Interview faite par mail par Boris

Les Nancéens d'Akroma, sous la haute bienveillance de Matthieu (guitare / claviers) et d'Alain (chant), sont un peu à part sur la scène metal française. Après 2 albums conceptuels sur les 7 pêchés capitaux puis sur les 10 plaies de l'Egypte, ils reviennent avec "La Cène". Opera black symphonique d'une grande richesse qui ne cache pas ses ambitions. Matthieu vient donc nous éclairer sur la conception de l'album, le choix du concept autour des 12 apôtres et bien d'autres choses en plus...

Salut Matt, et merci de répondre à mes questions pour French Metal. Tout d'abord, lorsque tu as décidé de monter Akroma avec Alain (chant), aviez-vous l'ambition de ne réaliser que des concepts albums, de faire du groupe un "concept band" si je peux dire ?

Matthieu (guitare / claviers) : Salut Boris. Ceux qui suivent mon travail savent qu’il m’est très difficile d’envisager un disque autrement qu’autour d’un concept. Pour AKROMA, disons que notre ambition première était simplement de sortir un concept-album. On n’envisageait pas forcément d’en faire d’autres lorsque nous avons écrit "Sept".

Je sens chez vous une forte envie de se créer une identité, Akroma c'est plus que de la musique, il y a un très fort désir créatif, n'est ce pas ? Comment l’expliques-tu ?
Absolument. C’est important pour nous de tenter de créer un groupe unique, parfaitement identifiable à la première écoute, avec un style propre. C’est un peu prétentieux mais je crois qu’on est parvenus à un résultat. Je l’explique par le fait que dès le départ nous avons envisagé AKROMA comme une sorte d’entité globale qui transcende le premier aspect musical pour se plonger dans une démarche artistique globale. C’est très wagnérien comme façon d’envisager tout cela !

Pour votre premier album "Sept", vous avez donc choisi de traiter des 7 pêchés capitaux. Pourquoi ce choix ?
C’est une idée de concept que j’avais avant même de créer AKROMA. J’avais un temps envisagé ce thème pour le troisième album d’Elvaron. J’avais également quelques idées de compositions pour accompagner tout ça mais c’était trop extrême pour un album d’Elvaron. Et puis je suis retombé sur Alain par hasard et il venait de quitter Scarve. J’avais souvent imaginé qu’on puisse jouer dans le même groupe et donc je lui ai parlé de mon concept et AKROMA est né.

Votre deuxième album, "Seth" traite quant à lui des 10 plaies de l'Egypte. Cela demande donc à chaque fois un gros investissement intellectuel (recherches, lectures) et émotionnel puisqu'il s'agit de retranscrire tout ça en musique...
Oui c’est certain, mais c’est toujours passionnant de se plonger dans des recherches pour élaborer un scénario. Et puis pour "Seth", il faut savoir qu’Alain est un inconditionnel de l’égyptologie donc ce fut assez aisé pour lui d’aborder le projet.

Est-il nécessaire d'avoir une vision d'ensemble du concept avant de passer à la composition ou cela n'a pas d'importance ? De quelle manière composez-vous à partir du moment où le concept est choisi ?
Avoir une vision d’ensemble est non seulement nécessaire mais surtout indispensable pour écrire quelque chose de cohérent. Je dirai même que c’est ça le plus important : avoir une vision d’ensemble qui englobe tout : la musique, les textes, le visuel, les invités, comment ça va sonner, etc. J’ai toujours ces éléments en ligne de mire. Ensuite pour le processus créatif nous avons expérimenté les 2 possibilités. Pour "Sept", j’ai composé tout l’album et ensuite Alain a écrit ses textes. Pour "Seth" et" La Cène" nous avons fait l’inverse.



Comment choisis-tu tes guests sur les albums ? Le fait qu'ils soient français a une importance pour toi ?
Oui, nous voulions travailler exclusivement avec des musiciens français. Je ne peux pas vraiment l’expliquer, ça nous a paru une évidence. Ensuite le choix des guests, c’est assez vaste et complexe. En premier lieu, nous faisons appel à des potes avec qui on a partagé des scènes ou joué dans le même groupe. Ensuite il y a des musiciens que je ne connais pas personnellement mais avec qui j’aimerais travailler alors je prends les contacts, je leur présente AKROMA et le concept. Enfin il y a ceux qu’on ne connait pas du tout et qui nous sont recommandés par des proches ou d’autres musiciens. Dans ce cas, quand on me propose quelqu’un que je ne connais pas, je me rencarde, j’écoute, je regarde et si ça me parle alors je prends contact.

Quelles ont été les moments forts de ces 2 premiers albums pour toi ?
Le moment fort pour "Sept" fut sans doute lorsqu’Alain est venu chez moi pour la première séance d’enregistrement et qu’il a chanté les 4 premières phrases de "La Colère". C’est à ce moment là qu’on a perçu qu’on tenait avec AKROMA quelque chose d’assez unique. Pour "Seth" je crois que le moment fort ce fut quand on a lancé un appel aux Zombies et qu’on a reçu toutes les offrandes pour insérer tout ça dans le morceau "Les Moustiques".

Pour en venir à votre dernier album "La Cène", comment vous est venue l'idée du concept ?
Après "Seth", nous avons réfléchi à ce que nous pourrions proposer pour perpétuer notre thématique biblique. Après avoir passé en revue quelques trucs, c’est assez rapidement qu’est venue l’idée de développer un nouveau concept autour des 12 apôtres.

Votre consultant l'abbé Pierre Binsinger est aussi un de vos amis. J'imagine que vous avez appris beaucoup des évangiles. Que vous a-t-il transmis par exemple qui était à 1000 lieux de vos "croyances" ?
Personnellement je ne pensais pas que les apôtres soient pour la plupart décédés d’une mort violente. J’ignorais également les liens de parenté qui unissaient certains d'entre eux.

Vois-tu une relation entre le metal et la religion catholique ? J'imagine que vous en avez beaucoup parlé avec l'Abbé Binsinger qui serait également métalleux, n'est ce pas ?
Pierre a fait sa thèse de théologie sur La citation biblique dans le metal, c’est dire s’il y a une relation entre les 2 univers pour qu’on y consacre une thèse. Indéniablement il y a une relation étroite que ce soit à travers les nombreux (et excellents) groupes de metal chrétiens mais aussi avec les groupes qui utilisent la religion (ou l’anti-religion) comme thème. Dans tous les cas, je trouve ces univers fascinants et il en est de même pour Pierre. Néanmoins pour être très franc, je parle rarement de tout ça avec lui.

On peut presque parler de "casting" dans le choix des apôtres. Comment as-tu travaillé avec les 12 vocalistes ? Ont-ils choisi leur rôle ?
Oui un sacré casting, c’est le mot ! Concernant le travail pur, en fait je n’impose absolument rien en dehors du moment de l’intervention et du texte. Et encore, on part du principe que le texte peut être modifié si le chanteur estime qu’il doit l’être. Le principe était que chaque chanteur conserve sa patte afin qu’on puisse l’identifier immédiatement. Par contre ils ne choisissent pas leur rôle, on impose le morceau ; surtout pour une question de gestion et de bon sens. On évite ainsi les doublons et les choix cornéliens.

Dans ma chronique, je faisais état d'une difficulté à identifier les différents protagonistes que l'on imagine tous comme des super-héros ultra testostéronés, qu'en penses-tu ?
Il est toujours difficile de prendre du recul sur son propre travail, surtout que je me suis chargé du mixage et donc de l’intégration des parties de chant des invités. Je serais tenté de te dire que je ne suis pas d’accord et que chaque apôtre est identifiable car parfaitement dans son registre vocal. Cela implique néanmoins de connaître leurs travaux artistiques respectifs !

Comment s'est passé l'enregistrement avec tout ce beau monde ?
En dehors de Frank (La Horde) et Manu (Avalon) qui sont venus enregistrer chez moi, tous les autres apôtres ont enregistré par leurs propres moyens.



De quelle manière intègres-tu les arrangements orchestraux ? Les composes-tu d'abord ou à la fin ?
J’écris toujours les arrangements en dernier. Tout part d’abord d’une ossature entière avec les guitares. Une fois que j’ai mon morceau, alors je me penche sur l’orchestration. C’est à cette étape que parfois les thèmes développés à la guitare passent à un autre instrument et que le morceau prend son visage définitif.

La voix d'Alain est souvent critiquée mais on ne peut que saluer ses performances assez hallucinantes. Quelle a été ta réaction lorsque tu l'as entendu chanter pour la première fois ?
Ah tu me demandes de remonter pratiquement 20 ans en arrière ! J’ai enregistré l’album de Tormented Souls en 1997 quand il était encore leur chanteur. Mais je connaissais Alain avant ça, quand il chantait dans Belokan, il était venu voir Elvaron en concert quelques fois. Je savais qu’il était très versatile et surtout qu’il était habité d’une véritable passion musicale schizophrénique et théâtrale. J’étais assez jeune donc je ne me souviens plus vraiment mais j’ai toujours été impressionné par ses performances scéniques et vocales. Et puis pour nous autres Lorrains, Scarve fut une référence et un exemple à suivre, n’oublions pas qu’Alain a chanté sur les 2 premiers albums.

Peux-tu nous parler de Laura Kimpe, son apport dans Akroma ?
Pour le chant féminin je savais exactement le type de voix que je voulais mais trouver la chanteuse n’a pas été facile. Cependant par l’intermédiaire de Sophie Hervé qui est professeur de chant lyrique à Paris et une amie j’ai pu rencontrer et entendre la soprano Laura Kimpe. On a donc discuté, je lui ai présenté le groupe et le concept de ce nouvel album. Elle s’est très rapidement approprié son rôle dans le groupe et elle m’a envoyé ses premières maquettes en quelques semaines. En Décembre dernier elle est venue passer quelques jours à Nancy pour enregistrer le chant définitif. Sa performance est remarquable sur "La Cène", elle transcende complètement les morceaux. Ceux qui ont écouté les premières maquettes de l’album sans le chant féminin peuvent, je pense, en témoigner.

Les réactions sont très positives me semble-t-il tant au niveau de la presse que du public. Avez-vous eu des retours de l'étranger ?
Les retours de l’étranger sont très positifs aussi. Cependant le regret est souvent que dans les pays non-francophones, ils ne comprennent pas les paroles et le concept et ils sentent qu’ils passent à côté de l’essence d’AKROMA. Mais bon on voit aussi que le langage musical est universel car, dans la plupart des cas, la qualité de l’album est unanimement saluée.

De quelle manière défendez-vous "La Cène" (label, distribution) ?
"La Cène" est sorti sur mon label Fantai’Zic et je me charge donc de l’intégralité des aspects promotionnels. Quant à la distribution, l’album est disponible dans les bacs ainsi qu’en VPC partout en France et en dématérialisé partout dans le monde sur toutes les plateformes.

J'ai lu que tu souhaites qu'Akroma soit un croisement entre Cradle Of Filth et Dream Theater. Ces références comptent-elles encore beaucoup pour toi ?
Oui bien entendu. Au départ, musicalement parlant, je voulais écrire un genre de Cradle Of Filth progressif. Je suis un grand fan de Rush et de Dream Theater également et c’est dans cette direction que je voulais aller. Alors je dois bien avouer que même si notre premier album "Sept" est parfaitement dans cet esprit, c’est le côté black symphonique qui a prit l’ascendant sur le côté progressif sur les albums qui ont suivi. Néanmoins je garde ces références en ligne de mire lorsque je compose.

Quels sont tes albums de chevet en ce moment ?
En ce moment j’écoute beaucoup de thrash old-school, en particulier Overkill. Et puis je reçois de plus en plus de démos de groupes qui veulent être signés sur Fantai’Zic donc je prends le temps d’écouter tout ça !

Entre Elvaron et ton projet rock Louka, tu es très prolifique et dans des styles différents, y aurait-il un autre style de musique qui te tenterait ?
Si on ajoute mes 2 autres groupes à savoir Symakya (heavy symphonique) et La Horde (hardcore) je brasse déjà pas mal de styles ! Je travaille en ce moment avec un chanteur canadien sur un EP de black intense, c’est quelque chose que j’avais envie de faire depuis pas mal de temps, on verra où on va avec ce premier EP… Mais je suis ouvert à tout, je ne m’impose pas de frontière, j’ai des idées qui fourmillent aussi pour un projet de musique electro ; la BO de Tron Legacy par Daft Punk m’a carrément scotchée.

Je te laisse conclure et te remercie pour ces réponses.
Merci à toi et à ceux qui ont parcouru ces quelques lignes. Continuez à soutenir le metal français comme vous le faites.


Le site officiel : www.akroma-metal.net