes et de ma rencontre avec Phil (batterie) que Benjamin (chant) et moi avons décidé de remonter un line-up, fin 2017, afin de refaire quelques concerts. De fil en aiguille nous avons eu l’envie et le besoin d’écrire de nouvelles chansons. Il nous fallait donner un véritable sens à ce retour, et nous ne voulions pas nous cantonner à ne jouer que nos vieux titres. De plus, pendant toutes ces années, nos goûts musicaux ont évolué, et Phil, dont les racines musicales sont plus orientées black metal que Benjamin et moi, avait besoin d’exprimer cela au travers de nouvelles compos.

Du coup de quand datent les morceaux ? Est-ce que tout a été composé récemment ou certaines idées ont été gardées depuis la sortie de "A Decade Of Dusk" ?
Gilles : Les chansons de "Dark Odyssey" ont toutes été écrites et arrangées entre fin 2018 et fin 2020. Quelques idées proviennent de très anciennes compos non abouties, plus particulièrement sur le titre d’ouverture "Far Beyond The Black Skies", mais à part ça il n’y a que du neuf sur ce disque.

Le nom de l'album "Dark Odyssey" renvoie pour moi à l'introspection puisque la définition d'odyssée correspond en gros à un voyage mouvementé. Une odyssée sombre me semble donc toute indiquée pour illustrer le voyage intérieur, non ?
Gilles : C’est effectivement le thème de l’album. Même s'il ne s’agit pas d’une volonté de créer un album concept, les morceaux sont tous liés les uns aux autres. Ils créent, dans leur enchaînement, une forme de réflexion sur l'existence et ce qu’on peut y rencontrer : ça va du voyage intérieur de "Far Beyond The Black Skies", au thème de la résurrection de "Dying Sun", à la perte d’un être cher de "Farewell", pour finir sur l’arrivée dans le néant de "The Ritual". La disparition tragique de notre guitariste Michel a malheureusement donné une dimension supplémentaire à tous ces thèmes, somme toute assez classiques dans l’univers du dark metal.



On sent que votre musique est devenue à la fois plus variée et plus dure ou du moins plus sombre. C'est le fruit de l'évolution depuis tant d'années ou c'est une direction dans laquelle vous aviez prévu d'évoluer ? A moins que ce ne soit en relation avec les thèmes abordés par l'album ?
Phil (batterie) : Les influences de chacun ont évolué avec le temps, et j’ai également apporté les miennes dans les compositions depuis mon intégration au groupe en 2017. Mais cela s’est fait naturellement, nous avons voulu arranger et peaufiner le mieux possible. Le travail de préproduction a donc été assez long. Nous produisions des maquettes très régulièrement, en testant beaucoup d’idées, certaines ont été abandonnées, d’autres ont ouvert la voie à de nouvelles expérimentations… et nous sommes arrivés à ce résultat. Nous n’avons pas fait de calcul ni de compromis, on ne sort pas un album tous les jours et nous avons travaillé les titres jusqu’à ce que nous soyons tous satisfaits.
Gilles : Je dirais que notre musique est plus complexe aujourd’hui qu’il y a dix ans sur notre album précédent, et encore plus qu’à nos débuts où nous étions beaucoup plus limités, ne serait-ce que dans la maîtrise de nos instruments. Pour ce nouvel album, nous avions beaucoup d’idées assez riches à la base, et d’un point de vue technique, nous avons pu explorer de nombreuses pistes et, comme le dit Phil, expérimenter. En tous les cas, cela n’a jamais été une volonté de notre part d’écrire des titres moins doom old school, un peu black, ou autre, tout s’est construit naturellement.

Si la plupart des textes sont en anglais on peut en entendre certains en français, c'est simplement la plus grande facilité d'exprimer quelque chose dans sa langue natale qui en décide ou c'est lié à la musicalité des mots ?
Gilles : En effet, sur le titre "Decay And Agony", notre chanteur déclame quelques vers en français. Benjamin a toujours profondément aimé la grande littérature française et le romantisme. D’ailleurs, sur notre premier album il y avait déjà quelques paroles en français (sur le titre "Clearwater"). Pour "Dark Odyssey", si Phil et moi avions laissé faire Benjamin, il y aurait eu beaucoup plus de textes en français. Mais, il faut bien reconnaître que dans le metal, notre langue n’est, souvent, pas ce qui rend le mieux, au risque, parfois, de devenir ridicule. Finalement, seul le titre "Decay And Agony" contient des paroles en français pour la simple et bonne raison que le texte est inspiré du célèbre poème "Spleen" de Charles Baudelaire. Cela avait réellement du sens de rendre hommage à son œuvre en nous exprimant dans sa langue.

Il y a deux morceaux instrumentaux sur ce nouvel album, mais il faut avouer qu'un des deux bouleverse plus que l'autre. "Shervine" est en effet dédié à votre ancien guitariste Michel Shervine Hejazi et est tout simplement magnifique avec ses ambiances à la fois mélancoliques, presque contemplatives et empruntes d'une certaine tendresse. On a l'impression d'être hors du temps, comme si vous aviez tout figé le temps de lui dire au revoir.
Phil : Merci. Oui, ce titre "Shervine" existait déjà avant la disparition tragique de Michel. Il fait figure de transition dans l’album, en apportant une touche de douceur, et les parties de violoncelle jouées par Raphaël Verguin (Lun, Rïcïnn, Spectrale, Psygnosis, Maudits…), que nous remercions pour sa contribution, apportent beaucoup à son atmosphère. C’était un des morceaux préférés de Michel, il aurait même voulu le développer un peu plus. Nous l’avons donc rebaptisé afin de lui rendre hommage : "Shervine" est le prénom d’origine iranienne de Michel.

Qui a réalisé le clip de "Decay And Agony"? Il est à la fois artistique, classe et poignant.
Phil : Le clip a été réalisé par Julien Metternich, que Gilles connaissait pour avoir déjà collaboré avec The Old Dead Tree. Julien est très expérimenté et a déjà travaillé sur des clips ou des captations live de Mass Hysteria, Ultra Vomit, Alice Cooper, Paul Personne… Nous l’avons contacté, et plusieurs écoutes du titre l’ont inspirées pour ce clip. Nous avions une idée de narration, mais lui avons laissé carte blanche. Le concept du clown triste est venu de lui. Nous sommes très fiers du résultat, aussi bien artistiquement que techniquement, et la collaboration avec Julien a été très enrichissante. Nous tenons à remercier Franck Neckebrock (acteur dans le rôle du clown), Julien, et toute son équipe pour ce travail qui colle parfaitement à l’esprit du titre.

La pochette est elle aussi très classe, assez loin des clichés metal habituels. Qui a réalisé ce bel artwork ?
Gilles : La pochette est l'œuvre de l’artiste bisontine Marianne Blanchard. Elle est vraiment très douée, et son travail de précision "à l’ancienne", c'est-à-dire sur support papier, sans aucun logiciel ou ordinateur, nous a immédiatement plu. A partir de fin 2020, nous avons entamé le travail de recherche graphique et nous avons contacté plusieurs graphistes. Ils étaient tous très bons, mais il n’y avait pas de coup de cœur unanime dans ce qu’ils nous proposaient. Lors d’un séjour à Besançon, j’ai par hasard découvert le travail de Marianne dans une galerie d’art où elle exposait. Ses créations, à la fois sombres, poétiques, dans un style art nouveau, parfois d’une certaine beauté morbide, m’ont poussé à la contacter. Marianne a très gentiment accepté, n’étant pas habituée à ce genre de commande. Elle a écouté l’album, et m’a rapidement décrit ce qu’elle imaginait. Cela collait parfaitement à notre univers tout en étant totalement inscrit dans le sien. Nous lui avons laissé carte blanche, et nous avons eu raison tant nous avons eu de retours positifs sur la pochette de "Dark Odyssey".



Par quel studio êtes-vous passé ? Le son est puissant et surtout organique et à une époque où la batterie sonne comme des boîtes de conserve chez la plupart des groupes, ça fait du bien d'en entendre une vraie chez vous !
Phil : Initialement, nous voulions faire appel à Arthur Lauth (Regarde Les Hommes Tomber, Time For Energy, Mantra…) du studio Brown Bear Recording. Cependant, nous avons repoussé l’enregistrement car, à cause de la crise Covid nous avions pris du retard sur notre travail d’écriture et n’étions pas encore satisfaits de nos arrangements. Nos plannings n'étant à ce moment-là plus compatibles, il nous a orienté vers Fabien Devaux (Step In Fluid, Hacride, Wallack, Aro Ora…). Nous avons écouté ce que Fabien avait produit, puis il est venu nous voir en répétition. Humainement et artistiquement ça a immédiatement collé. Fabien n’avait jamais enregistré de doom metal, mais c’était pour lui un challenge enthousiasmant. Nous avons donc naturellement décidé de travailler ensemble. Il s’est occupé des prises batterie, chant et basse, ainsi que du mixage et du mastering. Concernant le son de batterie, c’est un des points forts de Fabien, et nous n’avons pas été déçus ! Nous avons réalisé nous-mêmed les prises guitares, en prises micro sur baffle ampli, sans simulateur ni quasiment aucun reamping, ce fut quelque peu laborieux car il y avait beaucoup de couches de guitares, mais le travail a payé. Notre style n’est pas le genre de prédilection de Fabien, mais nous sommes plus que satisfaits du résultat obtenu. Nous le remercions d’avoir parfaitement su répondre à nos attentes, c’est quelqu’un avec qui il est très agréable de travailler.

Est-ce qu'on peut vous voir en live en ce moment ? Une tournée en cours peut-être ?
Nous avons quelques dates pour la fin d’année 2023 : Lyon le 8 Octobre (dans le cadre du festival Rituale Lugdunum Fest II), Nantes puis Brest les 25 et 26 Novembre (avec The Old Dead Tree et Monolithe), et enfin Paris au Klub le 10 Décembre, avec deux bons groupes de doom-death français : Lying Figures et Mourning Dawn. Nous n’avons pas prévu de faire une tournée en tant que telle, avec beaucoup de dates consécutives, mais nous prévoyons quelques salves de temps en temps. Des choses sont déjà prévues au printemps 2023, mais il est trop tôt pour en parler. Nous souhaitons également, idéalement, nous produire en festivals, même si, pour l’instant, il est encore un peu compliqué de se faire programmer, surtout pour un style comme le nôtre. A bon entendeur…

L'album est pour l'instant sorti en CD et en version numérique, les amateurs de vinyle peuvent-ils espérer une édition sous ce format ?
Phil : Produire et promouvoir cet album représente un certain coût, que nous avons soutenu à titre personnel. Une sortie en vinyle de l’album nous plairait beaucoup mais cela représente un investissement supplémentaire non négligeable. Nous ne savions pas quels seraient les retours pour notre album, et avons décidé de rester prudents et de ne pas en produire… pour l’instant. Cependant, nous allons nous pencher sur la question dans un avenir proche, en envisageant pourquoi pas un crowdfunding.
Gilles : Il est certain que la pochette de "Dark Odyssey" serait du plus bel effet en format vinyle. J’en serais le premier heureux, et je pense que Marianne aussi. Mais, effectivement, cela a un coût important. D’autant plus que, en raison de sa durée, notre album devrait figurer sur un format double vinyle.

Merci d'avoir répondu à ces quelques questions, si vous avez quelque chose à ajouter vous avez carte blanche !
Phil : Merci beaucoup pour cette entrevue !
Gilles : Merci pour cette interview et pour la lumière que vous nous apportez via votre excellent webzine !


Le site officiel : www.luxincerta.com