Interview faite par Braindead à Paris.

C’est à l’occasion de leurs 20 années de carrière et surtout la sortie de leur sixième excellent album "Comfortable Hate", que j’ai eu la chance de rencontré Poun, véritable emblème d’un groupe qui a apporté ses lettres de noblesse au metal hardcore français, personnage atypique, aussi attachant qu'intègre. Rencontre dans les locaux de Verycords, un label référence du genre.

Black Bomb Ä fête ses 20 ans de carrière cette année, quel regard portez-vous sur l’évolution de l’industrie musicale au cours de ces deux décennies ?

Poun (chant) : Elle est de plus en plus hard, je comprends la chance que nous avons, Black Bomb, Lofo ou Loudblast, à pouvoir sortir des albums, à trouver des labels qui nous font confiance, mais c’est de plus en plus difficile pour des groupes de qualité qui n’ont rien à nous envier mais qui représentent une nouveauté, il faut bien que ça tourne un label, pour nous c’est plus facile mais il y a aussi une réalité qui fait que l’on vend moins et malgré ces complications, nous arrivons encore à faire partie d’un label, pour certains groupes qui arrivent c’est une vraie galère.

Ce n’est pas l’effet du hasard, depuis 20 ans vous avez énormément travaillé pour ça, vous faites partie d’une époque de vrais graisseux. J’ai du mal à accrocher face à ces clones copiés collés qui ont du mal à trouver leur propre style, là où d’autres courants musicaux, voire d’autres familles artistiques revendiquent clairement le rôle et l’influence des aînés, j’ai l’impression que dans le metal c’est plus compliqué, que de nombreux jeunots se réfèrent à de nouveaux codes beaucoup plus superficiels, privilégient le côté business, communication virale, au détriment de la création pure… Que penses-tu de la nouvelle scène ?
Tu as peut être raison, il y a beaucoup de copies, mais il y en a eu à d’autres époques, comme le néo metal, tout le monde faisait du Limp Bizkit ou du Korn, mais il y avait des choses, on essayait sans se dire que l’on allait réinventer le style, nous le faisions avec le cœur, l’envie de faire un truc différent sans se dire on va monter un groupe, vendre des albums et occuper le devant de la scène. En fait, c’est propre à chaque groupe, nous n’avons pas envie de faire la même chose, nous voulons évoluer, ne pas se répéter, du moins essayer des choses différentes tout en gardant notre patte, si nous sommes là 20 ans après, c’est aussi grâce au son Black Bomb, nous voulons le garder et nous ne pouvons pas aller à l’encontre de ce que nous sommes, dans le dernier album même s’il y a des morceaux différents, on nous reconnaît.

Vous avez su garder votre intégrité, ce que d’autres n’ont pas su faire…
Oui mais peut-on jeter la pierre à ces nouveaux groupes ? Ce sont souvent des groupes de qualité mais peut être que ça manque un peu de folie, peut-être la peur de l’inconnu qui conduit à privilégier la facilité…

A ce titre, considères-tu les réseaux sociaux comme une chance de promotion à grande échelle et à faible coût ou plutôt comme un panier de crabes où tu te retrouves noyé dans la masse à devoir passer ton temps à gérer ta e-réputation, à t’inventer un succès populaire virtuel qui est souvent loin de se concrétiser en live…
Comme tu le dis, ça peut être un panier de crabes, de la poudre aux yeux, ce côté Internet où j’ai 40000 amis, mais heureusement ça ne fait pas tout, quand tu fais un album, la vraie valeur d’un groupe se voit sur scène, il n'y a pas 15000 recettes, ça a toujours été comme ça et on ne passera pas à côté.

Les groupes français ont apparemment du mal à s’exporter à l’étranger, à quelques exceptions près dont Black Bomb Ä fait bien évidemment partie.
Nous essayons par nos propres moyens d’y aller mais ce n’est pas évident de faire sa place, les Français ne sont pas pris au sérieux, bon à part Gojira, il y a certains groupes pas très connus sur la scène française mais qui tentent leur chance directement à l’étranger et qui vont faire des tournées en van, bon ils ne jouent pas devant devant des milliers de personnes mais ils vont dans tous les pays, Butcher’s Rodeo était au Mexique, Dead Cowboy’s Sluts à Cuba, il y a des choses à faire. En ce qui concerne Black Bomb, nous avons beaucoup bossé en France, je ne dis pas que c’est dommage, on a fait notre truc ici mais de plus en plus, on tend à aller vers l’étranger, ça a toujours été un souhait, on ne l’a pas assez travaillé mais maintenant, ça devient une condition sine qua non, on en a parlé à Verycords car lorsqu’on appelle un tourneur, il nous demande si l’on a un distrib et vice versa, c’est le serpent qui se mord la queue. C’est sûr que partir à l’étranger est difficile mais tu peux le faire, tu pars à moindre coût, pas comme la première tournée US de Gojira en support de Lamb Of God qui kiffait le groupe, là c’est une autre histoire.



Et pourquoi ne pas retenter la bonne vieille méthode des tournées Sriracha ou Team Nowhere mais à l’étranger ?
Former un collectif et partir… on y a pensé, pourquoi pas, c’est une idée, faire un French Tour à l’étranger, quand on voit les Dead Cowboy’s Sluts qui jouaient à Cuba devant 600 personnes alors qu’en France ils ont du mal à faire 200 entrées, il faut se battre pour ramener du monde à son concert et pour bouger les gens c’est parfois assez compliqué même à des tarifs à 5 euros.

Justement en cette année anniversaire, avez-vous prévu une tournée spéciale en parallèle de la sortie de votre nouvel album, peut-être quelques concerts avec d’autres groupes proches ?
On commence à en parler au sein du groupe, si on le fait, ça sera sur une date, il n’y a rien de concret, ce n’est qu’un projet mais pourquoi pas inviter toutes les personnes qui sont passées dans Black Bomb, tous les chanteurs, Djag, Shauny, Etienne comme bassiste et faire un truc sympa, là c’est juste la face émergée de l’iceberg que je te dévoile mais on a d’autres idées super cool.

"Comfortable Hate" est votre sixième album, septième disque en comptant votre premier EP. 6 albums en 20 ans, c’est en moyenne 1 album tous les 3 ans avec des changements de line-up essentiellement au chant et à la guitare, peut-on dire que ces changements ont largement contribué aux différentes influences qui ont permis ce renouvellement permanent pour chaque album ?
Peut-être… en tout cas ça nous a apporté une certaine fraîcheur, sans s’enfermer dans un même processus, inconsciemment ça ramène de l’énergie, quelqu’un qui a envie, qui a les crocs et amène ses références genre "Ok on va se la refaire à l’ancienne mais je vais essayer ça…".

Justement, comment avez-vous abordé cet album d’un point de vue créatif, plutôt brainstorming ou chacun de son côté à réfléchir sur des thèmes. En un mot qui apporte quoi ? Niveau composition, mélodies ou paroles en premier ?
Pour la compo de l’album, il y a eu plusieurs phases, plusieurs méthodes, là maintenant j’espère qu’on est bien, c’est un petit mélange de tout, avant nous faisions un brainstorming dans le studio et je trouve que l’on perdait beaucoup de temps, ok on bossait, voilà super, on essayait mais on perdait énormément de temps. Après nous nous sommes mis à bosser chacun de notre côté, avant de nous retrouver ensemble dans une pièce devant un ordi avec un logiciel, on branche la guitare, on branche le micro, on fait des prises un peu pourries mais c’est des pré-maquettes, nous avons donc la trame du morceau et après on va le tester en studio de répèt', chacun amène un peu ses trucs, le guitariste amène énormément de plans, ça m’arrive aussi de jouer de la guitare quand j’ai des plans refrains, des trucs mélodiques,Jacou aussi, chacun amène des riffs, des idées, nous faisons des petits montages entre ces riffs, les textes viennent après, nous n’avons jamais écrit avant sauf Arno sur cet album. Vu qu’il s’était arrêté un petit moment, il avait des textes en préparation mais en ce qui me concerne, j’ai besoin de faire mon yaourt, mon chewing gum sur les sonorités.

L’artwork est très particulier, car là où le précédent "Enemies Of The State" annonçait clairement les thématiques politico-sociales, j’ai l’impression que ce nouvel artwork évoque d’une manière moins générale mais plus personnelle ce qu’il y a de plus sombre dans chacun d’entre nous.
C’est tout à fait ça, même en fin de compte par rapport au titre "Comfortable Hate. C’est se cacher derrière une haine un peu facile qui nous empêche de se montrer, de s’ouvrir aux autres, c’est tellement plus simple de se faire un petit mur autour de soi et d’être intouchable alors que si tu casses un petit peu ce mur là, ce n’est pas pour te blesser c’est aussi pour savoir qui tu es, partager des choses aussi. C’est tellement facile et confortable cette haine, tu es dans ta petite vie, tu n’avances pas, tu es lié dans ton canapé, tu craches ton venin mais putain t’avances pas. Tu vois, même par rapport aux textes, bon ça peut paraître parfois assez nombriliste, mais j’aime bien écrire ce que je ressens par rapport à ma propre vie mais je ne cherche pas à donner des leçons de vie, en analysant un petit peu, c’est un travail sur soi, une thérapie en fin de compte, tu écris "Je suis comme ça" et "J’aimerais être ça", je tends à être ça mais en fin de compte je suis ça, tu es toujours en opposition, c’est comme une réflexion et finalement ce que j’écris est ce que chacun peut penser, je ne pense pas être plus haut ou plus bas que quelqu’un d’autre, ce que j’écris sur moi c’est ce que chacun pourrait penser, ce n’est pas un excès de sagesse qui arrive maintenant, car au bout du compte tu en as besoin, tu te dis "Arrête tes conneries, bouffe la vie".

Côté production, vous avez fait appel à Logan Mader, dont les faits d’armes dans le thrash et le death ont été très positivement remarqués. Pourquoi ce choix ? Est-ce une envie d’ajouter de la lourdeur aux thèmes abordés dans les compos ?
Non ce n’était pas autant poussé, nous n’avons pas eu une réflexion par rapport aux textes, ou la couleur musicale que l’on souhaitait… enfin si, nous voulions cette couleur, ce son. En fait c’est plus simple que ça, nous avons bossé avec des producteurs français qui nous ont fait des sons super, des albums superbes comme Stéphane Buriez, là nous avions vraiment envie d’avoir un son plus américain, un son anglo-saxon. C’est toutes nos influences alors nous nous sommes dit que l’on allait essayer avec lui, car nous avons écouté toutes ses prod' avec Soulfly, Dagoba, Gojira, Scepticflesh, nous avons vu avec Verycords qui était déjà en contact avec lui et le projet s’est concrétisé.

Même si le rapport lourdeur des thèmes / massivité de la production n’était pas fait exprès, le résultat accroche carrément…
Oui c’est sûr, peut être que si nous l’avions produit avec quelqu’un d’autre, il aurait fait ressentir les choses différemment, Mader a sûrement apporté sa patte d’un point de vue émotionnel, perso je le vois d’un côté basique, il nous apporté un gros son, une grosse patate, c’est ce qu’on cherchait aussi et je pense qu’il a su faire ressortir un BLACK BOMB Ä sombre comme nous le voulions, ça fait ressortir le côté noir que l’on a dans nos chansons.

Comme je l’avais évoqué lors d’une précédente question, vous produisez en moyenne 1 album tous les 3 ans, ce qui reste finalement assez espacé, est-ce dû au fait que vous êtes des bourreaux de scène ?
C’est à peu près la moyenne de vie d’un album, deux ans, donc vu que l’on a pris un an pour composer et prendre un petit peu de recul, sortir ce nouvel album a nécessité trois années.

Vous avez d’ailleurs une réputation live explosive, j’ai assisté à plusieurs de vos concerts et à chaque fois j’ai le sentiment d’une grand-messe, votre public est transcendé, monte sur scène comme une seule et même famille, ce qui est réellement impressionnant. Est-ce cela qui explique votre pérennité ? Comment vous y êtes-vous pris pour fédérer autant de fans autour de vous, à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas ?
Je pense que c’est un partage, il ne faut jamais oublier ça… Nous adorons la scène, c’est une récompense, j’adore le contact avec les gens, faire des petites scènes, me plonger dans les yeux des gens, que l’on se sente à fleur de peau, que l’on soit là pour vivre les choses. Le jour où il n’y aura plus ça, tout sera fini…

Il y en a beaucoup qui l’ont oublié ça.
Tu trouves ? Mes potes c’est Lofo, Butcher’s Rodeo et pour moi ce sont des gens intègres qui font de la musique parce qu’il la kiffe, ce n’est pas juste de l’apparence.



Tu participes au Bal Des Enragés, est ce pour toi un bon moyen d’explorer de nouvelles voies comme beaucoup de musiciens le font après des années au sein d’un groupe, par l’intermédiaire de side projects ou de supergroupes ?
C’est clair, ça a été une bonne bouffée d’air, un gros délire à la base quand Nico des Tagada m’a appelé, c’est lui qui gère un peu tout ça, je connaissais Lofo, Punish mais très peu Parabellum, alors du coup ça a été des rencontres super, et puis j’ai interprété des morceaux que jamais j’aurais pensé jouer comme les Ramones, des trucs des années 60/70 et là tu dis c’est cool.

Oui c’est ce qui manque à certains nouveaux groupes, cette fameuse vibe que vous retrouvez au sein du Bal, j’ai l’impression qu’ils mettent plus en scène leur vie qu’ils ne la vivent réellement, il n'y a pas cette essence rock’n’roll.
Oui, on peut tomber facilement dans cette histoire de paraître parce que c’est facile quand tu es sur le devant de la scène, il y a le côté paillettes.

Je pense qu’ils devraient participer au Bal Des Enragés afin de voir ce qu’est le vrai rock’n’roll.
(rires) Ah je n’ai pas la prétention de dire que l’on est l’essence même du rock’n’roll mais qui sait, peut-être. (rires) En tout cas même si je n’étais pas dans le Bal Des Enragés, j’irais quand même les voir car oui, eux sont l’essence même du rock’n’roll.

Tu es connu pour ton intégrité, ta lucidité et surtout ton humilité, tu préfères coucher sur papier tes colères, tes inquiétudes comme d’autres artistes ont malheureusement choisi de le faire dans les médias, ne penses-tu pas que chacun devrait rester à sa place au lieu d’utiliser son exposition médiatique ou en transformant ses concerts en meetings politiques afin d’influencer ses fans sur des sujets très complexes qui mériteraient une réelle réflexion ?
Ça c’est très dangereux je trouve, de se lancer dans ce genre de discours. Après je peux comprendre que quand tu as des choses à dire et que tu es engagé, c’est plus fort que toi, tu es sur le devant de la scène tu as envie de le dire mais faut pas oublier sa place, on fait de la musique putain, si tu peux faire passer un message en même temps alors ok, mais ne sépare pas les deux choses car il y en a plein qui se sont plantés à ce petit jeu-là, je serais incapable de parler de politique parce que ça ne m’intéresse pas, j’ai mon avis sur certaines choses mais je me vois pas en tant qu’orateur en disant allez-y, allez voter pour…

Justement, est-ce parce que vos fans ont compris que vous voulez juste faire rock’n’roll ? C’est déjà énorme que la pérennité de Black Bomb Ä soit assurée depuis 20 ans.
Oui c’est d’y croire, de rester intègres sans prétention, par rapport à nos choix, à ce que nous sommes sur scène, après nous ne voulons pas représenter quelque chose, nous voulons être, pour certains nous sommes peut-être tout simplement des cons… (rires)

Je vais t’éviter la question Séverine Ferrer, à savoir "Que souhaites-tu dire à tes fans… ?".
(rires) Pourquoi, tu l’as posé trop de fois cette question ?

Moi non mais je l’ai beaucoup trop lue (rires).
Tiens, ben je vais quand même y répondre, venez nous voir en concert car on va tout péter et on a envie de tout péter ensemble, c’est basique, c’est très con ce que je dis mais c’est à la hauteur de la question (rires).

Vous avez survécu aux différents courants sans jamais être étiquetés et sans renier vos fondamentaux. Alors, Black Bomb Ä, groupe immortel ?
Hein ? Groupie mortelle ?

Groupe immortel… (rires)
Ah ! Peut-être oui, ce n’est pas seulement physique, c’est aussi dans l’inconscient, peut-être que l’on perdurera après notre mort, que des gens écouteront encore nos albums, je serai pas là pour vivre ces moments, peut-être que ça me ferait chier, tu sais les mecs qui arrivent et qui te dises "Eh, j’écoutais tes albums quand j’avais 15 ans" et en plus ce n’était même pas le premier (rires)

Oui j’imagine, avec le déambulateur et la poche à pisse (rires)

Un très grand merci à Hélène Aiello et à Verycords pour leur accueil.


Le site officiel : www.blackbombaband.com