"...Bring Mirrors To The Surface"
Note : 18/20
Zatokrev est enfin de retour. Dix ans après leur dernier album studio, Frederyk Rotter (guitare / chant), Lucas Löw (basse / chant), Matthieu Hardouin (guitare / chant) et Frédéric Hug (batterie) signent chez Pelagic Records pour la sortie de leur cinquième album, "...Bring Mirrors To The Surface", où ils font appel à certains de leurs compatriotes.
L’album débute par "Red Storm", une première composition étouffante qui accueille les groupes Bölzer et Schammasch pour une collaboration angoissante qui allie lenteur, lourdeur et parties vocales diverses qui hantent la dissonance. L’instrumentale n’hésite pas à s’apaiser tout en restant oppressante, profitant de ses tonalités minimalistes pour mettre en lumière les voix avant un temps de pause maîtrisé qui appelle à nouveau une saturation infernale, transformant les leads en sons stridents avant que "Blood" ne nous offre ses harmoniques entêtantes. Le morceau s’offre également quelques passages assez remuants qui contrastent avec la puissance brute et lancinante, mais accueille également Inezona dans son berceau d’inquiétude avant de passer à l’effrénée "The Only Voice" qui nous emporte sans mal dans son torrent de fureur. Les cris déchirants emplissent l’air et intensifient une rythmique impénétrable qui ralentit à peine en accueillant de touches prog, temporisant le flot avant de rejoindre "Unwinding Spirits" qui débute de manière beaucoup plus douce mais également plus sombre, devenant même un peu mystique lorsque les voix se répondent.
Les musiciens accueillant d’ailleurs Manuel Gagneux (Zeal & Ardor) qui donne une touche éthérée supplémentaire qui se tisse lentement et capture notre esprit et qui ralentit avant d’atteindre "Faint" où l’on retrouve des effets assez modernes et parfois surprenant pour contraster avec toute cette lourdeur brute. La touche de folie est de plus en plus visible, et elle va donner toute sa saveur au final chaotique avant de retrouver Schammasch pour "Changes", morceau qui adopte des accents black / death en plus de ses influences d’origine et des parties vocales sauvages, puis qui s’oriente vers une approche très vaporeuse avec des riffs planants qui s’apaisent peu à peu, jusqu’à nous bercer un moment, puis les parties vocales reviennent troubler la quiétude. "Pearl Eyes" reste dans cette entre riffs pesants et chargés, mais en incluant pas mal de voix claire, créant un son accrocheur à la limite du post-metal, puis c’est avec les Américains de Minsk que le groupe referme ce chapitre sur "Deep Dark Turns Green", composition d’abord majestueuse au possible, puis finalement assez imposante sur le duo vocal, tendre sur le break central minimaliste qui mène de nouveaux aux voix, puis au silence.
Si Zatokrev sait se montrer très brutal et agressif, c’est dans les tonalités planantes que le groupe s’illustre le mieux. Les différentes collaborations de "...Bring Mirrors To The Surface" rythment parfaitement cet excellent album.
"Silk Spiders Underwater..."
Note : 18/20
Que de chemin parcouru en 13 années par les Suisses de Zatokrev (traduit du tchèque, cela voudrait dire "du sang pour cela"). Depuis leur premier et terrassant full-length éponyme, sorti en 2004 chez l'éphémère mais désormais mythique label Code:Breaker, jusqu'au plus développé "The Bat, The Wheel And A Long Road To Nowhere", la formation a peu à peu affiné son style doomcore primaire et au bord de la rupture vers une musique toujours aussi plombée mais plus mature et ouverte. Cette ouverture se traduit par une confluence stylistique démoniaque et une sensibilité quasi-stellaire affûtée. Le mariage parfait entre les instincts bestiaux et une noire cérébralité humaine corrompue.
"Silk Spiders Underwater..." se situe dans la continuité de "The Bat..." mais va creuser un peu plus loin dans le défrichage de terrains inconnus. Le groupe s'aventure plus profondément dans ces eaux troubles et boueuses pour y dénicher de somptueux trésors de soie. Les percussions tribales et les dissonances de l'introductif "Runaway Soul" prennent petit à petit une teinte opaque à l'ampleur psychédélique avant que le ciel nous tombe sur la tête. "Bleeding Island", au riffing torturé et aux voix démentes, nous aplatit comme une crêpe. Les guitares aux mélodies crissantes et la batterie convulsive nous bercent telles les vagues géantes d'une tempête maritime. Point de répit après ce déluge ; le début de "The Phantom", morceau d'une tension terrifiante, aux saturations hantées et à la batterie martiale, nous oppresse et nous engloutit. Suffocant ! Le rampant "Loom" ne nous rassure guère; nous guettons derrière sa sombre tranquillité le prédateur attendant le moment opportun pour fondre sur sa proie, nous. La tension y est palpable. Son explosion finale nous atomise.
L'ambiance intimiste du long et beau "Brick In The Sky", aux violoncelles et guitares électro-acoustiques finaux, renvoie des images célestes. Mais telle une âme damnée, nous sommes plongés dans les entrailles du purgatoire avec "Discoloration", composition au psychédélisme noir que seuls des martiens peuvent avoir crée (ces guitares complètement allumées et stratosphériques d'une étrange beauté). Mais ce n'est rien face au presque black metal "Swallow The Teeth", rappelant le blackcore de Céleste. Le doom / sludge final de "They Stay In Mirrors", plus gluant et épais qu'une marée noire, est une longue descente vers les profondeurs infernales. Les membres du groupe, à travers ce bouillon magmatique, opèrent une forme de catharsis dont nous faisons les frais.
Massif et élaboré, superbe et repoussant, heavy et lumineux, "Silk Spiders Underwater..." est une expérience unique, une œuvre salvatrice impressionnante faisant autant appel à l'esprit qu'au coeur. Le meilleur album de Zatokrev à ce jour tout simplement.
"The Bat, The Wheel And A Long Road To Nowhere"
Note : 16/20
Si je vous dis Knut, Kruger, Monkey3, vous me direz sûrement une bonne fournée du milieu noise / sludge. Les plus pointus me parleront d’une croix blanche sur fond rouge puisque hormis ses spécialités gustatives à base de fromage et de chocolat, la Suisse se charge de groupes de plus en plus remarquables.
Zatokrev ne déroge pas à la règle avec ses tonalités puissantes au mélange plutôt incongru. Ayant pour habitude de délivrer une musique sombre et lente tirant plutôt vers le sludge, leur troisième LP "The Bat, The Wheel And A Long Road To Nowhere" se pose comme un album aux démonstrations risquées.
Alliage d’influences post-hardcore et de black metal, incorporant de l’ambiant à l’irrité, le quatuor se lance dans un pari risqué et là où d’autres ont échoué, les petits Suisses vont régaler.
Tout d’abord l’examen de la longueur, avec neuf titres frôlant les soixante-dix minutes. Ca ne paraît pas si long pour un disque de pop musique, mais pour ce genre extrême, ça peut vite le devenir. On rentre dans le jeu, notre oreille s’esquive quelques instants puis redevient plus ou moins attentive "tiens c’est toujours le même morceau ?!". Voilà tout l’art du sludge / doom et autres fantaisies claironnantes me direz-vous ! Je ne dirai pas le contraire. Pas vraiment dérangeant dans l’absolu mais quelques longueurs auraient pu être rognées. On dépasse les 10 minutes avec "Medium", morceau pointu mais qui à la longue donne un peu mal au crâne (avis perso, j’ai juste quelques difficultés avec le chant black braillé sur fond de blast beats) et la finale "Angels Of Cross" aux accents dissonants habillement travaillés et aux parties interminables mais magnifiquement bien ciselées, plus atmosphériques.
Une deuxième subtilité réside justement dans ce mélange de genre avec un black metal se posant en maître sur certains segments dans une ambiance post-core où techniques de solos, de larsens et de décalages rythmiques sont mises à l’épreuves avec brio. Lorsque les premiers accords de "Goddamn Lights" retentissent, c’est la claque et je pense alors à un digne descendant du Neurosis version européenne. La voix régurgite, l’atmosphère est au plus néfaste, c’est exquis.
Vous l’aurez compris, les passages nerveux m’exaltent beaucoup moins n’étant pas fanatique de la musique norvégienne mais les amateurs sonorités lourdes et ambiancées appréciant aussi bien Morne que Burzum y trouveront forcément leur compte.
Zatokrev n’hésite pas à transgresser les codes et excellent dans l’art de creuser toujours plus loin, éternels insatiables d’expérimentations ténébreuses.
Que l’on accroche plus ou moins aux différents styles exécutés, "The Bat, The Wheel And A Long Road To Nowhere" reste une épatante création, à faire trembler les alpages.
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