Interview faite par mail par Braindead

Bonjour, pouvez-vous nous présenter le concept Kamera Obscura et faire un background de chacun des membres ?
Jean-Philippe (guitare) : Le concept de KAMERA OBSCURA est né du mélange de nos passions pour les sonorités metalleuses et le cinéma de genre. Chaque morceau est composé en s'inspirant d'un ou plusieurs films. C'est avant tout un projet fait pour la scène, qui mélange musique et vidéo, pour créer une ambiance cinématique. Une sorte de ciné-concert metal qui balaye tout le cinéma qu'on aime au fil des morceaux. Nous venons d'horizons musicaux assez différents, pas forcément metal. Personnellement, je n’ai pas d’autres projets musicaux. Je suis dans le groupe depuis son démarrage en 2008. Je compose et je m'occupe de la partie video.
Cécile (chant) : J’ai rejoint le groupe quelques années après sa création et ai tout de suite été séduite par le concept : des riffs gras, des beats electro, une imagerie crue et graphique, un univers sombre, intrigant et une part de second degré… Le projet avait tout pour me plaire ! Je compose les lignes de chant lead et les harmonies, écris les textes. Lorsqu’on en vient au studio, je m’implique dans la postproduction en interagissant avec Jean-Philippe car j’ai souvent une idée précise sur les arrangements de certaines parties. Je suis très investie dans la vie du groupe, nous sommes en lien quasi permanent : quand on ne planifie pas des dates, on prévoit des enregistrements, on s’interroge sur ce qu’on pourrait faire après, on remet en question notre show, on compose, on rêve au prochain film auquel on rendra hommage ; nous sommes en constante émulation.
Franck (basse) : J’ai découvert KAMERA OBSCURA il y a 1 an et demi, à l’occasion d’un concert commun avec un autre groupe dans lequel je joue (Fugu Dal Bronx). Comme ils jouaient sans bassiste, j’ai assuré la basse sur 2 titres, pour le fun. Ca a été pour moi une révélation. On avait les mêmes références cinématographiques, et musicalement la même envie de jouer énervé, tout en gardant au premier plan une certaine nécessité mélodique, et avec une forte présence des programmations électroniques. Du coup ce qui ne devait être qu’une collaboration ponctuelle s’est muée en une intégration au sein du groupe.
Thibo (batterie) : Pour ma part j’ai intégré le groupe en Mars 2015, je suis donc le petit dernier ! Je suis un batteur de formation rock, mais j’aime trop la musique pour rester cantonné à un style, j’ai donc eu des expériences dans divers types de formations, rock et electro-rock, blues, jazz, ska, punk puis  enfin  metal, où j’ai découvert un univers riche et complexe qui m’a séduit. Sombre par définition, mais  brillant aussi, par la qualité artistique et technique des acteurs et par l’énergie d’un public complètement dingue !

A une époque où on étiquette tout pour mieux contrôler, il me semble impossible de cataloguer le style Kamera Obscura, pourriez-vous le qualifier si cela est possible ?
Jean-Philippe : Au départ, KAMERA OBSCURA a démarré comme un projet metal-indus assez classique, dans la veine de Ministry. Mais finalement, cela a vite dévié au gré de nos influences diverses. On ne s'interdit rien, du moment que ça soit efficace et heavy ! Mais toujours avec une intention mélodique et une touche électronique.
Cécile : On a vraiment du mal à se coller une étiquette… Parfois ça serait plus simple quand on nous programme mais dans le fond, ça nous va très bien. Personnellement, je suis une phobique des “cases”, j’aime les contradictions et les paradoxes. Dans le fond, notre son reste fidèle à nos influences et à la genèse du groupe, nous sommes en mutation permanente, nous ne nous refusons rien mais restons cohérents. Depuis la sortie de “Dark Reels” on s’auto-colle “Cinematic Industrial Metal” mais quand on met un morceau comme “Terror From Outer Space” à côté de “Suffering” on a du mal à trancher sur un style…
Thibo : Il y a un côté heavy, de l’indus, mais c’est très mélodique aussi… question difficile. En tout cas pendant la phase de création, on s’en détache au maximum, on a un son en tête bien sûr, mais on ne se pose pas vraiment de limites…

Vos sources d’inspirations semblent évidentes pour tous les cinéphiles du bis et du Z, cela l’est beaucoup moins pour la génération 2.0. Pourriez-vous nous en dire plus sur vos sources d’inspiration basées sur le noyau soundtrack ?
Jean-Philippe : Notre inspiration vient du cinéma de genre dans toute sa diversité. Les classiques de la Hammer, le giallo, les films d’horreur américains des années 70/80, les kaiju eiga japonais, les post-nuke, les films de kung fu de la Shaw brothers et bien d’autres. Je n’aime pas trop l'appellation Z qui a une connotation négative. Pour moi, des réalisateurs comme Dario Argento, Mario Bava, Terence Fisher ou John Carpenter sont des piliers du cinéma mondial au même titre que d’autres réalisateurs plus “reconnus” dans l’histoire du cinéma. La seule différence, c’est qu’ils ont évolué dans la marge, dans les circuits parallèles du cinéma d’exploitation et des vidéo-clubs. Mais leur influence esthétique est majeure encore aujourd’hui. Musicalement, les B.O de ces films sont aussi d’une grande influence pour moi. Des gens comme Fabio Frizzi (les films de Lucio Fulci), Goblin, John Carpenter, Bruno Nicolaï et bien sûr il maestro Ennio Morricone.
Cécile : Je ne pense pas que ce soit une histoire de génération. Depuis l’explosion des réseaux sociaux, les gens se regroupent par centres d’intêret et non plus par tranches d’âge. Quand tu vas chercher une certaine forme d’art en marge c’est souvent en réaction à des médias qui te servent de la soupe, du médiocre, du consensuel, du politiquement correct…des gens qui font l’effort d’aller chercher ce cinema de marge il y en a dans les nouvelles générations, mais tout comme dans les générations précédentes ils sont peu face à ceux qui consomment directement ce qu’on leur sert en prime time.



Pourquoi avoir choisi ce concept, sachant la source intarissable de matière première qu’il constitue,  et comment l’exploitez-vous tout en restant cohérents ?
Jean-Philippe : Parce que je suis un gros movie-nerd depuis toujours ! Je vis dans un véritable video-club. Le groupe a commencé comme un projet instrumental. On avait tout simplement décidé de remplacer le chant par des samples de dialogues de films. Puis lorsqu’on a intégré une chanteuse dans le groupe, on a quand même gardé en partie ce concept. Ensuite, ça dépend des morceaux. Parfois on part d’un film. C’est lui qui nous donne l’ambiance, le tempo du morceau. Parfois c’est le contraire, on part d’une compo et on cherche le film dont l’ambiance se rapprocherait le plus.

Cécile, telle une diva de giallo, ta voix contribue grandement par son intemporalité au climax des compos. Comment arrives-tu à moduler tes vocaux afin de leur donner une patine si vintage ?
Cécile : Quand je me penche sur l’écriture d’un nouveau morceau, je trace un parallèle entre les expériences des personnages du film auquel il rend hommage et les miennes. “La Frusta E Il Corpo”, “La Maschera Del Demonio”, “The Curse Of Frankenstein”, tout n’est que pure fiction mais l’obsession, la folie, l’orgueil, le désir de vengeance sont des états bien réels… Je suis extrêmement perméable et certainement pas tout à fait seule dans ma tête, je base tout sur les sensations, l’instinct, le fantasme et le vécu… La modulation vient sans doute de tout ça.

Comment se passe le processus de création, vous êtes plutôt brainstorming ou chacun réfléchit à une idée dans son coin ?
Jean-Philippe : Nous ne composons pas en répétition. Nous travaillons d’abord les morceaux en home studio en s’échangeant des fichiers. Chacun y apporte sa contribution jusqu’à ce qu’on arrive à quelque chose qui se tienne avant de le finaliser ensemble en répétition.
Franck : La force du groupe, c’est justement cette capacité à travailler de manière collective. En outre, la voix de Cécile est un élément déterminant de l’identité musicale de KAMERA OBSCURA.
Thibo : On y pense tout le temps ! On maquette, on en parle, on joue les morceaux, ça donne des idées. Les compos évoluent, ce sont un peu nos bébés !

Même si je n’ai jamais assisté à un de vos concerts, votre réputation live est des plus flatteuses, comment construisez-vous vos performances scéniques ?
Jean-Philippe : Heureux d’apprendre que nous avons une réputation live ! Les performances scéniques jouent sur l’interaction entre la musique et la vidéo. La vidéo est présente sur tous nos morceaux, montée à partir des films dont les morceaux s’inspirent. Il y a des séquences dialoguées, des bruitages qui s’intègrent dans les morceaux. Mais il nous arrive aussi de jouer sans la video dans certaines configurations de salles où ce n’est pas possible. Nos morceaux fonctionnent aussi dans une situation de concert plus classique.
Cécile : On ne base pas tout sur la vidéo même si elle fait partie intégrante de notre performance. Où que tu regardes pendant le show, il se passe quelque chose : nous avons chacun notre identité sur scène mais on est en communion. On vit le truc et quand on décroche c’est assez jubilatoire.
Thibo : Merci c’est toujours agréable à entendre ! Chaque concert est diffèrent, on se met en situation pour construire notre set-list et le placement visuel du groupe. On veut donner le meilleur à chaque concert !

L’industrie de la musique a subi une mutation post-crise qui en a laissé plus d’un sur le carreau, comment gérez-vous ces changements et surtout comment appréhendez-vous les évolutions technologiques qui semblaient être un bon outil avant d’engendrer l’overdose ?
Jean-Philippe : Nous fonctionnons depuis le début en complet DIY. Nous gérons tout : la comm’, l’organisation de certaines dates (les soirées Chambre Noire au Klub), le mixage des albums, la créa des artworks, du merch… Aujourd’hui, quand on est dans le circuit de l’autoprod', il faut savoir tout faire. Nous avons la chance d’avoir des compétences professionnelles que nous pouvons mettre au profit du groupe. C’est un plus, mais ça a aussi ses limites car cela demande beaucoup de temps et d’investissement. Ce n’est pas toujours facilement compatible avec une vie de famille et un métier prenant. Mais on ne pourrait plus s’en passer.
Thibo : KAMERA OBSCURA est un groupe indépendant depuis le début donc on ne ressent pas ça. Il est vrai qu’il est plus difficile aujourd’hui de se professionnaliser. Ces dernières années c’est difficile, mais la musique, la culture, c’est une composante de l’humanité, ça évolue, ça ne meurt pas.

Que pensez-vous de la nouvelle scène rock / metal ? Une succession de clones ayant du mal à trouver leur propre identité… ?
Jean-Philippe : C’est un phénomène qui a toujours existé. Quand Led Zeppelin a explosé dans les années 70, un myriade de clones sont apparus dans son ombre (certains très bons d’ailleurs). Cela dit, il y a plein de choses excitantes et originales qui sortent tous les jours. Par exemple, je suis très intéressé par la scène sludge / doom / post-metal. C’est une scène très créative et ouverte, qui mélange et digère des influences très variées pour créer des choses vraiment nouvelles.
Franck : Ce qu’on appelle la scène rock-metal couvre en fait une diversité musicale extrêmement large. Et là-dedans il y a encore des groupes qui arrivent à imposer une signature musicale originale. Je pense en particulier aux Norvégiens de Shining, ou aux Suédois de Ghost. Et que dire d’un groupe comme Killing Joke, qui vient de sortir un album à couper le souffle. Finalement le point commun entre tous ces groupes, c’est leur capacité à sortir des sentiers battus, et à inciter le metal à sortir d’une certaine forme de dogmatisme.



Les B.O constituent votre inspiration première, n’avez-vous jamais fantasmer de créer une musique totalement à vous pour une œuvre cinématographique ?
Jean-Philippe : J’ai déjà composé des musiques pour des courts métrages. C’est un exercice que j'apprécie beaucoup. Mais j’imagine avant tout KAMERA OBSCURA comme un groupe à “chansons”. L’image est en arrière-plan, c’est un support pour habiller les morceaux. Pas le contraire. Notre EP “Copycat” est composé en partie de reprises de B.O de films, mais c’est plus un hommage ponctuel qu’une réelle direction pour le groupe. Nous sommes avant tout un groupe de rock / metal, avec un univers référentiel dont on se nourrit pour alimenter notre propre créativité.

Vous avez déjà assisté à un concert de Goblin ? Aavec quels groupes aimeriez-vous partager l’affiche ?
Jean-Philippe : J’en suis à mon cinquième concert de Goblin. A chaque fois, c’est une réelle émotion pour moi de les voir sur scène. Ils ont quand même composé les B.O de trois de mes films préférés : Suspiria, Profondo Rosso (dont nous avons fait une reprise sur l’EP) de Dario Argento et Zombi de George A. Romero. Mon rêve secret serait de faire la première partie de King Diamond. Je suis un grand fan ! D’où la reprise de "Halloween" sur l’EP. C’est un morceau que nous jouons sur scène depuis très longtemps. Cet EP était l’occasion de l’enregistrer. Sinon, j’ai récemment rêvé que je remplaçais au pied levé Tommy Victor sur scène avec Danzig. Quel pied !
Cécile : On a fêté l’anniversaire de “Profondo Rosso” tous ensemble au Barbican Center à Londres l’an dernier, Goblin y performait “sur” le film… C’était mortel. Il n’y a pas un groupe en particulier avec lequel j’aimerais partager l’affiche… Quand on organise nos soirées, on a la chance de jouer avec des groupes qu’on apprécie artistiquement et humainement et de faire des pures rencontres : Ottokraft, UnderAll, Chemical Sweet Kid avec qui on part faire des concerts en province régulièrement… Sleazys et Fugu Dal Bronx qu’on a rencontrés lorsqu’on a été invité à jouer lors du lancement de la première soirée Metaluna (organisée par Rurik Sallé et Jean-Pierre Putters pour les fans de Mad Movies !!) . Bientôt on jouera avec Shaârghot et Nekrogoblikon, deux groupes qui ont un univers assez proche du notre dans l’imagerie… ça promet d’être monstrueux.

Pour finir, quels sont vos projets à court et long termes ?
Jean-Philippe : Avant tout, tourner, faire des dates (mesdames / messieurs les programmateurs, tourneurs… à bon entendeur !). Actuellement, nous sommes en phase de composition. Nous espérons pouvoir coucher quelque chose en studio dans le courant de l’année 2016.
Franck : De la matière pour envisager l’enregistrement d’un album courant 2016, c’est un beau projet.
Thibo : On aime jouer, donc faire des concerts ! Ça passe par de bons albums, de la communication autour de nous, et continuer encore et toujours de progresser pour devenir meilleurs.
Cécile : Très clairement continuer à se développer, peut-être rejoindre un collectif (voire un roster). Organiser des dates prends du temps et de l’énergie et actuellement on a besoin de  se focaliser sur le prochain album, sur notre show, sur le cœur de ce qu’on fait : composer, jouer et enregistrer de la musique. Merci à toi et à French Metal pour nous avoir proposé cette interview. Merci à ceux qui la liront ! On vous attend le 10 Février au Gibus avec Shaârghot et Nekrogoblikon. D’ici là passez de bonnes fêtes et profitez en… “Copycat” est en téléchargement gratuit sur notre Bandcamp !


Le site officiel : www.kameraobscura.info