Interview faite par Braindead à Paris.

Lorsqu’on m’a proposé d’interviewer Mille Petrozza, l’esprit même des légendaires Kreator, une image m’est revenue en tête, la tronche de la ma prof d’Anglais à la vue du tee shirt "Pleasure To Kill" que j’arborais fièrement, c’était il y a 20 ans. Depuis Kreator a bien vécu, entre tournées et quelques incursions dans le metal goth voire indus, une période qualifiée de salutaire et constructive par Mille, et dont les réminiscences se font sentir dans leur dernier album, le très bon "Phantom Antichrist". Justement de passage à Paris pour la promo, j’ai le privilège de rencontrer cet homme généreux et passionné, d’évoquer son univers, ses ambitions et une éventuelle future tournée…

"Phantom Antichrist" est votre treizième album, superstitieux ?

Mille Petrozza (chant / guitare) : Superstitieux ? (surpris et un peu perdu) Oh… non je me sens pas du tout être superstitieux… (il réfléchit) Et toi, tu l'es ?

Non, je ne le pense pas…
Ah… (satisfait, rires)

Votre œuvre est influencée entre autres par Kafka… dans quel état d’esprit créez-vous ? As-tu besoin d’être imprégné d’une atmosphère particulière, peut-être un endroit spécifique pour créer ?
Oui j’ai besoin d’une atmosphère particulière quand je compose, le calme et encore le calme (rires). D’autres groupes écrivent quand ils sont en tournée ; j’ai essayé de faire la même chose mais pour moi ça ne fonctionne pas. En 2011, excepté quelques festivals, nous n’avons fait aucune tournée ; donc, pendant tout ce temps je me suis posé, j’ai essayé de trouver de nouvelles idées, d’avoir d’autres inspirations et de cette façon j’ai pris le temps d’être créatif à nouveau. Depuis, nous continuons dans ce sens. J’ai par ailleurs longtemps été influencé par Kafka, mais plus maintenant. J’ai aussi été influencé par beaucoup d’autres choses, j’aime l’art élitiste, les films bizarres des années 50 et 60, la musique étrange et beaucoup d’autres choses qui conceptuellement influencent mes créations.

Comment travaillez-vous ? As-tu décidé seul des thèmes abordés sur "Phantom Antichrist", ou est-ce que les autres membres ont également apporté leurs contributions ?
Sur le nouvel album, la plupart des membres du groupe sont des créateurs. J’ai essayé d’apporter de nouvelles idées et de nouveaux sujets pour les compos mais d’un autre côté la plupart des chansons sont ce que leur créateur est. Si on se laisse influencer par des choses extérieures, nous pouvons parfois prendre le contre-pied de ce qu’attendent les fans de KEATOR et évoluer vers d’autres idées. Le concept d’Antichrist est finalement très positif car je pense que lorsqu’on conscientise certaines choses, nous pouvons revenir dessus et les corriger.

Et plusieurs états d’esprit différents, finissent par se compléter.
Oui tout à fait. Je pense qu’avec les membres du groupe, nous avons été très forts en cela. Pour "Antichrist", nous avons exploré de nouveaux chemins afin de faire passer plusieurs messages différents.

Depuis une dizaine d’années, vous êtes revenus au légendaire thrash metal qui est votre marque de fabrique et je me réjouis de voir que "Phantom Antichrist" est encore plus violent dans sa réalisation, ce qui est une très bonne nouvelle pour vos fans les plus hardcore ; pensez-vous de nouveau expérimenter, à l’instar d’"Endorama", d’autres courants à l’avenir ?
Sur "Antichrist", plusieurs compos, de par leur orientation très metal mélodique, auraient pu se retrouver sur "Endorama". Leurs influences se suffisent à elles-mêmes. Il me semble donc inutile pour le moment, d’envisager un autre album dans la même veine qu’"Endorama" d’autant que ce dernier opus laisse place à des courants musicaux différents dont la créativité sonore découle naturellement.

Je pense qu’"Endorama" représentait une partie spéciale de votre vie. Vous aviez besoin de pratiquer, d’expérimenter ; peut-être un peu de lassitude, une envie de changement…
Oui, tout à fait. Quand on fait de la musique depuis aussi longtemps on apprend toujours de ce genre de défis et au moment où j’ai préparé "Endorama", il y avait un challenge que je voulais atteindre : me prouver à moi-même et aussi à mon auditoire que j’étais capable de faire un album différent et qui serait tout aussi passionnant.

L’artwork de l’album est vraiment impressionnant ! la pochette transpire du Lovecraft, nous pourrions presque penser au Mythe de Cthulhu. Travaillez-vous toujours avec le même artiste ?
Oui c’est tout à fait vrai concernant Lovecraft dont Spance Cotter s’est inspiré ; c’est la première fois que nous travaillons avec lui. Mais il était très familier de notre univers, j’ai apporté le titre de l’album et lui a apporté ses idées pour la couverture. J’aime énormément ce qu’il fait, il a un réel talent mis à profit pour que notre album ait un artwork vraiment parfait.

Nouvel album, donc nouvelle tournée en vue ?
Nous y travaillons actuellement ; la roadlist est en cours, avec une étape Française en Novembre ou Décembre 2012.



Ok, fin d’interview, je pars acheter ma place. (rires) L’industrie du disque connaît une crise sans précèdent ; quelles solutions vois-tu, peut-être orienter l’activité plus sur du live ?
Oui. C’est beaucoup de travail pour créer les albums mais une autre grosse partie du travail réside dans les concerts live. C’est important aussi de diminuer les risques car la crise est arrivée à cause d’Internet, l’industrie du disque ayant depuis longtemps sauté de plain-pied sur ce média. Il est en effet nécessaire de faire connaître notre travail en multipliant les lives. Nous essayons de faire passer des émotions, pas seulement dans les lives, mais aussi à travers les disques qui nous permettent de présenter notre quotidien et apporter des choses nouvelles en matière de musique aux gens. Je pense qu’il est encore important de sortir des albums. C’est très important pour ceux qui veulent garder un support matériel, dans le metal et dans la musique en général.

Quel changements importants dans l’industrie musicale as-tu observé depuis trente ans ?
(long soupir) Ca a toujours été délicat. Tu sais quand tu veux devenir musicien, j’entends musicien professionnel, tu dois faire des sacrifices. J’ai accepté ces sacrifices. Je ne suis pas un musicien conquérant. J’adore ce que je fais, jouer dans un groupe, réaliser pour nos fans des disques et donner le meilleur en live, donc pour être honnête j’ai toujours été heureux et entends le rester. Je suis au courant de la crise et je connais les choses négatives qui peuvent arriver quand on fait partie d’un groupe. Jouer de la musique c’est juste pouvoir s’exprimer et d’une certaine manière, un vrai régal. Je me sens privilégié. J’ai un certain talent pour m’exprimer à travers la musique.

Depuis 10 ans et votre album "Violent Revolution", nous pouvons dire que vous entamez une sorte de seconde carrière dans le thrash metal.
Peut-être. Ça a été dur pour beaucoup de groupes dans les années 90 où beaucoup de fans de metal ont été ignorés, ont suivi la mode grunge. Tout le monde voulait être hippie. C’était un moment difficile pour beaucoup de groupes et le metal s’est retrouvé dans une crise identitaire. Pour cette raison 2001 n’a jamais été une aussi bonne année pour le metal qui pour le coup, a vraiment progressé.

Avez-vous déjà été sujet à une lassitude, une fatigue au point de vouloir arrêter ?
(précipitamment) Arrêter ? Oh non, il n’en a jamais été question. (hésitation) Ce qui est fatiguant c’est de voyager, mais qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Ce doit être très ennuyeux sans le groupe. (rires)

Que penses-tu de la scène metal actuelle, entre les jeunes groupes de plus en plus nombreux et les légendes qui se reforment ?
Je pense que la scène metal est en très bonne santé. Il y a beaucoup de nouveaux groupes, beaucoup d’importations, de nouvelles influences passionnantes et c’est une très bonne chose, c’est ce qui rend le metal plus puissant que jamais. Je pense que ça restera définitivement dans cet état de choses, enfin pendant encore au moins vingt ou trente ans…

Et pour toi quels sont les groupes les plus prometteurs ?
J’aime beaucoup le groupe Suédois Ghost. C’est très beau. Ecoutez attentivement l’album, c’est vraiment très bien.

Vous existez depuis trente ans… où en serez-vous dans trente ans ?
Je ne sais pas. Je ne peux pas me projeter dans le futur. Je sais que je suis ici maintenant et c’est la raison pour laquelle je vis.

Rendez-vous est donc pris pour la fin de l’année, afin de vérifier si les vieux briscards ont toujours le feu sacré sur scène ; à n’en pas douter, au vue des prestations remarquables des combos trentenaires, ces dernières semaines.


Le site officiel : www.kreator-terrorzone.de