Interview faite par Pascal Beaumont à Paris.

Amenra est un combo qui nous vient tout droit de la Belgique, le pays où la bière et les frites règnent en maîtres. Rien de tel pour régaler nos papilles, le tout bien sûr accompagné d'un album d’Amenra. Si le gang est relativement inconnu en France, il a pourtant déjà derrière lui une longue carrière et a sévi de nombreuses fois dans l'hexagone. Personne ne peut avoir oublié leur prestion dantesque au Hellfest en 2012 où nos belges avaient fait une très forte impression. Les bougres ont débuté en 1999 et ont une pléiade d'albums à leur actif, la série des Mass que l'on peut rapprocher d'une messe à la sauce Amenra. Un cocktail explosif qui vous projette directement dans un univers sombre et glacial unique en son genre. De qui faire frémir tout fan de metal qui se respecte. Colin et ses acolytes ont inventé un monde bien à eux qui ne trouve nulle par ailleurs son pareil. Une galaxie intemporelle qu’ils ont su développer au fil des albums à travers un doom alambiqué, très travaillé, destiné à créer une ambiance noire qui vous enveloppe tout au long du voyage et vous glace le sang. Car Amenra c'est bien plus que du doom, c'est une expérience que chacun peut vivre à sa manière mais dont on ne ressort pas indemne. Un long voyage à travers la quatrième dimension version doom qui vous envoie pour l'éternité sur la planète Amenra. Nos amis belges n'ont pas leur pareil pour développer des thèmes basés sur une dualité, que ce soit la naissance et la mort, la lumière et les ténèbres, la douleur et le sacrifice. Un espace où la religion n'est pas absente, loin de là, le nom Amenra étant issu tout droit du nom hébraïque amen, la messe est dite et les adeptes sont prêts à se réunir au sein de la Church Of Ra créée par Amenra en 2005 ! Pour en savoir un peu plus sur cette formation étrange venue d'ailleurs, votre serviteur s'est mis en quête de passer à la question le sieur Colin H Van Eeckhout, chanteur et leader du combo belge. Entretien avec un musicien impliqué et passionné conscient de l’importance d’Amenra et fier de cette sixième messe offerte à ses fidèles venus en masse se recueillir au sein de la cathédrale Amenra ! Magnéto, Colin, c’est à toi !

Bonjour Colin, comment s’est déroulée cette journée de promotion à Paris ?

Colin H Van Eeckhout (chant) : C’était très bien. J’ai le sentiment d’avoir fait du bon travail. Les journalistes que j’ai rencontrés étaient intéressés par AMENRA et comprenaient ce que l’on faisait. C’était très agréable.

C’était la première fois que tu avais l’occasion de rencontrer la presse française ?
Oui, c’est la première fois que j’assure une journée entière de promotion dans la capitale. En général, je fais surtout ce genre d’exercice en Belgique et en Hollande. Là c’est une première.

Quel souvenir gardes-tu de ton concert au Divan du Monde en Octobre 2015 ?
Je m’en souviens très bien. C’était vraiment cool, je trouve que Paris à une énergie particulière. C’est très chouette de jouer dans des endroits où les gens comprennent ta démarche et que tu te retrouves face à un public nombreux. Ca nous donne de l’énergie et de la force. Ce genre de show, c’est en quelque sorte un complément pour nous. C’est beau. C’est un bon souvenir, on a fait la fête avec les organisateurs après le concert, c’était cool. Un très bon moment.

En Juillet et Août vous avez tourné aux Etats-Unis au côté de Neurosis et Converge, quel souvenir gardes-tu de ce périple ?
Pour nous cela a été un grand moment, une bonne expérience dans notre carrière. On connaissait les musiciens de Converge et Neurosis et on savait que cela allait bien se passer. Ce qui est étonnant, c’est de voir que des formations d’un tel niveau nous ont énormément aidés. Ils nous ont pris sous leurs ailes sur ces dates. C’était totalement fou pour nous d’avoir l’occasion de jouer devant 100 ou 2000 personnes chaque soir dans un pays où on n’avait presque jamais mis les pieds. C’était très chargé, on était occupés de midi jusqu’à minuit. En même temps, comme on ouvrait pour ces deux combos, on faisait le sound check et on jouait en premier, ce qui nous a permis d’en profiter. On a pu faire la fête et assister aux shows. C’était vraiment très sympa quelque part, on était un peu en vacances. C’était la troisième fois que l’on se rendait aux USA, c’est toujours très plaisant.

Quel est ta perception des Etats-Unis ?
Là-bas c’est très étrange. C’est totalement différent de l’Europe. On a beaucoup de chance ici, aux USA la concurrence est rude car il y a énormément de groupes. Lorsque tu joues dans les grandes villes ça va et c’est similaire à ce qui se passe en Europe. Mais les conditions ne sont pas faciles, on n’avait presque rien à boire. Il faut presque te mettre à genoux pour obtenir une bouteille d’eau. C’est étrange. D’un autre côté tu as l’impression d’explorer un nouveau monde, c’est un peu comme si tu débutais. Il n’y avait pas beaucoup de monde qui nous connaissait et il fallait essayer de conquérir un maximum de fans.

Est-ce que tu apprécies la vie en tournée ?
C’est quelque chose que j’aime bien mais j’apprécie aussi lorsque je rentre à la maison. Je trouve que lorsque tu es sur les routes à enchaîner les dates tu vis une espèce d’illusion. Tu n’es plus en phase avec la réalité. La seule chose que tu as à faire c’est de te déplacer d’un point A à un point B. Lorsque tu arrives au point B, tout est prêt, la nourriture, les loges, tu n’as rien à faire. Tu as juste un timing à respecter, faire le sound check et monter sur scène. C’est étrange de travailler comme ça mais en même temps c’est très cool. Au final, tu n’as pas à penser à quoi que ce soit. C’est totalement différent lorsque tu es à la maison. Là, il te faut gérer le quotidien, les finances, la famille, les enfants…. Le but en tournée c’est de conquérir de nouveaux fans chaque soir lorsque tu es sur scène. Il faut faire découvrir ta musique à tous ceux qui ne te connaissent pas. C’est une passion qu’il faut transmettre.

Comment décrirais-tu Amenra sur scène ?
C’est la force de la nature (rires) ! On donne le maximum d’intensité en concert en relation avec notre histoire et notre force physique. On y va à fond. Les morceaux sont nettement plus puissants lorsque l’on les joue sur scène. Ils prennent une autre dimension. On est avant tout un groupe de scène.

Selon toi, qu’est-ce qu’un bon concert d’Amenra ?
Je pense que c’est lorsque tu arrives à te perdre lors du show et que tu peux jouer d’une façon automatique. Il n’y a rien qui détourne ton attention du show. Tu peux rester dans ta bulle et faire ton set en donnant tout ce que tu as. C’est quelque chose de spécial. Ça se ressent lorsque tu arrives à jouer libérer de toutes contraintes, sans interventions extérieures. Cela peut être des problèmes de son, ce genre de souci. C’est bien lorsque tout est parfait que ce soit au niveau des balances ou du concert. Là tu peux tout donner.



Est-ce que tu arrives à composer lorsque tu es sur les routes ?
Non, lorsque tu donnes des concerts chaque soir tu es constamment occupé. Et puis tu dois répéter. Tout cela te prend beaucoup d’énergie et tu ne peux pas écrire. Je ne peux composer que lorsque je ne suis pas en tournée.

Est-ce que cette vie de nomade peut t’inspirer en termes d’écriture ?
Oui, lorsque tu es un peu perdu, que tu n’as plus de point de repère, ça peut t’inspirer. Parfois, lors de conversations anodines, certaines personnes vont te raconter leur histoire et je peux par la suite m’en servir. Que ce soit à travers la douleur ou les épreuves qu’ils ont traversées. Mais en général ce sont des amis ou des personnes proches qui vont me donner des idées. Lorsque mon cœur est à leur côté, cela déclenche quelque chose.

Tu as déclaré ne pouvoir composer et écrire que dans un état de tristesse et de désespoir, qu’entends-tu par là ?
Oui, c’est vrai, mais ce n’est pas en permanence. C’est un état qui peut durer un court instant et qui va déclencher l’écriture. Il faut qu’un événement survienne et te mette sur les genoux. Et ça va ressurgir six mois ou un an après. Pour écrire "Mass VI", il m’a fallu cinq ans, c’est un laps de temps important.

Tu gardes les moments difficiles que tu as vécus en toi et ils ressurgissent à un  moment ou un autre ?
Oui, c’est vrai, tu les portes avec toi. J’écris en permanence, cela peut être un mot ou une phrase que je découvre dans un texte ou que j’apprends de quelqu’un d’autre. Tout ça va faire partie d’un texte, une conversation, un mot, il faut que ce soit le moment et que cela ait un sens.

Est-ce que le processus d’écriture pour "Mass VI" a été difficile ?
Oui, l’écriture du sixième album a été difficile. On ne voulait pas trop changer mais en même temps on voulait apporter aussi quelque chose de nouveau. C’était le challenge, il fallait que cela reste du AMENRA tout en étant différent. C’est la difficulté majeure : se réinventer soi-même. On voulait que "Mass VI" soit différent sans trop changer.

Comment est née cette idée d’appeler tous vos albums "Mass" associés à une numérotation croissante ?
Cette idée est née dès le départ. Pour nous, une messe c’est un moment d’introspection très spécial et c’est exactement ce que l’on essaye de faire à chaque album. C’est une assemblée d’espèces de prières, de questions que tu te poses. C’est un moment très logique d’assimilation.

Penses-tu avoir créé avec Amenra un univers unique qui vous est propre ?
C’est un truc de fou, cela représente tellement d’années que ça fait partie de toi. Cela nous a définis en tant qu’individus. Lorsque j’y pense je me dis qu’AMENRA représente un peu notre âme. On a tous adapté nos vies à ce combo, on regarde le monde avec les yeux d’AMENRA. On vie et on travaille AMENRA. Chaque seconde est liée à cette formation, on cherche l’inspiration AMENRA. C’est beau de voir que l’on est encore ensemble après 20 ans et que l’on est toujours amis. C’est un tout et je suis heureux d’avoir ça.

C’est une forme de possession ?
Oui, c’est vrai. C’est quelque chose qui fait vraiment partie intégrante de nos personnes.

Est-ce que la religion joue un rôle important au sein d’Amenra ?
Oui, indirectement. Mais je préfère dire spiritualité. Mais la religion a un rôle important dans notre processus artistique. Il y a quelque chose d’indéfinissable qui est au cœur d’AMENRA. De temps en temps on touche quelque chose de spécial en concert. Mais il y a un côté religieux qui est présent, c’est ce que je ressens.

Lorsque l’on apprécie le combo, on adhère en quelque sorte à la religion Amenra ?
Oui, cela peut être vu comme ça. Tu rentres dans un univers et tu vas vivre ce moment. C’est un plus que nous apportons.

"Children Of The Eyes" est le premier single de "Mass VI", est-ce que le choix du titre représentant l’opus a été difficile ?
Oui, c’est étrange de choisir un morceau qui va être le premier contact avec l’album. Il faut bien réfléchir car tu ne peux pas forcément choisir le meilleur titre ni le plus mauvais. Mais au final cela vient naturellement, on sait à l’avance quelle chanson va faire l’objet d’un clip. C’est logique, on a choisi le morceau qui ouvre l’opus car c’est celui que le public va découvrir en premier. On suit l’ordre chronologique de "Mass VI" parce que l’on considère qu’il faut tout écouter d’une traite et pas séparément.

Le clip est superbe, c’est un véritable petit court métrage qui baigne dans une ambiance très noire !
Oui, c’est une vidéo qui est très longue et il faut que les gens puissent se l’accaparer. Tout ce que l’on fait est plutôt noir donc c’est naturel que l’on aille dans cette direction-là. On a aussi essayé de mettre en images ce que l’on veut exprimer à travers ce titre. C’est un morceau qui est un peu une surprise, c’est une forme d’attaque qui laisse peu d’espace à ceux qui le visionne. On offre au public beaucoup de mots, c’est une forme de bataille contre des ennemis invisibles. C’est ce que l’on a voulu développer à travers ce visuel. On y voit un jeune homme plutôt androgyne, on ne sait pas réellement si c’est un homme ou une femme. Il construit des corbeaux et il en crée des milliers. Il y en a certains dont il est très fier, il pense qu’ils sont presque parfaits. Et puis le jour du jugement, il comprend que ce n’est pas bon et que ce n’est pas ce que cela doit être. L’idée c’est aussi que l’on peut voir de la lumière dans la noirceur. L’espoir est tout de même présent dans l’énergie de continuer.

Que symbolise ce corbeau que l’on voit partout dans votre univers ?
C’est la mort. Il faut vivre avec l’idée qu’elle est présente et qu’elle peut arriver plus vite que l’on ne le pense. C’est un thème important pour nous.

"Plus Près De Toi" est un titre en version française, ce n’est pas le premier d’ailleurs, pourquoi avoir choisi de chanter dans une autre langue que l’anglais ?
Non, on a déjà fait des morceaux en français. Celui-là est inspiré d’un titre religieux que tout le monde connaît. Et puis lorsque je me promenais en Wallonie, j’ai vu ce tableau avec ces deux mains qui se rejoignaient et pour moi ce n’est pas magique mais je trouve que cela a bien plus d’impact que la version flamande. J’ai pris tout ça et j’ai commencé à écrire et j’ai fini par concocter un texte en français. Parfois la différence va se faire grâce à la langue, elle va avoir plus d’effet qu’une autre, elle t’atteint bien plus. J’essaye toujours de trouver le langage parfait pour mettre en valeur les paroles d’un titre.



L’enregistrement de "Mass VI" a été épique, vous êtes resté bloqués lors d’une tempête de neige au cœur des Ardennes belges pendant une semaine ?
Oui, et c’était chouette. On était en plein enregistrement et on ne pouvait plus quitter le studio même pour aller faire des courses. Mais c’était très bien car cela nous a rapprochés et a rendu le moment plus magique.

Cette fois-ci vous avez décidé de collaborer avec Billy Anderson, comment se sont déroulées les sessions en sa compagnie ?
On le connaît bien, on s’entend très bien avec lui mais on ne l’a rencontré que trois ou quatre fois au final. Mais il nous a beaucoup apporté au niveau du son.

Est-ce difficile de trouver le bon producteur pour Amenra ?
Il faut vraiment croire dans la personne. C’est difficile de confier ta musique à quelqu’un d’autre et de travailler avec lui.

Est-ce que vous aviez au départ une idée du son que vous souhaitiez obtenir pour "Mass VI" ?
Pour cet album, on a surtout laissé agir Billy. Lui a fait les premiers pas. On lui amène une idée de base de ce que l’on souhaite obtenir et lui décide à quelle sauce il va développer le morceau. C’est intéressant et c’est pour cela que l’on travaille avec lui. Il maîtrise bien tout cela.

Le mastering a été assuré par Justin Weiss !
Oui, on souhaitait quelqu’un de différent pour se charger du mastering afin qu’il ait du recul. On a passé quatorze jours en studio et tu perds la distance par rapport aux titres, tu es trop impliqué. Il faut une vue extérieur et Justin avait ce regard et c’est aussi un ami de Billy. Ils travaillent beaucoup ensemble et maîtrise bien le son, ils savent comment faire pour améliorer le tout.

Selon toi quelles sont les différences essentielles entre "Mass V" et "Mass VI" ?
Je ne sais pas. Je pense que nous avons été plus loin dans les extrêmes d’une façon plus importante. Les passages tristes sont plus tristes et ceux plus violents le sont encore plus que sur "Mass V". Il y a plus de profondeur, le nouvel opus va sonder l’âme d’une manière plus profonde. C’est très difficile de comparer les deux albums.

Vous avez donné de nombreux shows acoustiques ces dernières années, est-ce un exercice que tu apprécies ? 
J’aime bien les deux, que ce soit l’électrique ou l’acoustique. Ce sont deux mondes différents. En acoustique, tu es totalement nu. Ce n’est pas notre force première et nous ne sommes pas habitués à jouer de telle manière. On a encore beaucoup à apprendre. Nous ne sommes pas sûrs de nous comparer à un show acoustique.

C’est un challenge pour vous ?
Oui, totalement. Cela nous fait peur. A chaque fois j’ai les jambes qui tremblent.

Pour conclure, qu’as-tu envie de rajouter qui te paraît important ?
J’espère que les gens vont apprécier "Mass VI" et s’investir d’une manière plus profonde, qu’ils vont aller au-delà de la musique. On a beaucoup à dire et je pense que cela dépasse notre musique. J’espère que les gens auront l’énergie de s’intéresser à tout ce que nous apportons à travers cet opus.

Merci beaucoup pour l’interview !
Merci beaucoup. Maintenant je vais rentrer à la maison.


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