Interview faite par mail par Murderworks

Salut les gens, le nouvel album est dans les bacs et s'appelle "Les Résignés". Petite question idiote pour commencer, on voit ces fameux résignés se rendre à leur exécution sur la pochette mais qui sont-ils ? Une catégorie spécifique de personnes ? Des personnages fictifs ? Les membres du groupe ?
Frédéric Patte-Brasseur (guitare) : Salut Murderworks ! En fait les "Résignés" peuvent être un peu n’importe qui, peu importe la catégorie socio-professionnelle ou l’âge. Ce sont des personnes qui, face à la société, ont décidé de baisser les bras, en étant tout de même influencés par le voyeurisme ambiant. Ils se réunissent, d’une manière presque mystique, autour du bourreau qu’ils ont choisi pour les exécuter, et comme dernier plaisir jouissent de la vision de la mise à mort des autres résignés. C’est bien sûr une métaphore d’une certaine vision du monde, qui est le fil conducteur des textes de cet album.

D'ailleurs jusqu'à maintenant vous êtes toujours passés par des photos sur vos pochettes, c'est un choix ou un concours de circonstances ?
C’est un choix assumé. Notre musique s’ancre dans une vision du réel, et pour nous la photographie est le plus souvent le meilleur moyen de traduire l’esprit d’un album. Qui plus est, la photographie a en général un aspect organique qui répond bien aussi à notre manière d’envisager notre musique.

Je ne sais pas comment vous abordez l'enregistrement de vos albums mais il y a quelque chose dans le son du groupe qui m'a toujours donné l'impression que vous enregistriez live. C'est le cas ?
Perdu ! Depuis le début nous enregistrons les instruments de manière séparée, mais par contre nous passons énormément de temps sur les phases d’écriture et de préproduction de nos albums. Nous répétons énormément les morceaux, puis nous enregistrons plusieurs répétitions où nous jouons l’album en entier et en live. Ensuite nous passons beaucoup de temps à disséquer la manière dont nous jouons les morceaux. Le tempo d’un morceau reste très rarement figé suivant ce que le groupe cherche à exprimer, et nous passons beaucoup de temps à relever ces légères accélérations et ralentissement pour les figer ensuite une trame que nous utilisons tous pour enregistrer. Et le but, c’est que ça sonne le plus "live" possible… donc merci du compliment !

J'ai l'impression que vos morceaux deviennent de plus en plus longs ! Vous composez comment ? Vous laissez une part à l'improvisation ou tout est millimétré ?
Le plus souvent, quelqu’un, en général Jo (chant, basse) se pointe avec un riff, ou un petit enchaînement de riffs, très brut. Le groupe s’empare de l’idée, et la fait tourner en répétition, encore et encore… et chacun apporte sa patte. De manière incrémentielle ensuite, la chanson va se construire : Qu’exprime-t’elle ? De quoi a-t’elle besoin pour évoluer ? et ainsi de suite. Au bout d’un moment, nous sentons que la chanson a fini de se raconter, et c’est à ce moment que nous disons qu’elle est terminée. Et comme tu as pu le voir… nos chansons ont beaucoup à raconter !



Je suis étonné que vous fassiez autant de clips d'ailleurs, parce que vu la longueur des morceaux justement ils ont des allures de courts métrages. Mine de rien, ça doit représenter pas mal de boulot en plus ça aussi ! L'envie de vous lancer dans un véritable métrage plus ou moins long de votre cru vous titille parfois ?
C’est beaucoup de travail effectivement. La question de la vidéo s’est plus ou moins imposée à nous, on imagine en effet assez mal aujourd’hui un groupe promouvoir un album sans ce support. Tu as souligné un point important, à savoir que la longueur de nos morceaux est une première difficulté. En plus de cela, nous n’avons pas vraiment envie de faire comme tout le monde, à utiliser plein de plans du groupe jouant dans un local entrecoupé d’une histoire plus ou moins formatée, et bien sûr, le tout sans budget… forcément c’est assez difficile. Cela étant dit, nous avons ces derniers mois pu expérimenter l’apport d’un vidéoprojecteur dans les conditions du live, et l’envie de faire évoluer notre scénographie nous a poussé à multiplier les vidéos sur "Résignés". A l’heure où j’écris ces lignes, il existe en fait un clip pour chaque chanson de "Résignés". Chacun est le fruit de la vision d’une personne différente sur la musique du groupe : on y retrouve les photographies de Kalistor Dinent’dal pour l’artwork de "Résignés", le travail sombre et liquide de Louise Brunnodotir, le patchwork halluciné d’Alexandra Senecal. Et pour la chanson-titre de l’album, J’ai moi-même écumé les quatres coins de l’Internet pour réunir les images illustrant le clip. Il s’agit de l’illustration vidéo du concept de l’album, où se mêlent séquences sur les pires choses de l’humanité, sur sa futilité, sur l’omniprésence de la mort quelqu’en soient les raisons, sur les conséquences de notre vanité. C’est assez choquant au final, mais cela renforce indéniablement le message de notre musique.

Au fur et à mesure des albums j'ai l'impression que vos sonorités doom et death fusionnent de plus en plus. Chez pas mal de groupes on peut facilement distinguer ce qui vient du doom de ce qui vient du death, chez Ataraxie c'est quasiment impossible. En tout cas ça vous démarque encore plus du reste de la scène et ça vous fait une personnalité d'autant plus marquée. Je suppose que c'était le but ?
J’avoue qu’au bout tant d’années passées dans le groupe (à ce jour, j’ai environ 25 ans de "carrière" en tant que musicien dont 18 dans ATARAXIE), réfléchir en termes de "styles" n’est quasiment plus une question que nous nous posons. Qu’une idée musicale vienne, et cela devient, après l’avoir testée pendant quelques répètes, un truc d’ATARAXIE. D’ailleurs, si tu fais très attention, tu t’apercevras que certaines idées sont aussi empruntées à d’autres influences, comme le black metal, ou de groupes de certaines scènes "post" ou extrêmes. Mais on en a fait notre truc.

Après le départ de Sylvain Estève, vous avez décidé de le remplacer non pas par un guitariste mais par deux ! La perspective d'harmonies à trois guitares vous a attirés ou vous avez eu du mal à choisir ?
Au départ de Sylvain, nous avons simplement cherché à trouver quelqu’un qui puisse reprendre le poste en respectant son travail passé, mais aussi qui puisse avoir un rôle moteur dans l’avenir du groupe. Au terme de deux journées intensives pendant lesquelles nous avons pu jouer avec un certain nombre de candidats, nous en avions deux qui ressortaient franchement du lot. Hugo avait su interpréter les chansons dans un style très proche de Sylvain, et était très à l’aise avec notre répertoire. Julien, lui, avait apporté une touche toute personnelle à nos compos. Nous n’arrivions pas à choisir. Du coup, nous avons fini par décider de ne pas choisir, et par là même nous lancer le défi de renouveler notre musique en passant à trois guitares. Cela nous a demandé une période d’apprentissage, mais le résultat est, je pense, totalement à la hauteur du défi que nous nous étions posé.

D'ailleurs ils sont tous les deux là depuis quelques temps maintenant, je suppose donc qu'ils ont participé à la composition du nouvel album et que vous avez eu l'occasion de faire du live avec eux ?
Oui, en fait on les a lancés très vite dans le grand bain. A peine intégrés dans le groupe, qu’il a fallu préparer un concert qui avait lieu moins de deux mois après, il a fallu cravacher pour réarranger les chansons du set à trois guitares. On a enchaîné quelques dates sur 2014 et cela a été très bénéfique pour créer une véritable cohésion de groupe. A la fin de l’été, quand nous avons enchaîné Festival des Arts Bourrins et Kill Town Death Fest à Copenhague je dirais que nous avions enfin retrouvé le niveau qui était le nôtre avant le départ de Sylvain. Nous avons pu enchaîner avec la composition de l’album, sur lequel nous avons pris notre temps et pu apprendre aussi à composer à trois guitaristes. Curieusement, à un niveau individuel, cela voulait dire aussi apprendre à savoir s’effacer encore plus pour rendre service à la musique que nous faisions. Sylvain, dans sa grande modestie, n’osait pas beaucoup se mettre en avant musicalement, quand Hugo et Julien ont un jeu qui tend à être plus flamboyant. Nous avons donc appris à mettre ces moments à profit pour que nous ayons chacun nos moments, mais aussi tisser ensemble des mélodies plus complexes, et bien sûr apprendre à maximiser notre impact lorsque nous jouons tous les trois à l’unisson.



Même si je sais que les membres de groupes de doom ne sont pas des dépressifs suicidaires, il doit quand même y avoir une bonne part de catharsis là-dedans ? On ne peut pas composer une musique pareille si on vit sur un petit nuage (vu l'état du monde actuel, j'avoue qu'il faut être sacrément déconnecté pour vivre sur un nuage mais bon...) !
Tu as tout à fait raison, il y a une énorme part de catharsis dans le doom. Je pense que si tu passais un moment en coulisses avec la grande majorité des groupes connus, tu te demanderais en sortant si nous jouons réellement du doom… Mais nous partageons aussi tous à un certain niveau cette vision pessimiste du monde qui nous entoure. Seulement, nous l’exprimons en musique, et nous laissons les sentiments négatifs nous traverser lorsque nous jouons, pour se sentir curieusement en paix quand nous descendons de scène. Transformer le négatif en beauté (sombre), c’est ce qui nous permet de ne pas être de grands dépressifs au quotidien.

J'ai vu que l'album allait sorti en CD, vinyle et cassette. Pour le retour du vinyle je peux comprendre, mais je vois que pas mal de groupes ou labels ressortent des cassettes et j'avoue être surpris vu la fragilité du format (bon, je me doute que c'est aussi une bonne occasion de surfer sur un revival). Vous en pensez quoi, ce n'est pas la nostalgie du tape trading quand même ?
C’est assez bête en fait… C’est parce qu’on nous le demande. La cassette est revenue en grâce, en partie je pense parce qu’il s’agit d’un support pour lesquels les délais de fabrication restent raisonnables. Personnellement, je ne suis pas un grand fan de ce support, ayant connu quand j’étais jeune la joie des autoradios et walkman capables de vous bouffer la bande, les joies de la démagnétisation et de l’usure, sans compter que la bande passante était par essence limitée. Ceci dit les puristes trouvent un charme à ce son… Pourquoi pas ? Mais tant qu’à écouter un support "analogique", je préfère largement le vinyle.

Vous avez tous plusieurs groupes ou projets au sein d'Ataraxie, comment faites-vous pour cumuler tout ça sans jamais vous emmêler les saucisses ? Le fait que certains ne fassent pas ou peu de live suffit à ce que tout puisse coexister ?
Cela demande de l’organisation ! Pour ma part je suis effectivement partie prenante de cinq projets, et il est évident que je ne peux pas avoir dans chacun le même niveau d’implication que dans ATARAXIE. Certains groupes sont comme tu l’as souligné de purs projets de studio, d’autres répètent plutôt en prévision d’évènements, avec une organisation différente quand au processus de composition. Dans ATARAXIE, nous avons en fait appris à être efficients pendant nos répétitions, qui sont plus espacées, mais aussi plus longues que par le passé. En fait, à ce jour, nous avons plutôt plus de contraintes liées à la vie de famille de certains membres ou à leur éloignement géographique que de contraintes dues à nos activités extra-scolaires hors d’ATARAXIE.

Où va-t-on pouvoir vous croiser en live ? Vous avez une tournée en cours ou prévue ?
Un peu partout en Europe, comme d’habitude j’ai envie de dire. Nous avons commencé les dates pour l’album par une petite série de concerts, deux en France et deux dans le Benelux, et à l’heure où j’écris ces lignes, nous avons des dates en négociations à l’automne en Allemagne, France et d’autres lieux éloignés. Nous espérons aussi pouvoir effectuer une "vraie" tournée courant 2020, qui risque de traverser plusieurs pays. Mais c’est encore trop tôt pour en parler.

Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions, si vous avez quelque chose à ajouter vous avez carte blanche !
Merci à toi pour ta patience (désolé pour le délai mis à répondre à tes questions !), merci aux lecteurs de French Metal, et pour ceux qui nous découvriraient, j’espère que vous prendrez le temps de jeter une oreille ou deux sur notre dernier album, dispo en streaming, et viendrez nous voir en concert.
Doom or be doomed !
Fred.


Le site officiel : www.ataraxie.net