Interview faite par Braindead au Bataclan à Paris.

N’ayant pas eu l’occasion d’interviewer Hypno5e lors de leur dernier et remarqué concert dans la vapitale l’année dernière, l’occasion de rattraper cette erreur me fut proposée, les Montpelliérains étant de passage au Bataclan en support d’un autre jeune groupe très prometteur, Gojira. Mario Duplantier étant en retard pour ses balances, l’entretien se déroula dans les toilettes de la salle, un endroit insolite mais assez étanche à une déferlante sonore. Lieu atypique donc, pour un combo qui ne l’est pas moins ; attachant, déstabilisant, novateur, les qualificatifs ne manquent pas. Rencontre avec Manu et Gredin, respectivement voix et bassiste d’une formation aussi passionnée que passionnante.

Vous fêterez vos dix années d’existence l’an prochain, ce qui représente peu vu la qualité de vos productions et beaucoup si l’on prend en compte le contexte actuel, l’occasion de faire une interview Point 0 sur une carrière riche en accomplissements artistiques. Comment analysez-vous cette première décennie, par rapport à vos ambitions communes, votre accomplissement personnel, avez-vous des regrets, des choses que vous auriez aimé changer ?

Gredin (basse) : Nous avons tiré pas mal de jus du premier album et on continue sur le deuxième, tout se passe très bien pour le moment…
Manu (guitare / chant) : Nous avons commencé il y a dix ans, mais le projet est devenu sérieux depuis 2006, avant, nos activités se limitaient à des répétitions, des petits concerts ici et là, mais nous n’étions pas encore dans une optique de long terme.
Gredin : Nous étions encore étudiants à l’époque, puis les études se sont achevées et on s’est tous mis à fond dans HYPNO5E, personnellement, je suis incapable de faire autre chose que de la musique donc… (rires)

Je suis comme beaucoup de groupes, allergique aux étiquettes que je trouve nuisibles, cette volonté de vous faire rentrer dans une case (metalcore, metal prog, screamo, expérimental…) pouvant décourager un public potentiel. Comment pouvons-nous définir le son Hypno5e, sans forcément utiliser des qualificatifs liés à la musique ?
Manu : Je dirais… cinématographique, un album d’HYPNO5E est un film qui se regarde les yeux fermés, donc je dirais cinématographique…

Et bien là, tu viens de niquer ma prochaine question... (rires) Le côté expérimental est toujours présent, vos compos sont longuement élaborées, scénarisées pour ne pas dire cinématographiques, mariant différentes atmosphères, interludes musicaux et samplers de films donnant une patine 1/4 de pouce, le grain d’un vieux Nagra 4S Pilot… Pouvez-vous nous parler du processus de création au sein du groupe, plutôt brainstorming ou apports individuels ? Sur quelles références littéraires, cinématographiques ou musicales vous appuyez-vous ? Comment choisissez-vous les thèmes ?
Gredin : Dans un premier temps, un apport individuel de Manu qui apporte genre 800 riffs à nos oreilles, ensuite nous faisons un brainstorming pour essayer de créer une unité générale en faisant couler les riffs ensembles, après nous utilisons des samples qui aident dans la progression des choses…
Manu : Nous choisissons les thèmes puis élaborons les structures en dessinant une ligne narrative à l’album, les samples qui contribuent à donner du sens aux morceaux, interviennent seulement à la fin du processus de création et ne dictent pas vraiment la composition, nous nous appuyons sur eux pour structurer, comme par exemple "Acid Mist Tomorrow", où les samples de Camus nous ont permis de terminer les morceaux sur lesquels nous bloquions, des inserts de poèmes lus par des artistes, des interviews d’auteurs, moins cinématographiques que les précédents albums. En général, chacun arrive avec sa banque de samples qui correspondent à une certaine esthétique du groupe, puis nous les assemblons, nous collons des extraits afin de reconstruire une phrase… Comme un puzzle contribuant au climax des compos…
Gredin : Tout à fait.

Dans un report réalisé l’année dernière au Glazart, je vous taxais de Pink Floyd du metal, mais finalement on s’oriente plus sur du Ennio Morricone et sa manière de raconter musicalement une scène, vous a-t-on déjà proposé de réaliser une BO ? Seriez-vous ouvert à cette expérience ?
Manu : Nous n’avons pas encore eu de contact en tant que groupe, mais je travaillais avant sur des projets solo, pour des documentaires, courts-métrages, nous aimerions vraiment mettre un film en musique. A la base, HYPNO5E est aussi un spectacle total.

On va en parler aussi, c’est prévu. (rires)
Manu : Ca serait énorme pour nous, de participer à un projet cinéma.



Vous chantez en anglais, parfois en espagnol, suivant les thèmes abordés, seriez-vous tentés de composer dans une autre langue si le sujet s’y prêtait ?
Manu : Lorsqu’on chante en anglais, nous ne posons pas la question, c’est une musicalité qui correspond à ce que l’on cherche, l’espagnol est venu naturellement dans nos albums car j’ai grandi en Amérique du Sud et l’envie d’avoir la présence de cette langue que je trouve très musicale, du coup, il y aura une plus grosse présence de cette langue dans les prochains albums. Après le français ne correspond pas à ce que l’on cherche de par la sonorité des mots, en revanche dans les samples oui.

Certains vous taxent de groupe intello, une récurrence chez ceux qui n’assimilent pas cette richesse culturelle que véhiculent vos créations, ce n’est pas parfois décourageant de prendre son temps à produire une musique habitée, différente des standards habituels, lorsqu’on voit les réactions parfois limites pour ne pas dire puériles d’un public plus habitué à une nouvelle génération de jeunes groupes adeptes d’un copier / coller sans réelle identité, privilégiant la fake communication des réseaux sociaux pour exister ?
Manu : Lorsque nous sommes en tournée, le public est là, connaît nos morceaux, nous pensons avoir dépassé l’étape de la méfiance qui était liée à notre musique un peu à part, à notre son radical.
Gredin : Mais également la durée de nos morceaux (jusqu’à dix minutes).
Manu : Nous sentons une réelle écoute, une curiosité qui n’était pas là au début, mais ça ne nous dérange pas…
Gredin : Nous continuons à faire ce que l’on aime de toute façon.

Votre opinion sur l’évolution de l’industrie musicale ? Est-ce une des raisons pour laquelle vous êtes très actif en termes de communication ?
Manu : Si dès le début, tu mises tout sur la communication en espérant faire exister ton groupe, c’est un risque que l’on n’a pas souhaité prendre, préférant être entouré de vrais pros. Contrairement à d’autres groupes, nous ne sommes pas très à cheval sur la com, c’est peut être notre défaut, mais du coup, ceux qui nous suivent le font pour notre musique et non dans l’attente de bonus, de produits dérivés, petites vidéos quotidiennes etc… nous devons avoir entre trois et cinq vidéos sur YouTube, deux albums, pas de session acoustique… mais bon, il faudra s’y mettre de toute façon. (rires)

Se concentrer sur la qualité des compos restera la meilleure des armes pour communiquer de toute façon.
Manu et Gredin : (en chœur) ça c’est clair…

Vous semblez différents sur vos références culturelles et c’est ce qui constitue également votre force, votre essence, à l’instar d’artistes comme Zombie, Manson, Lordi ou encore le bassiste de Septicflesh, avez-vous d’autres velléités créatives, des ambitions artistiques autres que la musique (la photo, la vidéo, la peinture…) ?
Manu : Nous avons toujours souhaité garder la main mise sur tout ce qui est artistique, le batteur fait les photos, le graphisme, les pochettes conçues par nous, les clips également,y compris en studio.
Gredin : Nus souhaitons garder les rênes…
Manu : …Et se développer encore plus, intégrer vraiment notre image, nous réfléchissons à cela…
Gredin : …Diversifier et multiplier les arts autour de notre musique, en faire une masse artistique…
Manu : …Et multimédia.

Vous avez énormément tourné internationalement. Qualitativement, pouvez-vous identifier en quoi ces expériences vous ont transformé et ont apporté à l’éclectisme de vos compos au niveau des idées, du climax… ? Cela vous aide-t-il à vous débarrasser de toute influence, comme vous l’avez déclaré, peut-être même des vôtres, d’une compo à l’autre, tel un reboot ?
Manu : Avant de tourner, le leitmotiv qui prédominait dans la construction de l’esthétisme du groupe était le voyage, à la recherche d’images qui ajouteraient de la nostalgie à nos morceaux, même si nous savions quel angle leur, voyager nous a davantage apporté sur le plan scénique, et aidé à nous renouveler quatre années durant.
Gredin : D’ailleurs cette influence du voyage se ressent dans le deuxième album, pendant que nous l’écoutions en tournée afin d’achever le mix et les arrangements, nous avons constaté qu’il se prêtait à tous les voyages, en train, en avion ou en voiture, le son passait nickel sur toutes sortes de paysages.

Après la sortie d’"Acid Mist Tomorrow", vous vous êtes remis à l’écriture ou êtes-vous encore en tournée promo ?
Manu : En ce qui me concerne, je compose tout le temps, ces derniers temps essentiellement pour Backward, notre side project acoustique, mais le fait d’être de nouveau en tournée me motive pour le troisième album, je pense que l’on reprendra le chemin du studio en été en réduisant le laps de temps entre ce nouvel album et le précédent, contrairement aux cinq années passées entre le premier et le deuxième.



Ceci dit, rien ne vous empêche de pratiquer les deux projets en même temps, Supuration a réalisé trois albums en vingt ans, un tous les dix ans mais en a sorti neuf sous S.U.P, avez-vous déjà pensé greffer votre double acoustique sur un set électrique ?
Manu : A la base, la session acoustique était un projet HYPNO5E, mais ça a pris des proportions où l’on s’est dit qu’il était dommage de cloisonner ce projet, nous avons décidé de le développer sur du long terme sous l’appellation Backward. Ceci dit même dans HYPNO5E, nous avons intégré des passages "ambiant" qui font penser à notre projet acoustique, nous attendons qu’une chose, avoir de quoi tenir un set de trois heures en proposant un répertoire plus fourni.

Qu’en est-il de ce dispositif scénographique ambitieux avec projection d’images ?
Manu : Nous tournons dans des lieux très différents, du coup il faut un dispositif adaptable à toutes sortes de scènes, en fonction des lieux , c’est ce que nous souhaitons développer, ne pas se limiter à une simple projection d’images, intégrer le public dans notre espace. Nous avons beaucoup d’idées.
Gredin : Nous essayons différents dispositifs, on en parle beaucoup et ça finira par aboutir.

Sans aller jusqu’au nihilisme, votre musique est sombre, sans espoir, vous aviez déclaré en 2010, qu’"Acid Mist Tomorrow" était conforme à ce que vous ressentiez concernant la société. Afin de cerner la couleur de votre prochain opus, dans quel état d’esprit êtes-vous actuellement ?
Manu : Nous ne portons pas un regard sur la société en général, c’est plus l’introspection d’un individu par rapport à d’autres, réaliste certes, mais pas forcément sombre, au contraire nous voyons nos textes comme une marche guerrière, un appel à aller de l’avant, à la confiance en l’être humain, donc aucun nihilisme de notre part.
Gredin : Il y a d’ailleurs, certains passages dans "Acid Mist Tomorrow" qui soumettent l’ouverture.

L’ouverture de l’âme, comme une proposition d’amélioration…
Gredin : Tout à fait, rien que le fait de produire une musique non conservatrice, ça appelle au changement…

La reconnaissance du metal hexagonal sur un plan International est en grande partie due à des formations venant du Sud : Gojira, Dagoba, Eths… Comment expliquez-vous la présence d’un tel vivier de talents ?
Gredin : C’est culturel, une histoire d’ouverture d’esprit, aux Etats Unis ils sont plus basiques, les Allemands veulent du thrash des années 80, c’est très dur de percer…

Y a-t-il un groupe, un artiste avec lequel vous souhaiteriez collaborer sur un projet commun ?
Manu : Nous pensons à des collaborations extra musicales, réaliser des projets avec des plasticiens, théâtre, danse ou travailler sur un long métrage, tout ce qui implique les arts scéniques…
Gredin : D’autres musiciens, d’autres instruments…
Manu : Oui des instruments de styles différents, une collaboration avec deux ou trois chanteurs latinos me plairait bien.
Gredin : Pour "Acid Mist Tomorrow", nous avons mis du charengo…
Manu : Les sonorités latino, j’adore les instruments à vent, clarinette, le haut bois…
Gredin : La contrebasse…

Une petite séance de photos dans les gradins du Bataclan et je laisse Manu et Gredin rejoindre la scène pour leurs balances, avec le sentiment que le phénomène Hypno5e n’en est qu’à ses balbutiements, le potentiel du groupe à se renouveler devrait me donner raison.


Le site officiel : www.hypno5e.com