Interview faite par mail par Groumphillator

Salut.
Les Lofofora nous reviennent avec "Monstre Ordinaire", un album nerveux qui dresse un constat sombre d'un monde qui incite finalement au nihilisme.
Quand on voit la pochette de l'opus, on ne peut d'ailleurs s'empêcher de penser à des films du genre de "No Country For Old Men" ou bien "Fargo" (la neige en moins), deux films qui tiennent justement haut le pavé du nihilisme et d'une époque où l'argent compte plus que la vie humaine. Au moment où les états se déchirent entre eux pour des questions d'argent et où la réussite financière est citée en exemple, un album comme "Monstre Ordinaire" fait figure d'échappatoire aliéné. Quelles ont été les objectifs concernant cet opus ? Dans quel état d'esprit a-t-il été composé ? A quoi pensais-tu pour les paroles ?

Reuno (chant)  : "Si mon coeur est violent vois le monde qui l'entoure".
Je n'ai peut être pas bien compris ta question mais je tiens à préciser que je ne suis pas nihiliste sinon je ne serais pas chanteur de rock mais terroriste. Quand on ne croit plus en rien on ne crée pas, on détruit ou l'on meurt. C'est sans doute une explication à bon nombre de drames et d'exactions de nos contemporains. Ma pensée ressemble au Yin yang. Du désespoir avec une touche d'optimisme qui s'emboite parfaitement avec une large part d'enthousiasme percée de noirceur.
Je voulais dans cet album tirer des portraits de la monstruosité humaine ordinaire sous toutes ses formes. Ca me fait plaisir que tu cites ces films là, je suis un inconditionnel des frères Coen et "No Country For Old Men" est la référence qui m'est venue en tête quand j'ai vu le visuel que nous avait concocté Eric Canto. On ne s'attendait pas à ça mais on a été séduits immédiatement.

Durant tout l'opus, il se dégage cet espèce de parfum de nihilisme. Tout est perdu, le monde coule et nous entraînerait presque dans sa chute. Finalement ce qui était dit dans "Mémoire de Singes" c'était plus prémonitoire que prévu, non ?
"Mémoire De Singes" était plus film catastrophe que film de monstre.
C'était une vision d'apocalypse, là il s'agit plus d'errances dans un monde qui n'a d'autre but que de croître jusqu'à s'asphyxier lui même. Ce n'est pas plus rose, c'est sûr mais il y a tout de même dans notre dernier disque une vraie volonté de cultiver l'espoir. Car tant qu'il y a de la vie, il y en a.
"De la nuit jaillit la lumière".

En général, on peut facilement lier un album de Lofofora à une époque bien précise. Ainsi, sur "Mémoire De Singes", on sentait bien par exemple la frustration et la peur qui découlait de la toute récente élection présidentielle. Sur "Monstre Ordinaire", par contre, les textes sont moins introspectifs, moins profonds et moins précis dans la dénonciation, mais se répandent bien plus en haine sur plusieurs sujets. A son écoute on dirait que le groupe est lassé du combat. Comme si les précautions et les alarmes de "Mémoire De Singes" n'avaient pas été écoutées et qu'il est à présent présent trop tard. C'est le cas ?
On est pas là pour donner des leçons, on pose plutôt des questions, on s'interroge sur de la musique rock. On a pas franchement l'espoir de changer la face du monde avec ça, sinon Bob Dylan ou les Bérus y seraient parvenus avant nous. Notre colère est intacte, notre volonté aussi. La résignation ne nous a toujours pas éteins. Quand j'écris : "Par mes peurs, mes reproches, déphasé, de toutes mes forces, je m’accroche. Je sais que je ne pourrai plus jamais avancer, la tête baissée, les poings serrés dans mes poches", ça ne veut pas dire : "tout est foutu on va tous crever" mais plutôt : "relevons la tête et battons nous pour ce en quoi nous croyons", jusqu'au bout.

"Dans nos regards avides, c'est facile, tout ce qui brille nous fascine", un exemple parmi tant d'autres de ce qu'on peut trouver sur le nouvel opus. Tu crois vraiment que l'avidité, l'individualisme et la compétition financière, de plus en plus cultivées par notre société d'ailleurs, sont les causes de ce qui se passe actuellement ?
Evidemment, aujourd'hui ce n'est plus "je pense donc je suis". Dans notre société il faut consommer pour exister, se nourrir de sous culture de merde qui tient plus du marketing que de la création pour vivre dans son époque. Nous vivons sur la planète compète, si vous êtes le maillon faible, au revoir, on n'a pas besoin de vous. On en est à vouloir gratter sur les indemnités des employés en arrêt maladie pour renflouer le déficit alors que le nabot se paie des nuits d'hôtel à 38000 euros, c'est à dire 3 années de salaire d'un smicard. Comment peut-on le prendre au sérieux quand il parle d'abus, de fraude concernant les travailleurs tout en faisant la part belle aux grosses fortunes ?

On vous sait actifs et engagés. Des concerts pour le SCALP (et c'est bien chouette), des stands d'informations pendant vos prestations, ect... Tu penses que c'est important d'avoir un engagement politique quand on est un groupe ?
Pas forcément, normalement le simple fait de faire du rock avec ses tripes ça doit pousser le public vers un appétit de liberté que tu chantes le sexe, la passion ou la révolution. Certains pensent que ce n'est pas le rôle des artistes de donner leur avis sur le monde qui les entoure alors que créer c'est ça, rien d'autre. Voire le monde à sa façon et essayer de le partager, chacun fait ça comme il le sent.

Est-ce que tu penses que ton discours est facilement accessible et que tu puisses convaincre quelqu'un qui n'en a rien à foutre ?
Quand quelqu'un ne veut rien entendre tu ne peux pas le forcer à écouter. Je ne pose jamais la question de l'accessibilité ça serait comme se censurer et encore une fois je ne suis pas en mission pédagogique. Mais pour avoir rencontré des jeunes qui m'ont avoué avoir été détournés des voix de l'extrême droite grâce à notre musique et également de mon expérience personnelle, je sais qu'une chanson peut changer une vie. Mais ce n'est pas celui qui l'écrit qui maîtrise ce phénomène.



D'ailleurs, le pire est à craindre quand on voit la poussée de l'extrême droite. Comme je le disais, le peuple préfère se rabattre sur un parti extrême plutôt que de prendre à bras le corps le problème. Se débarasser des étrangers plutôt que de s'occuper de ce qui se passe autour de nous. Tu penses que c'était prévisible ? Tu en parlais sur "Mémoire De Singes" avec l'énorme morceau "La Belle Vie".
Merci du compliment, je l'aimais bien cette chanson. C'est de voir ces filles Africaines qui tapinaient sur les trottoirs de Paris ou de Montpellier où je vivais à l'époque qui me l'a inspirée. La technique du bouc émissaire est une arme de propagande vielle comme le monde utilisée par les gouvernants. Tant que ça marche ils auraient tort de s'en priver puisque leur métier consiste à faire de l'argent en misant sur notre non réactivité.

D'ailleurs, le metal c'est quand même un milieu où les partis politiques les plus extrêmes trouvent du terreau.  Tu penses que c'est dû à quoi ?
Le metal n'est pas mon milieu, d'ailleurs je me sens mieux sur les bords, je ne vais pas dans les bars metal ni dans les festivals 100% bourrins, ça me gave très vite. Je ne connais pas de métalleux facho en tout cas je n'en ai jamais croisé. Sauf peut-être une fois, le chanteur d'un groupe, un ersatz de Marylin Manson qui nous a fait plus pitié qu'autre chose. Je pense bien qu'il en existe, ça doit être dû au sentiment de virilité que fait naître cette musique, par sa puissance, chez les plus frustrés d'entre nous. Peut être aussi à cause d'une imagerie que l'on peut parfois trouver douteuse mais qui est la plupart du temps une provocation et dont certains ne captent pas le second degré. La connerie n'a pas de frontière.

Y'a un truc que j'ai vu dans les journaux pas plus tard que ce matin. Les indignés Français ne sont qu'une petite centaine à camper devant la défense. Et à côté de ça, les Français sont toujours ceux qui manifestent le plus en Europe. Comme si quand il y avait vraiment un moyen de faire appui, le peuple le fuyait. Ca t'inspire quoi ?
Perso, je ne signe quasiment aucune pétition sauf pour des causes locales dont je connais un peu le sujet et je ne vais jamais aux manifs. En vérité, ils me font de la peine les indignés à se les geler dans leurs duvets à la défense avec leurs petits coeurs peints sur le front, des Bisounours contre Dark Vador. Il vont leur jeter quoi aux CRS ? Des chamalows ? Ca a déjà été essayé la révolution hippie, ça ne marche pas ou alors il va falloir qu'ils se trouvent un Ghandi et comme ils ne veulent pas de porte parole, c'est pas gagné.

J'en reviens à mon histoire d'individualisme et de nihilisme (j'aime bien les mots en "isme", t'as remarqué ?). Sur le morceau "Le Visiteur", une famille rentre dans une logique de méfiance qui monte dans un crescendo de paranoïa qui donne un truc du genre "Qu'il fasse tout le mal qu'il veut tant qu'il nous laisse tranquille".
En replaçant ça à l'échelle mondiale, on touche bien du doigt l'égoïsme finalement inhérent à chacun d'entre nous. Dehors c'est la merde, mais en faisant le gros dos, on passera peut-être entre les gouttes. Finalement, le monstre ordinaire, c'est peut-être tout le monde non ? Ce dont parle l'album, c'est peut-être juste la nature humaine, qu'on l'accepte ou pas ?

Le monstre ordinaire, c''est à la fois le système qui nous écrase et chacun d'entre nous. Les gens savent bien qu'un môme Chinois ne gagne 20 centimes par jour en bossant chez Nike au lieu d'aller à l'école. Ils n'imaginent pas une seconde que l'on puisse faire vivre la même chose à leurs enfants mais ils leur achètent les fameuses chaussures à prix d'or avec l'argent du chômage parce que l'usine de chaussures de sports dans laquelle ils travaillaient a été délocalisée. Si c'était de la fiction, ça serait juste absurde mais c'est nos vies et c'est monstrueux. Et ce n'est qu'un exemple parmi 7 milliards.

Au final, on peut conclure que l'homme et plus précisément le peuple Français se délaisse volontairement de ses responsabilités et de ce qui pourrait le concerner sur le long terme pour se recentrer sur ses plaisirs immédiats et son petit nombril. Si on part de ce principe à quoi servent les élections et le système démocratique actuel ?
A rien ! Elisons les patron du CAC 40, là on pourra parler de démocratie. Les politiques ont encore le pouvoir de changer les choses mais au nom de leurs brillantes carrières, ils font juste tampon entre le peuple et les multinationales en essayant de s'en foutre plein les poches au passage.

Est-ce que tu penses que ce système est encore valable ? Tu verrais quoi comme solution ?
Aujourd'hui le plus grand pays instigateur du capitalisme et également le plus endetté, notre exemple de toujours les USA, est encore debout uniquement grâce à la plus grande dictature communiste, la Chine. Comment on peut encore être de droite après ça ? Faudrait m'expliquer. Je n'ai pas de solution et encore une fois je ne suis pas là pour ça.

On parlait d'engagement tout à l'heure. Ca se traduit aussi en activisme pour les Lofofora ?
C'est toi qui parlais "d'engagement", pas moi. Je n'aime pas ce mot qui ressemble à un contrat militaire ou ecclésiastique. Engagé pour la liberté ? Ca sonne un peu contre sens à mon oreille. On a chacun nos façons de s'investir au quotidien que ça soit auprès d'assos ou autres. Ca touche plus à nos vies privées pour le coup.

Que penses-tu des écrits d'Hakim Bey ou d'autres auteurs "taxés" de philosophe anarchistes ?
Je ne connais pas et le seul philosophe anarchiste que je connaisse et dont je partage la pensée est le Professeur Choron. Bordel ait son âme !

Penses-tu qu'il y ait des alternatives à la société telle que nous la subissons ? Lesquelles sont viables ?
C'était pas déjà la même question, regarde bien, 3 plus hautes.



Comme je le disais, le ton général du groupe s'est durcit, d'album en album, jusqu'à atteindre ce "Monstre Ordinaire" où finalement le désespoir est palpable, bien loin de l'ambiance du premier opus, notamment du morceau single "Holiday In France". C'était volontaire ou simplement inspiré par l'atmosphère générale (faut bien dire que depuis 20 ans, les choses qui nous dérangent n'ont pas cessées de s'accentuer) ?
Comme je le répète, nous ne sommes ni blasés, ni résignés et encore moins désespérés, je ne sais pas ce que tu as palpé mais c'était autre chose. Sinon je n'aurais jamais écrit : "garder l’espoir tant qu’il y en a, on a encore le choix". Dans "Holiday In France" même si le ton était plus léger le propos n'était pas beaucoup moins sombre, c'est l'angle qui était différent.

Avec le recul, les albums des Lofo suivent l'actualité de près et deviennent donc de plus en plus sombres en crescendo et probablement inconsciemment. C'est un peu tôt mais penses-tu que votre prochain effort sera encore plus noir ?
Je ne peux pas savoir, peut être que d'ici 4 ans les inégalités seront résorbées, les centrales nucléaires démantelées et que le père Noël viendra finalement nous dire qu'il existe. Du coup, un album acoustique est envisageable.

Un mot sur l'enregistrement de l'opus ? Comment cela s'est passé ?
Merveilleusement bien, Serge Morattel était l'homme de la situation. On s'est marré comme jamais en envoyant du lourd, c'était intense et bon. Serge est devenu avec cette expérience un mec qui aura marqué de son seau sonique l'histoire de LOFO à tout jamais, pour notre plus grand bonheur.

Pour ma part, j'avais vraiment apprécié "Mémoire De Singes" et j'avais vraiment ragé de le voir descendu en flamme par la plupart des auditeurs qui, à mon sens, n'ont pas su saisir la qualité des paroles et le travail introspectif qui avait été fait dessus. Est-ce que le groupe avait été sensible à ces critiques ? D'ailleurs, est-ce important les critiques musicales pour vous ?
En fait c'est à la sortie de "Monstre Ordinaire" que l'on se rend compte à quel point "Mémoire De Singes" en avait déçu certains. C'est pas plus mal comme ça. On ne fait pas en fonction des critiques mais quand je lis un gars qui écrit que sur notre dernier disque on a fait le minimum syndical (Ndlr : chronique de French Metal), j'aimerais bien sur le coup lui en faire goûter de mon minimum syndical.

J'ai vu que vous aviez tourné avec les Brassens Not Dead ? C'est l'anniversaire de Brassens cette année, alors si tu devais reprendre un morceau de Brassens, ce serait lequel ?
On a fait une date avec les Brassens Not Dead, pour le festival "La France Dort 4" au Bikini à Toulouse. Je chante "La Mauvaise Réputation" sur leur nouvel album et en fait sur la compil' "Les Oiseaux De Passage", il y a au moins 12 ans, on avait repris "Les Passantes", une chanson d'amour.

D'ailleurs, sorti du metal, du rock ou même du punk, tu écoutes des artistes contestataires ? Qui donc ? Est-ce que Reuno écoute du Vian, du Brel ou du Ferré ?
Vian oui, c'est très très bon, un génie de la poésie moderne, le père de Gainsbourg. Brel aussi toujours et depuis avant ma naissance. Ferré non, trop grandiloquent à mon goût. Je préfère Nino Ferrer, il faut réécouter l'album "Metronomie", excellents textes et très bonne musique. Et puis une de mes idoles, Jean Yanne a également enregistré de terribles chansons, du Didier Super 30 ans avant.

Mais, en quelques sortes, Lofofora dans le fond, c'est surtout toi, tes états d'âmes et ta vision d'un monde que tu ne comprends pas, TOI, Reuno. Est-ce qu'il y a des moments où tu prends du recul avec tout ça, où tu reviens sur des textes en te disant que ça ne correspond plus à TA vision de la chose ou du sujet ? Des lyrics que tu regrettes ou que tu ré-ajustes ?
Les textes sortent de ma tête d'accord mais ils sont aussi souvent issus de nos conversations souvent tournées vers l'actualité. Je ne chanterais plus jamais "Irie Style" par exemple, une chanson où je faisais preuve d'indulgence envers la religion. Depuis j'ai écrit "Dernier Jugement".

Y'a des chances d'entendre un jour "Anarchie En Sarkozie" sur un album studio ?
Jamais! Interdit, sinon procès, menottes, prison.

Je te laisse conclure ?
J'en peux plus, j'ai les doigts qui fondent !

Merci à toi.
A+ Reuno


Le site officiel : www.lofofora.com