Interview faite par mail par Murderworks

Salut James, "Fanges" est un EP assez particulier et expérimental dans sa conception. Est-ce que ce sont les différents confinements qui vous ont poussés à tenter ce genre d'expérimentations ? Quitte à avoir du temps pour composer autant en profiter pour tenter de nouvelle choses ?
James (guitare) : Salut et merci pour l’interview. Je pense que notre musique a toujours comporté une part d’expérimentation, qui se traduit de différentes manières selon les sorties. Et cet ancrage “musiques expérimentales” est quelque chose qui nous importe beaucoup dans les démarches musicales menées en dehors de BARÚS et du metal, notamment avec le collectif Eptagon. On avait déjà pour idée après "Drowned" de s’essayer à une sortie avec des morceaux plus longs, quelque chose qui prendrait un peu plus son temps et se focaliserait sur le développement d’atmosphères assez lancinantes, mais clairement le contexte des confinements et l’angoisse assez générale liée à la pandémie ont contribué à façonner le morceau “Fanges”, composé presque entièrement à distance et avec une dynamique de “projet” collectif plus que de travail en groupe à proprement parler, chacun faisant face à la situation comme il le pouvait.

Ces deux morceaux sont deux versions différentes d'un même squelette musical si on peut dire ça comme ça, mais comme leur titre et leur durée sont différents est-ce qu'il y a aussi des différences au niveau des paroles ?
Effectivement, même si les textes des deux morceaux partagent certaines parties communes, ils sont assez différents. Le socle thématique de départ est le même, mais la construction et l'atmosphère propre à chaque morceau influent beaucoup sur la manière dont l’idée de départ des textes se développe et la manière dont elle est interprétée

D'ailleurs est-ce que le contexte actuel a eu une influence en termes d'inspiration, que ce soit textuellement ou musicalement ? Peut-être un sentiment d'isolement ou d'oppression qui a pu apporter son grain de sel ?
Je pense que oui. Pour ma part, j’ai toujours trouvé que ce que la musique que l’on fait avec BARÚS, malgré son apparence assez massive et menaçante, puise beaucoup dans des sentiments d’isolement, d’impuissance face à des forces extérieures, de dépression… C’est une musique violente qui traduit la violence et l’intensité de ces sentiments et leur capacité à consumer totalement celle ou celui qui les subit. Le contexte a certainement induit la forme qu’a pris cette thématique dans le nouvel EP. C’est quelque chose de très lugubre, de très lent dans son développement, mais irréversible. Il y a une dimension très fataliste, peut-être un peu plus résignée, alors que notre précédent album "Drowned" se présentait davantage comme une lutte féroce pour rester à flot face à ces états. Pour caricaturer, si "Drowned" était un combat acharné pour ne pas se laisser sombrer au fond des abysses (d’où l’artwork), "Fanges", comme son nom l’indique, représente plutôt le fait d’être embourbé et s’enfoncer lentement en irrémédiablement dans une boue épaisse. Dans les deux cas on finit au fond, mais le chemin n’est pas le même !

Certains groupes ou artistes ont reconnu avoir eu une période de doute, une perte d'envie en se disant que puisque tout était bloqué ça ne servait à rien de continuer. Est-ce que le groupe a connu à un moment une telle période de doute ?
Je ne pense pas que nous ayons traversé de période de manque d'inspiration ou de volonté, car chacun à notre manière nous avons plutôt ressenti le besoin de créer pour faire face à une situation très déstabilisante et anxiogène. Par contre, certaines interactions ont été plus faciles à maintenir que d’autres lorsque les membres étaient isolés par la force des choses et cela nous a forcés à nous reconfigurer pour avancer avec des méthodes nouvelles, notamment en collaborant avec des artistes externes. Les membres du groupe étant tous de très bons amis hors musique, travailler sur un projet commun a été quelque chose qui permettait de maintenir un lien solide malgré le contexte. Même si la façon de travailler a été totalement inédite, on avait ce besoin d’alimenter ce projet, pour avancer / faire face ensemble à la situation.



La bio fournie vous présente comme pratiquant un "introspective and shape-shifting death", du coup pensez-vous que cette période trouble en a poussé certains à faire cette introspection justement ? Vous mêmes êtes-vous allés plus loin dans ce processus à cette occasion ?
C’est certain, oui. Se retrouver seul face à soi-même en ne sachant pas très bien si la “période trouble” est juste un moment difficile à passer, si ça deviendra la nouvelle norme pour nos vies, ou encore si c’est annonciateur d’un avenir bien plus terne, ça pousse à se questionner. Sans parler au nom de tous les membres de BARÚS, plusieurs d’entre nous sont d’un naturel assez introspectif au départ. La période a certainement été propice à se laisser aller un peu plus loin dans cette direction, en tout cas je pense qu’on en a tous bavé à notre échelle, qu’on soit d’un naturel introspectif ou non.

On sent que "Châssis De Chair" se fait bien plus brutal que "Fanges", là aussi c'était volontaire je suppose d'explorer deux voies différentes malgré le socle commun ?
En réalité, la forme qu’a pris "Châssis De Chair" a une justification un peu plus simple : nous avons pu recommencer à répéter proprement ensemble à partir de la fin du printemps 2021, après plus d’un an de création totalement à distance, période pendant laquelle nous avions écrit et enregistré le morceau “Fanges”. Ca nous a fait énormément de bien de rejouer (on pourrait presque parler d’effet thérapeutique), et on s’est rendu compte qu’une fois tout l’aspect lancinant et morose de ce morceau purgé, il restait en nous une énergie très viscérale et brutale. La question d’adapter une version de “Fanges” pour du live s’est posée en même temps que l’idée de composer un deuxième morceau pour compléter l’EP, entre autres car ce n’était pas si évident de démarcher pour une nouvelle sortie contenant un seul long titre très expérimental, aux sonorités assez éloignées de notre précédent album. Nous avons donc assez rapidement mis sur pied “Châssis De Chair”, en travaillant cette fois vraiment en groupe, peaufinant le morceau au fil des répétitions.

Est-ce que le fait d'inclure des collaborateurs extérieurs cette fois-ci vous a donné d'autres idées à expérimenter, ouvert d'autres pistes ?
Absolument oui. Nous avons collaboré avec Anthony Barruel, batteur des groupes Collapse et Anasazi sur le titre "Fanges", ce qui a largement changé notre approche du morceau : on a temporairement mis la double pédale et les blast beats au profit de quelque chose de très nuancé et plus épuré, accompagnant parfaitement les ambiances déployées et donnant plus d’espace pour les grooves de guitare et basse dans les sections plus lourdes. Du côté des textes, nous avons travaillé avec Sarah Onave sur un texte écrit en français, dont une grande partie se retrouve à la fois dans “Fanges” et dans “Châssis De Chair”. C’était intéressant car son texte et la musique se sont construits en parallèle l’un de l’autre, après un premier cadrage sur la direction que nous voulions prendre, et le texte résultant exprime de manière très poignante par les mots ce que nous essayons de mettre en son. Nous serons certainement ouverts à d’autres collaborations pour la suite.

Du coup comme vous avez fait appel à de l'improvisation pour "Châssis De Chair", est-ce que vous êtes tentés de faire de même en live par moments ? Peut-être sur d'autres morceaux par exemple ?
En réalité, il y a assez peu d’improvisation sur "Châssis De Chair", la plupart des riffs étant assez déstructurés et nécessitant une mise en place très solide pour sonner. Par contre il y a eu beaucoup d’improvisation dans la construction et dans différentes séquences de "Fanges", par exemple toute la première section du morceau, ou les parties plus bruitistes / ambiantes. Il nous arrive d’improviser un peu dans le cadre de BARÚS, mais nous le faisons nettement plus dans d’autres projets musicaux, tels que les Noise Rituals d’Eptagon (regroupant des membres de BARÚS, Maïeutiste, Epitaphe et bien d’autres), centrés majoritairement sur de l’improvisation libre.

Est-ce que l'enregistrement live a lui aussi donné des idées ou une envie de continuer dans cette voie ? C'est une méthode qui était souvent utilisée à une époque mais qui est probablement plus contraignante, peut-être plus chère aussi puisque cela force à passer par un studio ou un local.
Oui ! Nous sommes très satisfaits de l’enregistrement live de "Châssis De Chair", le rendu est très vivant et organique, ça nous a clairement donné des idées pour la suite. Les morceaux du prochain album sont plus techniques et vont nécessiter un gros travail de mise en place, mais on a vu avec cet EP qu’on pouvait le faire et que le résultat pouvait être largement à la hauteur.

D'ailleurs à une époque où beaucoup de groupes produisent une musique très technique, riche ou complexe, l'enregistrement live permettrait de faire le tri tout de suite. On en a entendu certains être loin en live du niveau affiché en studio, pensez-vous que l'authenticité recherchée par une partie du public puisse faire revenir cette façon de faire ?
Complètement oui, les prises live sans overdub ne trompent pas sur la marchandise et traduisent quelque chose de sincère, y compris dans les petites imperfections inhérentes. Ceci étant dit il y a bien sûr un tas de musiques qui ne peuvent pas être construites autrement que par un procédé de studio minutieux, et qui pour certaines ne peuvent pratiquement pas être réinterprétés proprement en live (on pourrait penser à "Fas - Ite" de Deathspell Omega, "Leitmotiv Lucifer" d’Abigor, ou "Catch 33" et "I" de Meshuggah), auquel cas le studio est une partie intégrante du processus créatif. J’ai bien plus de réserves quand il s’agit de penser du studio comme du lieu pouvant user de toute une gamme d’artifices de production pour faire sonner n’importe quel groupe de metal, peu importe son niveau véritable, comme un groupe professionnel de niveau semblable à tout ce qui sort sur le marché. On peut vite arriver à de mauvaises surprises lorsqu’on passe au live, et surtout je pense que ça cause un nivellement terrible dans les esthétiques de productions, où 95% des groupes d’une scène sonnent pareils les uns que les autres. Le studio devrait être avant tout le lieu pour expérimenter, créer et développer une identité qui sort du lot, pas simplement un passable obligé pour se mettre en conformité avec les attentes d’un style donné.



Qui a réalisé cette pochette très stylisée ? Le fait qu'elle soit blanche contraste avec l'oppression qu'évoque votre musique, c'était volontaire ?
Il s’agit de Camille Murgue, artiste lyonnaise très talentueuse et que nous connaissions déjà pour son superbe travail avec des groupes comme Maïeutiste ou Aeon Patronist. Pour cet EP qui décadre un peu de nos habitudes et qui fricote pas mal avec des aspects post-rock ou noise, nous avions également envie de décadrer au niveau de l’artwork en misant sur quelque chose de très aéré sur fond blanc, tout en conservant une dimensions assez viscérale. Nous avons fait le même choix sur les photos de promotion du groupe, incluant les artistes externes et n’essayant pas de rentrer à tout prix dans les codes photographiques du metal extrême qui sont parfois, il faut bien l’admettre, assez étranges.

L'album sort en CD chez Aesthetic Death (ce label culte !) et en cassette chez Breathe Plastic Records, est-ce que les amateurs de vinyle peuvent espérer un pressage prochainement ?
Nous sommes très heureux que l’EP sorte chez ces deux labels pour lesquels nous avons énormément de respect. Un vinyle serait parfait pour ce format, mais les coûts sont aujourd’hui très élevés pour des labels indépendants, les matières premières sont de plus en plus difficiles à trouver, sans compter que la ré-émergence du format vinyle pour des sorties mainstream fait que les grandes maisons de disques en pressent désormais des quantités astronomiques, forçant les labels indépendants à passer en moindre priorité pour les usines, et causant en partie les délais importants de pressages que l’on connaît aujourd’hui. Nous gardons tout de même espoir et espérons pouvoir proposer ce format à un moment dans l’avenir.

Avec les concerts qui reprennent timidement, est-ce que vous avez quelques dates prévues ?
Nous avions pu faire un unique concert pendant la période de pandémie, organisée à Grenoble avec Liquid Flesh et Iron Flesh. Depuis que les choses ont réellement repris, nous avons eu la chance de rejouer à Chambéry et sommes prêts à jouer dès que l’occasion se représentera ! Cependant, nous arrivons sur la fin de la composition de notre nouvel album et une grande partie de notre énergie sur les mois à venir sera consacrée à finaliser les morceaux et à les enregistrer.

Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions, si tu as quelque chose à ajouter tu as carte blanche !
Merci à toi pour cette interview, et pour la chronique de "Fanges !


Le site officiel : www.facebook.com/barusband