Interview faite par Intissare à Paris.

Que signifie monter sur scène pour vous ? Est-ce que vous considérez le fait de jouer votre musique comme ayant une dimension religieuse, c'est-à-dire comme un "rituel, un culte" ou bien est-ce autre chose ? Je vous ai vus sur scène il y a un an, et j’ai eu l’impression véritablement que vous vous utilisiez la scène comme un moyen d’expulser votre souffrance, comme une sorte de "catharsis", comme si toute cette souffrance était expulsée à la manière d’une onde de choc et que vous vous mettiez à nu.
Colin H Van Eeckhout (chant) : Oui on peut dire que c’est quelque chose de religieux mais qu’on ne peut pas expliquer, il y a quelque chose qui nous tire lorsqu’on est sur scène, ce qui est religieux ça va être aussi la manière dont on touche le cœur des gens lorsqu’on est en train de faire ce qu’on fait, c’est quelque chose qu’on peut appeler religieux et c’est surtout canaliser les émotions et nos efforts dans un moment ou on s’implique, on cherche un peu toutes les choses qui nous ont emmerdées dans notre vie pour ça. Il y a aussi le sentiment d’être seul même si on ne l’est pas, c’est un peu tous ces moments là qu’on canalise et qu’on rejette lorsqu’on monte sur scène, exploiter la souffrance c’est ça le but mais des fois ça marche et d’autres ça ne marche pas, par exemple hier on jouait en Allemagne et on a eu des problèmes techniques, ces problèmes là ne nous permettent pas de nous projeter complètement dedans et de faire fonctionner l’alchimie. Mais en tout cas oui l’idée est de prendre la souffrance et de l’exploiter dans un moment, et j’ai eu une fois l’idée que si je prenais toute la douleur que j’ai en moi pour la rejeter ça n’allait pas se répercuter sur les autres et on va le plus loin possible dans ce qu’on fait, mais c’est très difficile de l’expliquer et dès qu’on commence à le faire ça devient un peu moins fort, il faut un peu nous connaître et te jeter dedans pour comprendre un peu ce qu’on fait, on essaie de l’expliquer, ce qu’on fait, ce qu’on veut faire mais c’est déjà dur pour nous-mêmes de se l’expliquer, la dimension des sentiments et du ressenti fait partie de notre musique et il faut le vivre.

Est-ce que la scène est indispensable pour vous, est-ce un besoin ? Est-ce qu’on peut imaginer Amenra sans la dimension qu’est la scène ?
Lorsqu’on se retrouve le dimanche pour manger en famille ou entre amis, ça c’est aussi AMENRA et on est vraiment sûr que ça ne va jamais s’arrêter, même si l’un d’entre nous venait à partir, on est sûr que ça va toujours continuer, et même si nous partons tous et qu’il n’en reste plus qu’un, il continuera aussi, c’est quelque chose d’universel parce qu’on est sûr que l’on éprouvera toujours de la douleur et qu’on aura quelque chose ou les gens peuvent se raccrocher. Et oui ça peut exister sur différents médiums avec tout ce qu’on fait avec la Church of Ra. Ce qui est religieux est aussi le côté humain, essayer de faire les choses avec son cœur, être le meilleur possible et s’entre aider chacun comme une grande famille pour atteindre ce qu’on cherche à faire, avec AMENRA on éssaie de créer un petit monde "parfait" on aimerait que ça s’étende à la société, on aimerait que les gens voient ça et que ça les fasse réagir, que ça leur donne peut être envie de faire pareil, de nous aider à créer ce petit monde.

Si je vous demande de me définir un concert réussi, ça serait difficile pour vous ?
Un concert réussi ça arrive très peu de fois en fait, lorsqu’on sort de scène et qu’on a tous le même ressenti, qu’on se dit que c’était réussi, c’est très rare, mais parfois ça arrive lorsque tout se passe automatiquement comme je te disais tout à l’heure du point de vue technique, qu’on n’a pas à penser à ces détails et qu’on peut se concentrer pleinement dans le moment, ou la musique prend tout, qu’on se perd dedans et qu’on se réalise et ça ne dépend pas de la scène ou de la salle, parfois c’est mieux dans un petit endroit, ou le son va mieux que dans des endroits plus grands, il y a seulement 10% ou la musique prend tout, ou on a pas à s’inquiéter de si on joue juste ou pas… mais c’est aussi très individuel je crois, parfois pour moi c’était mauvais mais du côté des gens ça a pris.



Est-ce que vous faites quelque chose de différent sur scène pour chaque album, est-ce qu’il y a un concept à chaque fois ou bien est-ce toujours la même idée de fond ?
C’est toujours un peu la même idée de fond, on a déjà essayé de faire autre chose avec les jeux de lumière par exemple, mais ça ne fonctionnait pas, ça ne nous permettait pas d’entrer pleinement dedans, donc on a tout arrêté on a dit qu’on utiliserait seulement des petites lumières, on avait vu ça avec le mécanicien et on savait que ça nous permettrait de faire notre truc, on s’est un peu perfectionné avec le temps, par exemple lorsque l’on joue dans les grands festivals avec une audience plus large alors il faut chercher des manières de répondre à la demande mais ce qui est important c’est de ne pas faire quelque chose qui ne soit pas nôtre. On travaille aussi beaucoup les visuels, il y a des gens, nous voir sur scène leur suffit mais d’autres veulent avoir d’autres dimensions à notre musique alors on travaille beaucoup nos clips par exemple, il y a une magie aussi dans cet aspect qui peut inviter une personne à se perdre dedans.

Est ce que vous avez une préférence des lieux ou vous jouez, vous préférez des lieux plus intimes comme ici ou peut être les festivals ?
Les festivals sont très rarement un cadeau pour nous mais beaucoup de gens sont présents et vont nous voir, ça c’est un autre aspect. Je pense que ce qu’on préfère le plus c’est organiser les choses nous-mêmes, chaque année on organise un concert, à Ghand chez nous, beaucoup de fois dans des églises ou des chapelles, parfois dans des anciens bâtiments industriels, au niveau du son il y a quelque chose de très fort, ce qu’on c’est faire les choses nous-mêmes, je me souviens d’une fois on devait arriver à 7 heures du matin parce qu’on devait tout monter et préparer nous-mêmes et après le concert on devait tout ranger ect, c’était long et il y avait les enfants qui jouaient au milieu de tout ça, ça c’est quelque chose qu’on aime.

Est-ce que vous considérez Amenra uniquement comme une expression musicale ? Parce que plusieurs formes d’expressions peuvent y être rattachées, je pense à tout le travail pour vos clips vidéo, ou votre propre travail artistique avec la Church of Ra par exemple.
Ca pourrait exister seulement sur disque mais aussi autrement, lorsqu’on a commencé on travaillait avec des claviers dans notre chambre, eau début on faisait un peu de sérigraphie, on a essayé d’étendre l’envie de créer notre monde à travers différents médiums visuels, petit à petit on voulait réaliser ce monde en vrai, que les gens puissent le toucher et qu’ils voient que ça n’a pas été créé juste artistiquement ou artificiellement. On a utilisé un monastère à un moment, on a eu notre propre endroit ou on y avait construit une chapelle par exemple, une salle de banquets, le dernier truc qu’on a fait c’est un masque en cuir d’enfants qui a été excavé et qu’on a trouvé sur un marché à Ghand et qui date de 1800 quelque chose comme ça, on essaie de toujours chercher de nouvelles choses dans notre vie et se les approprier, maintenant c’est la période dans notre vie ou on a des enfants, et ça prend beaucoup de place dans notre vie pour le moment. Le masque c’est quelque chose qui va être exposé un temps mais qui va réapparaître dans mon living tu vois, on veut un peu avoir le contrôle sur tout et on s’entre aide tout le temps, lorsque l’un d’entre nous a besoin, quand Hessian a besoin d’un clip, Mathieu (Mathieu vandekerckhove, guitare) les aide, ça aussi c’est AMENRA.

Comment vous vivez la douleur ou la souffrance ou votre souffrance ? On a l'impression que vous utilisez la souffrance comme si elle est nécessaire pour vous ?
Je pense vraiment que la souffrance et la douleur on les exploite et on essaie de les tirer vers l’espoir et vers la lumière, on ne va pas dire que moi j’ai eu une vie qu’on pourrait dire horrible mais ça c’est un sujet très individuel, quelque chose qui se passe pour une personne par exemple peut être une tragédie alors que quelqu’un qui est dans la misère va mieux le vivre en comparaison avec cette personne, mais ça c’est aussi une tragédie, et on est pas en train de faire une balance, on prend les différents ressentis et on les rejette sur le moment, pour certains ça peut être une expérience plus extrême que pour d’autres. Mais moi par exemple j’ai vécu des choses qui ont vraiment bousculé ma vie c’est pour ça que j’ai voulu créer quelque chose ou il y a beaucoup de chaleur, d’amour et ça c’est quelque chose de très beau qui est né de la souffrance alors on ne doit pas toujours voir la souffrance comme quelque chose de négatif, il faut penser que le moment ou tu souffres n’est pas le reste de ta vie, et que cette souffrance tu pourras en faire quelque chose après. J’ai créé AMENRA j’avais 14 ans en fait, j’ai fait mon premier concert avec notre bassiste et aujourd’hui j’en ai 35, on ne compte plus les années…

Je remercie Colin pour son accueil et pour le temps qui m’a été accordé.


Le site officiel : www.ritualofra.com