Interview faite par Tiana à Paris.

Salut Hacride ! Par rapport à "Amoeba", vous avez franchi de nouvelles étapes dans la complexité de la composition ; quel a été le cheminement créatif entre les deux ? Qu’est-ce qui a évolué dans votre manière de composer, de travailler ?
Sam (chant) : (regardant vers Adrien) C’est lui qui compose, c’est pour ça que je le regarde (rires).
Adrien (guitare) : Je ne sais pas s’il y a une évolution. Y’a eu évidemment une progression, ça c’est sûr : on essaye de corriger les erreurs du passé s’il y en a eu. Là, on a essayé de pousser le vice jusqu’au bout, c’est-à-dire qu’on a pris exactement les mêmes méthodes de composition : je compose l’ensemble de la musique, basse, batterie, guitare, samples, arrangements, etc., et ça me permet après de proposer un CD que les autres membres du groupe pourront objectiver, écouter, de manière à décortiquer un peu toute la musique, de l’apprendre par cœur, et de faire en sorte que ce ne soit presque pas notre musique, je sais pas si tu vois ce que je veux dire… un peu comme si t’achetais un CD à la FNAC, tu le mettais dans ta platine puis tu te disais : bon, ben maintenant je vais réenregistrer ce CD, mais avec ce que je pourrais arranger. Et donc ça, c’est tout le principe d’HACRIDE, en tout cas dans la manière de composer et la manière de réaliser l’album.

D’un côté, il y a une grande précision dans la manière de composer, la manière de jouer. D’un autre côté, par rapport à "Amoeba", les émotions sont beaucoup plus présentes sur les titres. Est-ce que c’était important pour vous d’aller plus dans l’émotion, est-ce que ça fait partie de cette progression dont vous parliez ?
Sam : Oui, tout à fait. Sur "Amoeba", en fait, on avait déjà un peu ouvert cette porte aux émotions, à la profondeur, au côté atmosphérique, et c’est vrai que sur "Lazarus", on a voulu arrêter de prendre le côté stéréotypé du metal avec ce côté incisif sur la double grosse caisse, et trouver d’autres manières d’exprimer des choses tout en gardant une puissance, une force, mais en allant plus dans l’émotion. Donc ça demande énormément de précision mais aussi de rechercher une intensité, une couleur, une profondeur dans ce que l’on est en train d’amener. Donc oui, il y a eu le fait de prendre un petit peu le contrepied de ce qui se fait aussi – peut-être trop – dans les groupes actuels de toujours reprendre des choses qui existent, qui sont des valeurs sûres. Et du coup on n’a pas voulu aller sur des choses dont on savait qu’elles marchaient mais plutôt se mettre un peu en danger et trouver d’autres façons de voir la musique pour essayer de faire passer d’autres types d’émotions, ce qui a donné quelque chose d’un peu plus profond, de plus sensoriel.

Donc c’est un peu ça, la surenchère dont vous parliez, que recherchent beaucoup de groupes actuellement, ce fait de chercher toujours plus bourrin, plus ceci, plus cela, sans forcément avoir plus de sens ?
Adrien : Au final, c’est un contresens car on fait du rock, le metal c’est du rock, nos pères sont Jimmy Hendrix ou Pink Floyd. La surenchère dans le son artificiel, dans le son de plus en plus fort n’a plus aucun sens et du coup, ça fatigue l’oreille. Nous, on était un peu fatigués de tous ces sons complètement synthétiques, on se disait qu’on ne jouait plus d’un instrument, on joue du synthé !
Sam : Est-ce qu’on parle de violence dans la musique par la vitesse d’exécution de certaines choses, ou est-ce qu’on parle d’intensité ? Et là, quand on va dans la vitesse, il faut savoir que dans le flamenco, ils vont plus vite que nous à la guitare, des fois ! Ce que je veux dire par là, c’est qu’on est capables aussi de voir de la force et de l’énergie, puisque c’est quand même le fil conducteur de la musique metal autrement que dans de la vitesse d’exécution, que dans une double pédale qui syncope dans tous les sens, du gros blast beat et plutôt dans un accord majeur qui va plomber à un endroit, qui va être tordu, avec un sample qui te fait mal au cerveau, en trouvant une petite voix claire derrière… trouver une sensibilité qui va toucher les gens autrement mais en gardant une énergie ultra présente car il ne faut pas non plus avoir un truc trop léger.
Adrien : Tu peux aussi avoir de la violence dans l’usure, c’est-à-dire que là aussi, tu plonges quelqu’un dans un univers - c’est ce qu’on a essayé de faire - et quand la personne est plongée, essayer de lui percer un peu le cerveau, avoir des sons très très bizarres, des voix qui vont t’agresser un petit peu. C’est clair, on n’est pas que dans le rapide, dans l’exécution, dans du gros technique. Pour nous, c’est de l’anti musique. Le principe, pour nous, c’est le langage, c’est comment exprimer quelque chose que tu ne peux pas dire par tes propres moyens, par la parole, etc. Donc pour moi, les trucs où il y en a partout, ça ne veut plus rien dire ; je ne sais pas où on va, mais on est dans l’anti musique.
Sam : On se dit souvent que la technique doit servir la musique, pas l’inverse, c’est-à-dire qu’on a d’abord une idée, une volonté d’aller dans une direction, dans un état d’esprit, une couleur, et on met la technique s’il y a besoin. Y’a des groupes qui mettent deux accords et qui te font sauter au plafond !

Comme Nirvana !
Sam : Voilà, on a les mêmes références tous les trois. Et il faut bien le rappeler, c’est important.



"Lazarus" est un peu un concept-album, il y a un fil conducteur. Qu’essayez-vous de faire passer à l’auditeur, dans "Lazarus", est-ce qu’il y a une histoire ?
Sam : Il y a une histoire. Adrien a fait une maquette globale, donc c’est un peu un jet entier qu’il nous a présenté, et après pour les textes, j’ai travaillé de la même façon, j’ai écrit une histoire globale, j’ai voulu exprimer ce que je ressentais, moi, sur sa musique, ce qui m’intéressait de mettre en avant, si ça me parlait de ça ou de ça. Donc l’idée générale, c’est un personnage qui se sent mal dans l’environnement dans lequel il vit, l’environnement extérieur, le système qui l’entoure. Il se sent un peu en décalage avec tout ce qui se passe et il est sur un fil où il peut trébucher ou se mettre en danger lui-même, ou mettre en danger les autres, à n’importe quel moment. Et comment toute personne, au fond - c’est ce que je crois, personnellement – on a des choses au fond de nous qu’on n’est pas capables de percevoir sur des moments extrêmes, et on a tous – je le mets à un moment donné dans les paroles – cet instinct de survie au fond de nous, et ça peut ressortir n’importe quand. C’est l’histoire de ce personnage qui va évoluer, au fur et à mesure des chapitres – on a voulu aller dans une globalité donc on parle de chapitres plus que de chansons ou de titres – et comment il évolue, comment il va aller jusqu’à ce moment… on ne parle pas de ce qu’il va faire mais on essaye de voir le cheminement qu’il a, et comment c’est en décalage, ce qu’il ressent, pour arriver à ce moment crucial où il va faire cette connerie – connerie ou pas connerie, on s’en fout, on ne veut pas justement parler de...
Adrien : L’important, c’est le cheminement… suivre une personne d’un début à une fin, voir soit la détérioration de sa psychologie, soit l’amélioration, on ne sait pas trop, au final, et qui, comme dit Sam, à la fin, est déterminé à faire quelque chose, on peut sous-entendre que c’est soit une grosse connerie, soit c’est l’éveil, mais en tout cas, c’est ça, "Lazarus", le cheminement.
Sam : Je peux le faire assez rapide si tu veux, j’ai été rôdé aujourd’hui (rires). "To Walk Among Them", c’est vraiment l’introduction, c’est tout le contexte du personnage, sa relation avec les autres, comment les autres le voient, sa position par rapport au système qui l’entoure. Après on tombe dans "Act Of God" : là, c’est plus une fuite physique du personnage, c’est-à-dire que lui, physiquement, il est en train de s’éloigner de ce système, des gens, il s’écarte de lui-même. Ensuite, on tombe dans "Lazarus" : c’est plus mentalement que là il s’écarte des gens par la pensée, par les idées, et il commence à se rendre compte que ses pensées ne sont plus les mêmes que les autres. Après on tombe dans "Phenomenon", qui est un morceau un peu plus neutre que les autres, c’est une couleur générale et pas plein de couleurs et là, du coup, il n’y a pas de paroles, c’est comme si c’était un peu un sommeil pour le personnage. Après, on arrive sur "A World Of Lies" : c’est un moment où le personnage est entre les deux, entre ce sommeil et l’éveil, ce sont un peu des rêves éveillés, on ne sait pas trop ce qu’il se passe. Il y a un petit clin d’œil sur "Amoeba" où on reparle des amibes, etc. il est dans ses pensées. Après, il y a "Awakening", il se réveille, il voit la réalité comme il la voit après son réveil. Après, on finit par "My Enemy", le dernier morceau de l’album où là, ça s’arrête un peu au moment où on ne sait pas ce qu’il va se passer, on s’arrête sans dire ce qu’il se passe derrière. Voilà à peu près le cheminement général.

Est-ce que cette fin est une ouverture pour la suite ?
Adrien : Tous nos morceaux de fin ont toujours eu une phase d’ouverture, car il y a toujours une grande montée, un peu comme dans "On The Threshold Of Death", un peu lyrique, voire symphonique, et tout d’un coup paf ! ça s’arrête, ce qui fait qu’on a un sentiment de manque. Donc oui, c’est le sentiment, musical en tout cas, qu’on peut avoir : à la fin tu te dis : j’attends la suite.

C’est une forme de cliffhanger ?
Adrien : Voilà, tout à fait. Et ça laisse entrevoir quelque chose pour la suite. On ne sait pas quoi pour l’instant, mais il y aura quelque chose, c’est sûr. Du point de vue musical, on sait où on ne veut pas aller, c’est déjà pas mal (rires), après, on sait qu’on fournira le même temps de recherche, le même temps de sueur et de petites nuits qu’on a eu pour l’album.
Sam : Moi je sais qu’on a bien travaillé, sur "Lazarus", sur la complémentarité des paroles et de la composition. Du coup, on en a déjà un peu parlé avec Adrien : on va encore plus travailler en amont l’emboîtement entre le sens des paroles et la composition pour que dès le début de la composition, on ait déjà des idées sur les thèmes, le choix des paroles pour que ça réinfluence la musique. Après, te dire s’il va y avoir tel riff ou tel riff, non, on n’en sait rien du tout… de toute façon, c’est Adrien qui aura la solution à cette problématique complexe.

C’est Huggy les bons tuyaux, un peu ! (rires)
Adrien : Oh c’est bien, ça, je garde ! Adri les bons tuyaux !

Comme il y a une progression d’un morceau à l’autre, sur scène, est-ce facile à retranscrire ? Devez-vous jouer les morceaux dans l’ordre, pouvez-vous intégrer des morceaux d’"Amoeba" ?
Adrien : Très bonne question, ça a été très dur. La setlist a été très compliquée à faire car comme tu dis, comment intégrer un morceau d’"Amoeba" dans cet univers-là ? C’était un peu le casse-tête, tout ne marchait pas. Donc il fallait qu’à un moment, il y ait une cassure dans le set, c’est-à-dire on surfe entre des morceaux hypnotiques et des morceaux assez violents, qui sont aussi hypnotiques mais plus violents et du point de vue des tempos, c’était très difficile à gérer. Donc on a réussi à trouver un bon équilibre, on a nos morceaux d’Amoeba qui ont un statut de relance pour ceux qui commencent un peu trop à plonger dans le côté hypnotique des nouveaux morceaux et puis les morceaux de Lazarus qui sont vraiment là pour essayer de remplir un espace physique car ils sont beaucoup plus amples et beaucoup plus chargés que ceux d’"Amoeba". Donc on va voir comment ça se passe, scéniquement parlant.
Sam : D’ailleurs petite anecdote, pour la difficulté, c’est qu’il y a eu aussi un changement d’accordage des guitares et ça a créé une complexité supplémentaire sur scène parce qu’il y a un changement de guitares au niveau des passages des morceaux d’"Amoeba" à ceux de "Lazarus", donc il y avait aussi cette contrainte-là qui se rajoutait à la complexité des atmosphères et des choix des chansons. Techniquement, c’est vrai qu’il faut après gérer aussi toutes ces contraintes-là en live pour pas que ça créé de trouble, pas trop de blancs dans les entre-morceaux. Mais on a deux sets qui tiennent plutôt pas mal, dont on est assez contents, qu’on a déjà expérimentés et on testera ça demain encore plus.

Qu’avez-vous à me dire sur la pochette, comment la reliez-vous à l’histoire de "Lazarus", d’où est venue l’idée de cette image-là ?
Sam : C’est le graphiste qui a trouvé le visuel, on n’a pas participé à sa recherche. Par contre il avait eu les maquettes et il s’est laissé inspirer, j’ai l’impression. Et c’est vrai que nous on y voit plein de choses en lien avec le nom de l’album, les paroles, la musique, ce côté simple et en même temps profond, c’est-à-dire que c’est unitaire parce que c’est juste un visage d’un personnage et en même temps il y a énormément de détails : muscles, os, tendons. Ça représente un peu "Lazarus", une ambiance générale unitaire et après en détails à travers la recherche esthétique et graphique du personnage. Il y a ce côté biologique, scientifique, on a tablé là-dessus, on trouvait ça intéressant.
Adrien : C’est entre l’aspect scientifique et l’aspect un peu plus philosophique.



J’ai souvent lu dans vos interviews que vous vous définissiez comme groupe progressif. Est-ce que c’est toujours comme ça que vous vous voyez, est-ce une étiquette ou justement refusez-vous les étiquettes ? Comment vous situez-vous par rapport à ça ?
Adrien : Les étiquettes, en règle générale, les groupes n’aiment pas trop ça parce que ça oriente les gens.
Sam : Après, être progressif, c’est pas la pire des étiquettes parce que c’est tellement vaste que ça couvre plein de choses.
Adrien : Oui et non car une partie des gens qui vont entendre progressif vont penser Symphony X, Rhapsody ou Dream Theater. Pour nous, le terme progressif, on le prend au sens premier : c’est progrès – évidemment sans aucune prétention, mais dans le style, on se sent plus proches de groupes comme Porcupine Tree, Radiohead, Tool, The Mars Volta, Opeth, Messhugah, Devin Townsend : pour moi, c’est des groupes progressifs parce qu’ils poussent le truc tellement loin qu’ils poussent les gens à renouveler un peu leur esthétisme, l’esthétisme conventionnel.
Sam : Ce n’est pas parce que tu fais un morceau de 15 minutes que t’es progressif, forcément.
Adrien : Et c’est pas parce que t’envoies des gammes à tout va, que tu fais des solos toutes les 3 minutes, etc. que t’es progressif. Non, ça c’est régressif. Dream Theater, Symphony X ça fait longtemps qu’ils ne font plus de progressif, il n’y a plus de progrès, ils font les mêmes albums tout le temps, on est dans du heavy technique, je sais pas comment on peut appeler ça.
Sam : Des groupes comme Led Zeppelin, Pink Floyd ou même Queen, c’est des groupes qui avaient déjà ouvert la voie à cette vision de la musique où tu peux balancer des riffs et créer des ambiances et partir dans des univers complètement différents, alambiqués, paradoxaux à travers une même chanson. Nous ça nous parle autant, c’est vrai… comme on a l’habitude de dire Dream Theater, c’est progressif, c’est l’emblème du prog etc. Nous on a d’autres références, peut-être, tout simplement. Y’a des groupes qui avaient fait ça avant, pas forcément du metal, en plus. Et ce qu’on aime bien à travers ce côté progressif, c’est pour ça que je trouve que c’est une étiquette qui est intéressante, c’est que ça te cible pas dans le côté metal, death metal, ou quoi… tu fais du prog. Et après, tu fais quoi, comme prog ? Tu peux faire de l’electro prog, tu peux faire du jazz prog, du rock prog, du death prog… on s’en fout, en fait ! Le principal, c’est que tu sais que tu vas emmener les gens dans une espèce de cheminement et je pense que c’est ça qui nous plaît bien dans cette étiquette-là.
Adrien : Progressif, c’est juste une volonté de prendre un chemin un peu parallèle.

Il y a eu une diversification du chant, une présence nettement plus appuyée du chant clair. Est-ce que ça faisait partie de la démarche, de la recherche des émotions ?
Sam : Je l’avais pas forcément calculé au début, c’est vraiment la musique, les compositions d’Adrien, qui m’ont engagé dans cette direction-là, c’est-à-dire que les compositions auraient été plus noires, plus speed, tout ça, je serais peut-être resté sur un chant plus crié. Et quand j’ai écouté ses premières maquettes, ça a été un peu comme une évidence. Je ne pouvais pas rester dans ce que j’avais fait sur "Amoeba", il fallait que j’amène de nouvelles choses, des choses plus douces, plus profondes aussi, avec plus de sensibilité. Donc le son clair m’a aidé aussi à exprimer certaines idées que j’avais par rapport à la musique. Je n’avais jamais travaillé ce genre de chant avant, donc c’était une prise de risques assez compliquée pour moi ! Je chantais comme ça, mais plus pour moi, pas spécialement pour les groupes, pour la musique avec HACRIDE. Et j’ai aimé cette expérience, car ça m’a élargi un panel qui m’intéresse vachement. Donc du coup, c’était mon défi sur cet album, c’était pas simple, il a fallu que je travaille aussi mais en tout cas, ça m’inspire pour la suite, ça c’est sûr.

Internet est un outil un peu à double tranchant : d’un côté, les internautes vont télécharger, d’un autre, ça permet aux groupes de se faire connaître, notamment dans le metal où tout le monde n’est pas signé ou bien distribué. Vous, quel est votre rapport à Internet ?
Sam : On essaye d’être bien à jour sur Internet. Notre bassiste Ben est très au point là-dessus, il a développé ça depuis le début avec HACRIDE, on est très visibles sur la toile, au niveau de Myspace, de Facebook, tous ces outils-là. Après, oui, c’est plus le rapport avec la vente du CD, le téléchargement : on va pas se leurrer, ça nous a fait baisser les ventes de CD, mais est un groupe assez jeune et on est en train de commencer notre carrière - enfin on espère -et du coup, notre image est diffusée : là sur "Lazarus", on s’est rendus compte que des gens en Inde écoutaient ce qu’on faisait, au Japon, en Australie, dans les pays Arabes, en Afrique du Sud, j’en sais rien, enfin tu vois, on n’aurait pas pu toucher ça il y a 15 ans. Alors il faut aussi peser le pour et le contre : c’est sûr, ça t’enlève des ventes de CD, mais après, qu’est-ce qu’on cherche à faire, nous ? Gagner de l’argent ? Pas forcément, on n’en a jamais gagné de toute façon, donc comme ça, c’est réglé, mais du coup on est contents aussi de voir que notre musique se diffuse. C’est plus après le rapport avec notre label, les gens qui travaillent avec nous… c’est vrai que c’est compliqué pour eux. Nous on est contents que les gens nous connaissent, mais pour un label, qui doit investir sur un groupe, qui doit te filer de l’argent pour enregistrer tes albums, pour faire ton merchandising, pour t’aider pour plein de choses, pour faire de la promo… si toi tu vends pas de CD, lui n’a pas d’argent qui rentre, au bout d’un moment. C’est le seul rapport que tu peux avoir direct avec lui. Je pense qu’il va exister d’autres moyens, au fur et à mesure, on espère, pour le téléchargement sur Internet et tout ça, mais oui, c’est problématique quand même.
Adrien : Mais c’est vraiment catastrophique, les ventes de CD. On a évidemment été touchés. "Amoeba" s’est très bien vendu, on va pas se plaindre, du coup, on s’est permis certaines friandises pour "Lazarus", on a eu un bon budget pour pouvoir produire notre album. Mais quand je dis que la vente, c’est une catastrophe, c’est qu’en règle générale, les maisons de disques et distributeurs, je veux pas dire de bêtises mais ça va pas durer… on a peur qu’ils ne puissent plus nous aider après. Moi le seul truc qui me pose vraiment un problème avec Internet, c’est l’attitude qu’il y a. C’est-à-dire, moi, je télécharge, j’achète aussi : je télécharge, j’écoute. J’aime bien, je vais acheter, j’aime pas, je mets à la poubelle, c’est aussi simple que ça. Ce qui est bien, maintenant, c’est qu’on peut goûter avant de se faire avoir. Mais le problème, c’est que les nouvelles générations aujourd’hui n’achètent aucun CD, téléchargent tout, foutent sur leur IPod, et au moment où normalement ils en ont marre du CD, ils le jarrtent et puis voilà. En fait, on est dans du consommable et moi ça me pose un problème, parce qu’ils sont dans la gratuité de la culture, et moi je leur explique que cette culture-là n’est pas gratuite. Moi j’ai mis un an et demi à composer l’album, on a été cinq en studio, l’album a coûté très cher, il a fallu qu’on paye des gens, la maison de disques a payé des choses… Concrètement, ce truc-là, quand tu manges une pomme, ça marche pas… c’est l’éducation des personnes, et c’est là où il y a un effort à faire, c’est pas interdire le téléchargement, etc. c’est leur expliquer. Alors évidemment, ils ont Madonna devant eux qui a trois baraques à Beverly Hills, mais il faut leur faire comprendre qu’il y a une éducation, un respect de l’artiste à avoir.
Sam : Mais les maisons de disques sont aussi assez démagos derrière tout ça parce que c’est pas normal, quand même, que ce soit un gamin de 14 ans en Angleterre qui ait créé le peer to peer ! C’est quand même paradoxal ! Y’a des mecs ça fait 25 ans qu’ils sont dans des boîtes, ils n’avaient pas pensé à ça avant ? Moi ça me paraît bizarre, je me dis à un moment donné, c’était quand même à eux d’anticiper ces choses-là. C’est pas possible qu’un gamin de 14 ans plombe un système comme ça. Et après, c’est vrai que l’industrie du disque au réel fonctionne très bien : les CD-R se sont jamais aussi bien vendus qu’aujourd’hui. Donc après, c’est qui qui récupère ? Ce sont bien sûr les multinationales : Sony-BMG, ils font des artistes, et ils font aussi des platines CD et des graveurs CD. C’est un milieu, en fait, qu’on a l’impression de ne pas vraiment maîtriser, et on peut pas en vouloir aux jeunes. Alors après, qu’on nous valorise sur scène, qu’on valorise le live.
Adrien : Le CD n’a pas beaucoup de temps d’existence, je pense. Soit il y a une éducation à faire du point de vue d’Internet, soit comme dit Sam, il y a une valorisation du live, et c’est ce qu’on fait depuis le début : on fait de la musique pour pouvoir la partager. Mais à un moment, ça va clasher.
Sam : C’est vrai que c’est un sujet qui est épineux et on n’a pas la solution de notre côté. Je pense qu’il faut creuser les nouvelles possibilités de plateformes avec Internet etc. Et on se doit, en tant que groupe, si on veut aller vers l’avant, de maîtriser cet outil-là, pour revenir à ta question initiale, d’être présents sur la toile et de pouvoir suivre toutes ces choses-là. Vaste débat !

Merci beaucoup, Hacride !


Le site officiel : www.hacride.com