Interview faite par Aurélie P. Lawless à Paris et traduite par Marine Delahay.

Coheed and Cambria n'a pas choisi la facilité avec son nouvel album, aux consonances relativement pop. Sans pour autant faire du Lady Gaga non plus, n'allez pas imaginer ça. Travis Stever (guitare) revient bien évidemment sur "Color Before The Sun" mais également pléthore d'autres choses (il est bavard!). Il suffit pour cela de lire les quelques lignes en dessous de cette introduction. Bonne lecture !

Ce n'est pas un concept-album que vous avez fait cette fois, donc qu'est-ce que c'est ?

Travis Stever : Je dirais que ça vient de ce Claudio a vécu, et l'entendre décrire ça et s'impliquer dans les chansons… le voir partir de rien et construire ces chansons a rendu cet album tellement personnel… les deux premières chansons que j'ai entendu de lui étaient des démos, et on a pas commencé à travailler dessus en groupe. Ca aurait pu être des solos. Mais quand on a commencé à travailler là-dessus, ce thème de base, lui écrivant à propos de sa vie, a persisté sans avoir de concept, alors on s'est dit qu'on avait pas à le faire, non pas que ce soit un problème, il y a toujours eu des expériences de vie combinées, mais avec cet album là, c'était assez libérateur car on avait pas l'obligation de faire quoi que ce soit de radicalement différent. Tout le monde était d'accord : Coheed devrait être capable de sortir son propre album sans que ça ait besoin d'être un concept. On a même parlé de ça comme d'une intermission, il y a un an et demi. Il y avait une chanson appelée "The Intermission," mais on a abandonné et Claudio a commencé à écrire des chansons qui sont devenues l'album "The Color Before The Sun", et je me suis dit en les écoutant : "Elles sont parfaites." On s'est tous retrouvés dans son garage et on a commencé à bosser dessus avec le groupe.

Est-ce plus facile de parler de choses personnelles que fictives ?
Je ne pense pas que ce soit plus facile. Ca se passe comme ça se passe, c'est tout, et d'après mon expérience, et celle de Claudio, je pense qu'on peut en quelque sorte se cacher derrière cette fiction, mais en grandissant, on se dit "C'est moi, je dois m'accepter." On a pas besoin de se cacher derrière quoi que ce soit ; et ça ne veut pas dire qu'on se débarrasse du concept, mais autant s'accepter pleinement tel que l'on est. C'est libérateur, non ? Il y a des choses qu'on peut changer, ou essayer de changer, mais il y a des choses en nous que l'on ne veut pas changer, d'abord, et ensuite il y a les choses qu'on ne peut pas changer, qui font partie de notre ADN, et en ce qui concerne le groupe, je pense que c'est l'album le plus sincère et révélateur qu'on ait jamais fait. Même musicalement parlant, pour chaque musicien. Et puis aussi parce qu'on l'a fait en live.

De cette façon les gens peuvent se sentir en phase avec vous.
Oui. Nous sommes pères depuis peu, c'est un monde très différent aussi, et ce nom, "The Color Before The Sun," ça évoque le fait qu'il allait devenir père, donc pour la chanson c'est un jeu de mots, et ça fait aussi référence au fait qu'il aime commencer à travailler tôt, donc ça évoque ce moment, ce silence, ce sentiment avant que le soleil ne se lève.

Est-ce qu'il y a des chances que vous refassiez un jour un concept-album ?
Oui ! Ca se fera sûrement. C'est pour ça que je ne veux pas que ce que j'ai dit au sujet de l'album, qu'il était libérateur, soit interprété comme "l'album-concept est par opposition quelque chose de négatif." Il n'y a rien de négatif, c'est juste que pour cet album, c'est comme ça que ça a fonctionné. C'est une mise à nu, c'est du live, c'est la première fois qu'on fait ça. C'est nous, mis à nus, au grand jour.



Votre label est assez récent, pas vrai ?
Oui, c'est le fruit de plein de personnes venant de d'autres labels et dans d'autres secteurs de l'industrie pendant des années et qui ont travaillé ensemble là-dessus, et on connaissait déjà l'un d'eux, Pete, à qui on avait déjà eu affaire il y a des années quand on traitait avec différents labels, et il travaillait chez Sony, et on était chez Columbia, et on voulait vraiment travailler avec Pete mais on ne pouvait pas car on travaillait chez Columbia. C'était vraiment une décision difficile. Mais maintenant on a la chance de travailler avec Pete pour ce label, donc tout ça c'est grâce à lui, et jusque là c'est super. Ce n'est que le début, mais c'est super.

Ca ne fait pas bizarre des fois de jouer avec des groupes de metal extrême dans les festivals ?
Les festivals sont bizarres de base. C'est marrant, on en discutait tout à l'heure pendant le déjeuner, et ce qui est si étrange c'est que c'est un cas de figure tellement irréalisable à la fois pour les groupes et pour les fans, parce que quand tu vas à un festival, en général tu veux voir environ 10 groupes, et c'est épuisant ! On en parlait tout à l'heure : avant, il y avait des festivals avec 8 groupes qui jouaient, avec quelque chose comme deux scènes. Aujourd'hui dans les festivals il y a cinq scènes, 56 groupes… on ne peut jamais voir tout le monde. On en voit à peine cinq je parie. Voilà pourquoi c'est si épuisant. Donc le bon côté des festivals c'est que tu te montres à des gens qui ne t'ont peut-être jamais entendu, mais le côté épuisant c'est que tout se fait dans le rush… donc ça donne des demi-shows, parce qu'une guitare est cassée ou quelque chose comme ça. Tout peut arriver. Ca nous est arrivé. Ces shows là, je ne les considère même pas comme des vrais shows, mais en ce qui concerne ce genre de groupe, tu sais, on est allés en tournée avec Slipknot, Linkin Park, mais aussi avec des groupes de rock cultes comme Black Sabbath, Avenged Sevenfold, et tellement d'autres… mais si aujourd'hui pour cet album on décidait de partir en tournée avec un groupe encore plus "heavy", on pourrait s'adapter. Je pense que la façon dont on joue actuellement serait plus adaptée à certains artistes, mais si on nous redemandait de jouer avec Slipknot, s'ils insistaient, on pourrait s'adapter, parce que c'est ça, Coheed, et c'est pour ça que j'aime à penser que les gens en écoutant cet album se diront "Wow, ils explorent ce côté pop, plus doux," et c'est bien ce qu'on essaye de faire en ce moment. Le prochain album sera peut-être le plus "heavy", qui sait, mais cet album, le son qu'on a créé avec nous importe beaucoup.

Mais parfois les gens ne sont pas ouverts d'esprit.
Oui, je comprends, j'ai été comme ça, mais j'essaye de ne plus l'être.

Ce n'est pas la chose la plus intelligente à faire... ce n'est pas cool.
D'un côté je comprends les gens qui n'aiment qu'un certain style de musique. Ils en ont le droit. J'adore le metal, mais j'ai l'impression que je ne serais rien si je n'aimais pas aussi tout ce que j'aime autre que le metal. Le heavy metal est une part importante de ma vie et de mon éducation, mais j'aime aussi U2 et The Cure, et quand j'étais gamin il y avait tous ces groupes new wave que mes demi-frères et demies-sœurs écoutaient… et toutes ces chansons étaient importantes pour moi, parce qu'elles me font ressentir des choses… je ne trouve pas le bon mot, tant pis. Enfin bref, elles faisaient surgir en moi quelque chose d'inoubliable, que ce soit de la nostalgie, le souvenir d'un moment passé, et comme tout Coheed, on aime ressentir ce genre de choses, et c'est ce genre de choses que je ressens en écoutant le metal le plus brutal ou "Disintegration" de The Cure. Je pense que Coheed est le produit de tout ça. On ne veut pas est confinés, et si les gens nous disent que ce concept nous confine, alors on sera sûrement tentés d'y revenir.

Comment est le public français ?
Il est toujours super enthousiaste, et c'est ce qui nous donne toujours l'envie de revenir. La France – et surtout Paris – a une signification particulière pour le groupe, beaucoup de nos racines sont ici. Claudio a développé le concept de COHEED AND CAMBRIA ici, en 1998. A l'époque il vivait ici avec sa copine, et on est tous revenus, il est revenu avec celle qui est maintenant sa femme, et il a travaillé sur "The Afterman" ici. Il l'a enregistré chez lui, mais c'est ici qu'il a travaillé sur le concept, c'est ici que tout a commencé. Je suis ici depuis deux jours et je m'éclate. J'ai toujours été très excité à l'idée de venir ici, et maintenant cet endroit compte beaucoup pour moi aussi, donc j'ai très hâte de rentrer et de retrouver mon fils, mais en même temps je ne serais pas contre rester. Quand on aime une ville à ce point là, on a envie que la ville nous aime en retour ! Et puis comme je l'ai dit : quand on joue, la réception de la part du public est très forte, donc en ce qui concerne la réception de cet album, je dirais que vu qu'il est beaucoup plus direct, honnête, peut-être que les gens se sentiront plus impliqués encore dans cet album, que ce soit ici ou ailleurs. C'est ce qu'on souhaite pour chaque album en fait, quel que soit le groupe. Je pourrais très bien être assis là à parler d'un album de heavy metal, ou de hip-hop, et je tiendrais le même discours. Mais j'espère qu'on reviendra, et que les gens seront plus nombreux encore et enthousiastes. C'est tout ce que je souhaite. Ou bien on reviendra et on sera super contents de jouer même si ce n'est que devant 400 personnes ! Peu importe, on reviendra de toute façon.

Ca fait 3 ans depuis la dernière tournée, ou quelque chose comme ça, non... ?
Oui ! Ca fait 2 ans. On a fait une tournée, et on n'a même pas fait le Royaume-Uni, juste les US.

C'est pas bien. (rires)
Je sais, mais on a prit cette décision parce qu'on avait pas de nouvel album, et on allait commencer à travailler sur le nouveau, donc on s'est dit : on fait ça, et après on réfléchira à comment on va concevoir ce nouvel album ; et puis il s'est passé beaucoup de choses dans nos vies, les gosses, tout ça, donc il faut se laisser du temps pour s'occuper de ça, et une fois que tout ça s'est calmé, on a entamé cet album. Tout ça a donc duré 3 ans, mais ce n'était pas si long. C'était juste long pour nous. Le plus longtemps que nous sommes restés sans venir ici c'était un an… on est venus environ quatre ou cinq fois… quatre je crois, et j'espère qu'on continuera de venir. Je suis sûr qu'on reviendra.

On a parfois l'impression en France que les groupes ne viennent pas parce que la France n'est pas très branchée metal, parce qu'il n'y a pas de radio rock ou metal, on n'a pas ça, ce n'est pas dans les mentalités ni dans notre culture. Donc les groupes font des tournées en Amérique Latine, ou même au Royaume-Uni, et on est juste à côté… Pourquoi est-ce qu'ils vont à Londres et pas à Paris… ?
Nous on n'oublie pas Paris. C'est pour ça qu'on est là ! On est super contents d'être là. On nous a posé la question, à Claudio et à moi, et j'ai dit que j'adorerais venir, et il m'a dit "Viens avec moi, on va parler à des gens, on va essayer de les motiver." On est ici parce qu'on est fiers, parce qu'on aime cet endroit, on ne pouvait pas faire autrement que de venir. Si l'album était sorti on jouerait ici en ce moment même ! Mais ce n'est pas encore le cas, donc…



C'est super ! Parce qu'il y a des groupes comme Def Leppard qui ne font de tournée qu'au Royaume Uni…
Quel est le dernier groupe originaire du Royaume-Uni ou des Etats-Unis que tu as vu en concert en France ?

Kiss.
Ah ouais ? C'était comment ?

C'était génial. Il y avait du laser, des flammes… c'était parfait, mais leurs voix ne sont plus ce qu'elles étaient… mais c'était super.
Tu as vu qui d'autre ? Désolé hein, je ne veux pas te priver de ton interview, on peut continuer après, mais je voudrais juste te demander qui tu avais vu cette année…

Comme groupes américains et anglais, j'ai vu Kiss et Judas Priest. C'était un des meilleurs concerts que j'ai jamais vus.
Tu fais de la musique, ou du chant ?

Oui, je chante sous la douche. (rires)
C'est cool ! Les chanteurs de douche sont les meilleurs.

Qui sait ! Je ferai un album et je te l'enverrai. (rires)
Ouais ! Une démo douche. Judas Priest donc… c'est marrant, parce que ça m'intrigue de savoir qui vient, ce que les gens aiment autre que le rock, parce que je sais que, comme tu l'as dit, le rock ne compte pas autant ici, surtout à la radio, mais je sais qu'il y a une communauté dans Paris qui adore ça.

Oui, il y a une grosse fanbase pour le metal à Paris, mais c'est difficile de motiver les gens à aller aux concerts. On aime beaucoup les groupes étrangers, mais pas les nôtres.
C'est pour ça que quand les gens viennent d'Europe, ou de n'importe où ailleurs, ils nous font savoir à quel point la culture américaine est importante pour eux. Ce n'est pas que les Américains ont un égo surdimensionné, mais parfois ils se disent "Oui, bien sûr." Mais il y a aussi les Américains qui viennent de tous ces pays différents et c'est là qu'on réalise à quel point on a hérité de toutes ces autres cultures, qu'il s'agisse du cinéma ou autre. Et le fait qu'on soit de retour ici est une façon de dire que l'on sait d'où est-ce que tout ça vient. Surtout en ce qui concerne le divertissement, ça vient beaucoup de la France, et on sait que la France tient beaucoup à ça – et il n'y a aucun mal à ça.

C'est difficile de changer les mentalités ici…
Mais ça se comprend.

Mais par exemple, je suis capable d'écouter de la musique pop, du hip-hop, peu importe, si je trouve que c'est de la bonne musique, ça me plaira, mais les gens pensent que le metal, ce n'est que des gens qui hurlent… mes piercings, mes vêtements… ça ne plaît pas.
C'est une vision commune qui a toujours existé. C'est un peu pareil en Amérique, mais c'est sans doute plus accentué encore ici.

Qu'est-ce que tu préfères à Paris, ou en France en général ? Tu as visité Paris ?
Oui, j'ai été au Louvre. Je suis venu ici quatre fois et c'est la première fois que j'ai pu y aller. C'était génial. La dernière fois, c'était fermé. Cette fois on a du temps libre, on a pu visiter la cathédrale, la Tour Eiffel, et Claudio est venu avec moi, c'était sa deuxième ou troisième fois, troisième je crois, mais ça lui plaît toujours beaucoup. On a essayé de faire les catacombes hier matin, mais il y avait trop de queue. La dernière fois c'était fermé parce qu'il y avait un problème de ventilation. Donc quand je reviendrai en Janvier, je ferai les catacombes à n'importe quel prix. J'irai. Il le faut. Je vais me pointer très tôt. Tout le monde ici m'en parle, c'est un truc à touristes apparemment. C'est bien ?

Je ne me souviens pas bien, j'étais jeune quand je les ai faites, j'avais cinq ans ou quelque chose comme ça… je ne garde aucun souvenir et j'ai vraiment envie d'y retourner.
La file était gigantesque. On a fini par aller explorer d'autres endroits, puis on est rentré, on a rechargé nos téléphones pendant genre 1h, et puis à 13h45 on est ressortis et on est pas rentrés avant 23h. On a bu quelques verres aussi pendant la journée, donc au bout d'un moment on a commencé à tituber d'un endroit à un autre, puis on a été retrouver des amis, puis on est repartis, et on a bien mangé aussi. Il y a ce super restau pour manger des falafels où Claudio va à chaque fois qu'il vient, alors on est allés là-bas hier, on y retournera sûrement pour dîner.

Est-ce que tu connais des chansons en français ?
Pas vraiment… il y a une chanson que j'adorais il y a des années, j'ai oublié le nom du chanteur, mais il était auteur-compositeur… "Mango Jango"… je ne sais pas. "King Of The Bongo" ? Je ne sais pas. Mais tu veux dire du "french metal" ?

Non, pas nécessairement. Ca peut être de la variété.
Je ferai mes devoirs alors. Si tu as des suggestions, je suis preneur.

Le problème c'est qu'on n'a pas de gros groupes de metal, et je ne peux pas écouter la radio parce que ce n'est que de la musique commerciale, mais côté metal tu devrais écouter Gojira, c'est le plus connu en France je pense, et Dagoba.
Cool, j'ai hâte d'écouter ça.

Parles-tu d'autres langues que l'anglais ?
Non ! Je ne sais dire que quelques mots et je suis toujours trop gêné pour essayer de les dire. J'ai tellement peur, j'hésite tellement, à dire ne serait-ce que "merci" J'ai l'impression d'être un idiot quand je le dis. J'ai eu des cours d'espagnol au lycée…

Moi aussi. Me llamo Aurelia.
Me llamo… es Travis… (rires)

Tu vois que tu sais dire quelque chose dans une autre langue !
El boligrafo, c'est pas "le crayon" ? Voilà ! Je sais ça.

J'ai essayé d'apprendre à dire une phrase en suédois, et la phrase était "Je possède un dragon," et j'essaye de l'apprendre dans autant de langues que possible, donc je connais la version grecque, suédoise, finlandaise, italienne… donc en suédois ça donne Jag äger en drake, et maintenant je peux aller vivre en Suède ! (rires)
Wow ! Ca y est, tu es la khaleesi.


Le site officiel : www.coheedandcambria.com