Interview faite par mail par E.L.P

Salut à toute l’équipe Enslaved ! Nous allons donc commencer cette entrevue par quelques mots sur votre son ô combien singulier et son évolution... Quand avez-vous ressenti le besoin de "métamorphoser" votre univers musical ? Peut-être cette envie a-t-elle toujours été présente et fondamentale pour faire avancer la formation ?
Grutle Kjellson (chant / basse) : Alors oui, on peut définitivement présenter ça de cette façon ! La création musicale a, pour nous, une valeur de "nouveauté", nous cherchons constamment à créer quelque chose d’inédit et de neuf et détestons, tous autant que nous sommes, l’idée de nous répéter et de stagner. Nous avons, par chance, toujours su évoluer de cette façon, d’autant que nous le faisons avant tout, pour nous faire plaisir, pour créer notre musique favorite (et proposer des albums que l’on peut écouter avec envie sans s’en lasser (rires)). Nous osons effectivement opérer certains changements d’un album à l’autre, mais j’ai le sentiments que nos fans y sont réceptifs et qu’ils finissent par s’y adapter et par y prendre goût d’une certaine façon !

En ayant débuté cette belle aventure il y a de ça 24 ans, quels ont été les plus importants changements opérés par la formation ? Où vous voyez-vous au sein de cette grand industrie qu’est devenue celle de la musique après près d’un quart de siècle passé à la fréquenter ?
Oh oui, bien des choses ont changé depuis nos débuts, c’est certain, à commencer par nous-mêmes ! Nous sommes devenus de bien meilleurs musiciens, auteurs, compositeurs et sommes désormais des Hommes plus développés et accomplis. Ce sont des évolutions naturelles mais il y a également le fait que notre passion soit toujours intacte, nous avons toujours le même enthousiasme qu’en 1991 et c’est, à mon sens, l’une des composante des plus importantes : conserver ce bouillonnement, ce plaisir et cette envie ! D’un autre côté, l’industrie musicale a, elle aussi, énormément évolué, elle a fait des bonds de géant depuis nos débuts, à commencer par son adaptation au développement d’Internet avec tout ce que cela implique quant au streaming, au téléchargement et autres dématérialisation des contenus... Nous n’avions pas tout ça dans les années 90 et avons même été contraints de nous adapter, nous aussi, à certaines idées pour nous permettre d'évoluer ! Tout a changé avec l'essor d’Internet, et pas toujours en bien malheureusement, à commencer par notre relation aux formats physiques (surtout pour les plus jeunes d’entre nous) et l’impact sur les ventes de CDs, cassettes et vinyles par exemple, mais ce n’est plus une surprise à présent...

Malgré cela vous avez donc su garder le cap, et vos messages n’ont pas été influencés par ces différents "bouleversements". Par exemple, votre art reste essentiellement basé sur la mythologie et le patrimoine nordique, qui sont des valeurs que certains peuvent trouver désuètes. Ces croyances et ces valeurs que vous défendez sont-elles au coeur de votre vie aussi bien sur qu’hors scène ? (spirituellement et philosophiquement parlant)
Oui, bien sûr, on peut trouver énormément de leçons de vie et d’enseignements dans les anciens poèmes nordiques / scaldiques ou les sagas, et ces idées ne sont pas incompatibles avec notre époque, bien au contraire ! Rien qu’en prenant l’exemple des enseignements que contiennent l’"Haavamaal", on comprend que la poésie nordique est fantastique et qu’elle regorge d’inspiration. C’est pour cette raison qu’elle restera centrale dans l’univers d’ENSLAVED !

Puisque nous parlons des débuts de la formation, il semblerait que l’un de vos meilleurs souvenirs de tournée soit celui, en plus de vos premières expériences sur la route, de votre troisième tournée aux côtés de Marduk ! Que penses-tu de leur petit dernier, "Frontschwein" ? Êtes-vous toujours proches ?
Je dois bien admettre que je n’ai malheureusement pas écouté un album de Marduk en 15 ans. La qualité est certainement toujours au rendez-vous mais je me suis éloigné de ce genre de musique il y a bien longtemps... Ceci étant, nous sommes toujours assez proches avec Bogge, leur second bassiste, nous sommes de très bons amis depuis près de 20 ans et j’espère bien que ça le restera ! (rires)

Et quelles seraient vos récents souvenirs les plus marquants ?
Nous avons récemment tourné aux États-Unis et au Canada aux côtés du groupe Yob (Ndlr : doom, E.U) et c’était vraiment une superbe expérience ! Nous nous sommes très bien entendus dès le départ et ça a duré toute la tournée. Je pense que nous avons établi une amitié plus que durable. Ce sont d’excellents partenaires de tournée mais aussi, et surtout un vrai, bon groupe, d’ailleurs j’ai même terminé sur scène pour chanter avec eux sur un de leurs morceaux ! (rires)

Puisque nous en sommes a évoquer les amis et autres souvenirs, que pourrais-tu nous dire au sujet des liens que vous entretenez avec, par exemple : Wardruna ? Pouvons-nous espérer vous retrouver un jour sur la même affiche ?
Alors, même si nous n’avons joué ensemble que lors du concert "Skuggsja" au Roadburn Festival d’Avril dernier nous avons, là encore, posé les bases d’une solide relation ! Nous avons passé un excellent moment sur scène avec eux au-delà du simple fait que ce soit de remarquables musiciens et êtres humains. Je ne suis donc en rien réfractaire à une affiche nous rassemblant tous les 2, ce serait même un groupement de tournée mémorable maintenant que tu en parles ! (rires)



Vous avez quasiment remporté un Grammy du metal norvégien tous les 2 ans depuis 2004 ! Quel effet cela fait-il d’être à ce point reconnu par les vôtres ? Par votre pays ?
C’est évidement très flatteur et intense de constater que l’on parvient à attirer tant d’attention avec notre musique, d’autant que ça n’a pas toujours été le cas en Norvège, surtout dans les années 90 durant lesquelles nous étions tous vu comme des païens, des criminels et des meurtriers plutôt que comme des musiciens... C’était relativement compliqué de jouer du metal à cette époque !

Auriez-vous pu espérer un tel engouement et une telle acceptation de votre travail ?
Disons que l’espoir a toujours été présent, et ce dès nos débuts, et malgré le climat des années 90 ! (rires) Mais puisque qu’au final tout n’est qu’affaire de travail et d’efforts nous savions que nous avions le potentiel pour faire du groupe ce que nous voulions qu’il devienne, sans jamais baisser les bras ! Je pense que là où nous avons véritablement pu récolter le fruit de nos longues années de travail c’est en 2004 lors de la sortie d’"Isa", album avec lequel nous avons pu remporter notre premier Grammy.

Et où donc pouvez-vous bien vous voir, aussi bien au travers d’"In Times" que pour un avenir plus lointain ?
Eh bien, pour l’instant tout s’annonce pour le mieux ! Nous avons vécu une incroyable tournée États-Unis / Canada/Mexique et la saison des festivals européen ne fait que commencer donc tout va pour le mieux pour l’instant. (rires) Nous avons également de très nombreux et positifs retours sur "In Times" donc nous n’avons plus qu’à nous laisser porter et profiter de tout ce que les prochains mois nous réservent ! Nous avons vraiment hâte de nous retrouver sur scène.

Vous avez incontestablement été entourés par des partenaires de choix comme Scion AV et Nuclear Blast ! Vous sentez-vous confiants quant à leur travail de promotion aussi bien d’"In Times" que, plus largement, du groupe ?
Plus que jamais, oui ! Nous avons une confiance absolue en Nuclear Blast et leurs équipes, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, fournissent un travail de qualité et nous sommes vraiment chanceux d’avoir pareil soutien. Ça fait déjà un petit paquet d’années qu’ils nous suivent avec autant de professionnalisme et nous espérons pouvoir continuer cet excellente collaboration dans les années à venir !

Pour la création de ce dernier opus vous avez, une fois encore, travaillé avec des personnes très proches de vous comme Truls mais également avec beaucoup d’efforts et de soins en interne. A-t-il été délicat de trouver votre rythme de croisière dans cet environnement de travail très "personnel" ?
C’est tout à fait vrai, oui, comme je te l’ai dit plus tôt, nous avons grandi et évolué en tant qu’auteurs et compositeurs. Nous travaillons tous dans la même direction même si les points de vues ne sont pas forcément identiques au départ. Nous fonctionnons vraiment bien ensemble et nos évolutions respectives ont fait de nous une équipe de production aguerrie et efficace !

Quels genre de changements avez-vous traversés avec la genèse de ce dernier opus ?
Le plus grand défi est toujours de se surpasser personnellement... En tant que musicien il faut s'efforcer de penser plus loin, il faut oser s’aventurer dans les contrées le plus hasardeuses et prendre des risques pour ne pas se répéter et tomber dans la routine ! Chaque album est une aventure, un voyage dans l’incertitude et c’est précisément ce qui rend ce voyage intéressant et fascinant ! Si l’on se met à faire de la musique sans risque ou des albums éde sécuritéé, mieux vaut s’arrêter là et changer d’activité !

Pour cet album vous avez travaillé dans votre studio personnel, un environnement calme, chaleureux et confortable artistiquement mais puisque que vous avez laissé le mixage et le mastering a un tiers, n’avez-vous pas eu du mal à laisser filer le fruit de toutes ces longues heures de travail ?
Alors, oui, nous avons travaillé et modelé notre album nous-mêmes mais cela n’aurait pas été sain de le mixer et le masteriser. Mieux vaut avoir une personne extérieure pour prendre en charge cette partie-là du travail, ça permet d’avoir un apport extérieur, un regard externe impartial et c’est exactement ce que nous avons pu trouver en la personne de Jens Borgen, c’est un excellent technicien et il nous connaît si bien... !

Vous semblez véritablement fonctionner à l'affect et de façon très spontanée. Quels ont été les titres les plus difficiles à appréhender lors de l’enregistrement ?
C’est vrai, et c’est essentiel d’avoir cette spontanéité-là, il faut ajouter de l’humain aux pistes que l’on enregistre. Encore une fois, tout est question d’audace et d’explorations. Sur cet album, la nouveauté la plus notable a été l’intégration d’une contre-basse ! (rires) C’est un instrument très intéressant et c'était à la fois une envie et un défi que de parvenir à l’incorporer dans notre univers. Une toute nouvelle expérience pour moi ! Au départ nous n’avions en tête de l’utiliser que sur un seul morceau mais nous avons finalement décidé de le travailler davantage pour nous en servir sur plusieurs autres tant le résultat nous convenait.

Cet album, plus court que "Riitiir" mais aussi long que "Vertebrae" par exemple, semble, de prime abord, moins fourni que vos pépites habituelles... De prime abord seulement ! Le ressentez-vous aussi abouti que vous le souhaitiez ?
Tout à fait, oui, et puis, il a beau être plus "allégé", il n’en demeure pas moins composé de 50 minutes de compositions, et il est également plus long que bien des sorties actuelles où certains artistes se contentent de viser au plus court sans efforts. Après tout, ce n’est pas un album de pop fait pour être passé à la radio ! (rires) En définitive ça n’a pas de réelle importance pour nous qui sommes en symbiose avec notre création tant qu’elle nous correspond.

Une sorte d’énergie rock 70/80’s a toujours plané autour de votre aura musicale, comme sur "Building The Fire", les refrains d’"In Times" ou la très inattendue respiration de "Nauthir Bleeding". Ces éléments ont sans nul doute contribué à façonner la singularité de votre son, mais que peux-tu nous dire à ce sujet ?
Alors, comment réussir à être synthétique et précis à ce sujet... (rires) Disons que nous avons tous de très vastes écoutes musicales, pour commencer. Personnellement je suis un fan incontournable du rock 70’s et suis en permanence à la recherche de trésors de cette époque ! Les autres aussi ont leurs époques et styles de prédilection donc lorsque l’on parvient à mélanger tout ça dans notre creuset, tout ce qui en ressortira sera teinté de ces différentes envies, de ces différentes énergies, c’est inévitable !



Les mélodies de "One Thousand Years Of Rain", ses lignes de chant clair ainsi que l’atmosphère qui en découle m’ont frappé comme plus profond et triste que le reste des titres de cet opus. Que pourrais-tu nous dire quant à la dynamique d’écriture de ce morceau ?
C’est vrai que ce titre peut résonner comme plus sombre et, disons plus "dramatique" que le reste, tu as tout à fait raison. En revanche il est également intéressant de par son changement d’intention finale, un léger retournement mélodique. Cette composition puise ses racines assez profondément dans la mythologie, elle a pour thème la renaissance, le fait de s’affranchir de tout ce qui nous alourdit pour repartir de plus belle.

À côté de ça, des pistes comme "Daylight" apportent leur lot de mélancolie. D’où vous est venue cette énergie très rock et très onirique aussi bien dans les refrains que dans la lourdeur et l’expressivité des mélodies ?
C’est un travail sur lequel Ivar et moi nous sommes efforcés de mettre en place pour chacun de nos albums : avoir une référence, une sorte d’hommage au grand Bathory, et cette fois-ci en a résulté ce fameux titre "Daylight" ! Les refrains sont assez ouvertement inspirés de "Hammerhear" et "Twilight Of The Gods" tandis que nous l’avons enregistré dans ma cabane, après quelques bonnes bouteilles ! (rires)

Un autre élément, lui plutôt aisément perceptible, vient se greffer à l’écoute, celui de votre puissance rythmique, de cette omniprésente sensibilité des lignes de basse, comme sur "In Times" par exemple. Qu’avais tu en tête lors du travail desdites lignes de basse ? Quel genre d’émotion souhaitais-tu retranscrire pour structurer cet album ?
Lorsque j’ai écouté les première démos d’Ivar pour ce titre en particulier, j’ai eu l’impression qu’il manquait quelque chose d’essentiel. Je ressentais le besoin de poser une ligne de basse totalement différente et bien plus groovy, une rythmique qui ait la force suffisante pour raconter sa propre histoire. Ivar était d’accord donc nous sommes allé en répétition pour en composer les lignes ensemble et je suis très satisfait de la façon dont elles sont sorties ! Elles se démarquent par leur aspect assez primitif et soutenu... Nous sommes tous vraiment très fiers de ce que ce morceau parvient à exprimer !

Vous avez bien souvent cherché à appeler les gens à se mettre en quête de leurs racines, les inspirer à se recentrer sur eux-mêmes afin de se re-connecter avec leurs énergies, quelque chose de très spirituel finalement ! Avez-vous personnellement eu l’occasion de trouver certaines réponses ou simplement certains chemins ? Quelles sont les questions soulevées par "In Times ?
Disons que toute ces questions restent assez vagues et très personnelles. Mais si nous arrivons ne serait-ce qu’à inspirer une personne à se poser quelle question que ce soit, à rechercher leur "moi" intérieur et profond, alors j’en serais véritablement ravi, car peut-être que le but en soi ne serait simplement que le cheminement de pensée et l’ouverture de son esprit, qui sait ? Nous nous efforçons de nous éloigner de toutes ces croyances modernes, des dogmes monothéistes et de toutes ces philosophies contemporaines qui sont tout sauf saines dans le développement spirituel d’un individu qui se doit de se poser des questions et de se remettre en question pour exister !

Après vous avoir vu en 2013 au Motocultor, au Hellfest ainsi qu’au Fall Of Summer en 2014 le seul constat s’imposant était celui de votre constance et de votre évident plaisir. D’où puisez-vous cette éternelle force et cet imperturbable désir de communier avec vôtre public ?
Tout simplement parce que nous nous sentons vivants sur scène ! C’est l’aboutissement quasi suprême pour nous, tout le monde peut enregistrer une discographie de qualité, mais celle-ci ne peut prendre son sens que lorsqu’elle vibre et vit au travers des planches, c’est là toute la beauté d’être dans un groupe ! C’est une quête de la preuve ultime que vous êtes un bon groupe qui mérite sa place...

Nous arrivons à présent à la fin de cette entrevue, un grand merci à tout le groupe pour toutes ces pépites, mais surtout à toi pour avoir pris ces instants et pour avoir répondu à ces quelques questions ! Je te laisse maintenant conclure notre discussion et espère avoir prochainement l’occasion de vous retrouver sur les scènes françaises !...
Eh bien merci à toi ! Tout cet intérêt pour notre art et notre travail ne peut faire que du bien et nous te remercions ainsi que tous nos fans pour ce soutien depuis près d’un quart de siècle ! Rendez-vous sur la route ! Hails !


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