Interview faite par mail par Braindead

Rien n’est plus jouissif en cette période de profusion musicale que de sortir d’un certain establishment formaté. Akentra, formation normande fondée en 2006, fait partie de ces singularités empruntes d’une fraîcheur salutaire. Focus sur un groupe à part à l'occasion du nouvel album intitulé "Alive".

Merci d’avance pour ce moment de partage, je vous propose d’entrer dans le vif du sujet en faisant un point zéro de votre carrière. Quel bilan tirez-vous de cette première décennie ? Des satisfactions, regrets ou éléments que vous aimeriez modifier si c’était à refaire ?

Lucia  (chant) Un bilan plutôt positif dans l'ensemble puisqu'on est encore là ! (sourire) Il y a beaucoup de groupes qui ne passent pas les dix ans. Il est vrai qu'il y a eu des hauts et des bas, des changements de line-up... mais je trouve qu'on ne s'en sort pas si mal finalement. Ca pourrait être mieux c'est sûr mais on a toujours plaisir à jouer nos morceaux sur scène, à en composer de nouveaux c'est essentiel.

Vos deux premiers albums ont reçu de très bonnes critiques médiatiques sans compter votre premier EP autoproduit dont la qualité sonore a été saluée. Deux albums et un EP en dix, c’est peu comparé à d’autres groupes, est-ce une volonté de prendre le temps nécessaire afin de produire une qualité optimale ?
Oui, on préfère la qualité à la quantité. En plus d'AKENTRA, on a tous d'autres activités, certains même des vies de famille bien remplies. Ca empiète forcément sur la musique mais, quand on en fait, on donne notre maximum pour que ça sonne.

Vous œuvrez dans un style rock / metal, j’aurais tendance à préférer la revendication d’un rock lourd et puissant à celle d’un énième metal light FM. Quelles évolutions en termes de production avez-vous apportées entre votre premier EP et vos dernières compos ?
La grosse différence tient déjà du changement de musiciens, d'instruments même. On est passés d'une guitare et un clavier à 2 guitares. Ca a apporté un gros changement à notre son, à notre façon d'aborder nos morceaux et dans la composition. On a également changé de studio d'enregistrement (Dôme Studio / Angers), ce qui apporte également une couleur différente au niveau de la production.

Pour en revenir à votre style, nous vivons une époque où il faut tout étiqueter, refuser de rentrer dans une case équivaut à déstabiliser, à quelques exceptions près, et à se priver potentiellement d’un auditoire plus large. Quelle est la stratégie selon vous, pour vous ouvrir d’autres portes ? Partager la scène avec des styles différents ? Proposer une compo dans une compilation thématique ?
Je pense qu'il ne faut se fermer aucune porte, ne rien s'interdire sous prétexte que "ça ne rentre pas dans les cases". On peut jouer dans des festivals metal mais aussi des festivals plus généralistes. Si le public suit c'est super mais ce n'est pas toujours le cas. Nous on donne ce qu'on a à donner, le public prend ce qu'il veut, c'est le jeu. Le meilleur moyen de convaincre est certainement la scène.



Je me suis toujours intéressé au processus créatifs, qui compose au sein d’Akentra ? Vous travaillez les textes dans un premier temps ou vous composez la musique en premier pour mieux coucher les paroles dessus ?
Dans la grande majorité des cas, on commence par la musique. Le chant et les textes viennent se poser ensuite. Les garçons s'occupent de la partie instrumentale et moi de la ligne de chant et du texte. La seule exception est "Final Dance". Le texte et la mélodie de chant ont été la base du morceau.

Etes-vous plutôt brainstorming lorsque vous composez ou préférez-vous vous retrouvez seuls face à vos idées ?
A un premier stade, c'est plutôt chacun dans son coin, le temps d'avoir un bout de morceau qui tient la route, puis ça devient collégial. Chacun apporte sa pierre à l'édifice.

Pouvez-vous nous parler de vos textes et plus spécialement dans "Alive" ? Quelles thématiques explorez-vous ? Varient-elles selon les humeurs, la conjoncture, les faits divers… ?
Ça varie effectivement. Il n'y a pas de thème prédominant dans l'album. Chaque chanson est indépendante des autres. Ca peut aller de la déclaration d'amour avec "The One" au suicide avec "Resurrection" en passant par la folie humaine avec "Future".

Nombreux sont les artistes qui ne peuvent créer que sur un terreau négatif voire nihiliste, 2015 aura été une année funeste sur bien des points et 2016 semble prendre le même chemin... Pensez-vous que cela impactera de manière générale la façon de composer pour de nombreuses formations ?
C'est vrai que c'est plus "facile" d'écrire sur ce qui ne va pas, les plus belles chansons sont les chansons tristes, torturées. Les événements de 2015 et 2016 vont forcément laisser une trace et inspirer de nombreuses formations de tous genres.

En vingt ans, l’industrie de la musique a radicalement changé et pas forcément en bien, une crise majeure, l’explosion de faux labels, l’overdose d’outils de communication qui virtualisent le succès potentiel d’un groupe. Comment abordez-vous ces changements majeurs ? Etes-vous sensibles au credo "La musique et le reste suivront" ?
On y est sensibles mais on y croît plus ! Aujourd'hui, un musicien qui ne fait que de la musique est un privilégié. Je me demande même si ça existe encore. Aujourd'hui un musicien est aussi technicien, road, tourneur, graphiste, commercial, banquier... et surtout bénévole ! Il faut vraiment être passionné pour faire de la musique de nos jours.

De nos jours avec un petit investissement financier, chaque groupe peut produire une démo de bonne qualité, réaliser son propre artwork, communiquer via les réseaux sociaux, profiter des webzines plus accessibles que la presse papier… et en même temps, ce paradis est devenu assez artificiel, le Do It Yourself a atteint son point de non-retour. Plutôt que de se consacrer pleinement à la recherche et à l’innovation, une pléthore de clones ne se différencient plus sur leur musique mais investissent dans le relationnel au risque de se noyer dans la masse. Ne pensez-vous pas qu’il serait bon de revenir à des process plus anciens où la création était la clé de voûte de l’activité d'un groupe ?
Un retour aux sources ne ferait pas de mal mais je me demande si c'est encore possible. Je pense qu'il faut faire avec la conjoncture actuelle tout en essayant de ne pas se perdre et oublier l'essentiel : la musique.

Que pensez-vous de la scène hexagonale ? Y-a-t-il des groupes que vous appréciez particulièrement ?
La France a de très bons groupes, et pas seulement dans le metal ou le rock. La génération qui arrive est bourrée de talent, c'est très prometteur !

Les formations françaises ont eu beaucoup de mal à s’imposer hors du territoire, des groupes comme Eths, Gojira, Benighted ont enfoncé les portes, d’autres m’ont confié que la raison provenait de notre culture, les Frenchies ayant du mal à se motiver pour partir en tournée à la roots, galérer dans des petits clubs comme les formations étrangères le font. Avez-vous des projets hors frontières ?
Les groupes français n'ont malheureusement pas seulement du mal à s'exporter mais ils peinent surtout à s'imposer au sein même de leur territoire. Il n'y a qu'à allumer sa télé pour voir que le rock n'a pas la côte, encore moins le metal. En ce qui concerne le fait de tourner à l'étranger, je ne sais pas si c'est culturel mais c'est vrai que partir à l'aventure dans ce genre de plans n'est pas forcément rassurant. Il faut avoir à la fois le temps et les moyens financiers pour le faire.



Vous avez partagé la scène avec des groupes comme Zuul Fx, une tournée est-elle à l’ordre du jour ?
Pas une tournée à proprement parler mais quelques dates par ci par là.

Il me semble que Lucia participe à d’autre projets musicaux, est ce pour vous une aubaine d’expérimenter d’autres courants, sonorités, de se renouveler et pourquoi ne pas les avoir inclus dans ce nouvel album ?
Non, ce sont vraiment des styles différents et j'aime le fait d'avoir des projets bien distincts les uns des autres.

Je me sens à contre-courant du metal actuel et c’est pour cela que je vous vois comme un groupe de rock pue et dur pour la raison suivante : de nombreux metalheads pensent que le genre à voix féminine est presque enterré. Il est vraie qu’entre le sympho, le rock teinté indus ou le nu screamo, sans compter les festivals dédiés, le genre a trop été perçu comme une attraction, ce que je réfute dans la mesure où les frontgirls proposent une palette de couleurs vocales qui sortent des sentiers battus, à l’instar du rock. Mais à force d’être pointé du doigt, voire peut être bridé, le renouveau n’a pas eu lieu. Pensez-vous que pour faire perdurer une spécificité, il est nécessaire de franchir les frontières du genre comme le prouve votre participation au prochain Printemps de Bourges ?
J'ai toujours trouvé très bizarre le fait de réduire le style d'un groupe au sexe de son vocaliste (sourire) Il y a tellement de types de voix différentes ne serait-ce que parmi les chanteuses de rock ou metal. Mettre tous les groupes metal qui ont une chanteuse dans le même panier n'est vraiment pas justifié. Pour le cas d'AKENTRA, le fait que j'aie une voix plutôt pop rock et pas typée lyrique ou screamo permet de toucher un public plus large. Ca nous permet sûrement de jouer dans des endroits plus grand public tels que le Printemps de Bourges.

Paradoxalement, la France a toujours vu naître des formations où la voix féminine était l’essence même du groupe, en servait parfaitement les propos. Eths en qualité de précurseur, ACWL, Kells, Dolly, MyPollux, Markize, Superbus, la liste est longue. Quel est ton leitmotiv Lucia, pour imposer et pérenniser ton style ?
Je fais du mieux que je peux et je fais ce que j'aime surtout ! Et je pense que ça se voit sur scène.

Quels sont vos projets, à court et long terme ? Une tournée promotionnelle (des dates sont déjà programmée davec un Printemps de Bourges en point de mire), le tournage d’un clip, toujours plus de concerts ?
Le clip est en cours de montage, j'espère une sortie très bientôt. On espère également multiplier les dates de concert mais pas de tournée prévue pour l'instant. On prépare un set acoustique pour pouvoir jouer dans des endroits un peu plus intimistes.


Le site officiel : www.akentra.com