Ah ! Ce projet. Je pense que je n’étais pas la seule à l’attendre avec impatience, emballée comme jamais. Avant de parler de l’album en lui-même, je pense qu’il est important de remettre les choses dans leur contexte. Skuggsjá est donc le projet d’Ivar Bjørnson (Enslaved) et d’Einar Selvik (Wardruna), deux noms qui n’ont plus rien à prouver. Jusque là, rien d’anormal, les collaborations de ce genre sont légion en Norvège. Sauf que ce projet était de base un projet rénuméré, monté uniquement pour la célébration des 200 ans de la Constitution norvégienne. Pour ceux qui ne connaissent pas vraiment l’histoire, résumée très simplement, c’est le moment précis où la Norvège a décidé d’envoyer se faire voir la Suède (et le Danemark mais c’est une autre affaire) après des années d’union où le pays avait perdu une grande partie de sa souveraineté nationale. En clair, une date extrêmement importante pour le pays qui est aujourd’hui célébrée chaque année comme fête nationale. Voilà, c’est la fin de la parenthèse culturelle. Tout ça pour quoi ? Eh bien, on aurait pu nourrir des doutes sur le côté authentique du projet compte tenu de son côté financier. Dès que l’argent entre en jeu, on peut tout remettre en cause. Et honnêtement, je n’ai pas douté moi-même. Probablement parce que j’ai toujours adoré Enslaved et que Wardruna est une de mes plus grandes joies musicales depuis qu’ils ont émergé. Donc, j’en attendais ENORMEMENT.

Et l’album s’ouvre sur "Ull Kjem" sur une mélodie qui se veut déjà pleine de nostalgie. Et on y retrouve avec plaisir les vocaux de Lindy Fey-Hella qui officiait déjà dans Wardruna se mêlant avec la voix grave d’Ivar. Et c’est totalement personnel mais j’ai une très très grosse faible pour les voix "parlées" en norvégien. Ca me rend joie. Ce n’est donc que l’introduction, mais je suis déjà enchantée de retrouver ces éléments familiers. Suit "Skuggsjá" qui débute avec l’introduction d’instruments typiques, ici le bukkehorn joué par Einar. Et encore une fois ici, tout est dans l’atmosphère. Il n’est pas difficile de fermer les yeux et de se laisser porter. Et j’y ai retrouvé la même sensation qu’en écoutant du Wardruna, ce profond sentiment de dépaysement et de nostalgie ancestrale pour un pays qui n’est même pas le mien. Et les initiés me rejoindront pour dire que les vocaux d’Einar sont tout simplement magiques. Et je n’exagère même pas. Cette ambiance, ces choeurs, cette atmosphère... bordel. Pour moi, on s’approche vraiment du chef d’oeuvre.

Et nous n’en sommes rendus qu’au troisième titre ! Avec "Makta Og Vanæra (I All Tid)", on explore peut-être un côté plus metal au sens traditionnel du terme. Mais on reste loin du metal traditionnel. Encore une fois, une grande partie de la magie du titre repose sur l’intensité des vocaux parlés. C’est peut-être le titre qui exprime le mieux l’union des talents d’Ivar et d’Einar. On entend les influences d’Enslaved, mais on ressent Wardruna. Et franchement, c’est juste extraordinaire. Je suis totalement conquise, je pourrais écouter ça pendant des heures sans me lasser. Et il en va de même pour "Tore Hund" qui est juste plein de grâce et d’élégance. J’ai conscience que ce n’est probablement pas le titre le plus accessible de l’album, mais il figure parmi mes préférés. C’est pour moi un véritable hommage à la Norvège ancestrale à qui Skuggsjá rend hommage. Encore un tour de force qui se confirme d'ailleurs avec "Rop Frå Røynda - Mælt Frå Minne" qui est un nouvel appel à la nostalgie, rêverie, fascination, rayez les mentions inutiles. Pour moi, elles sont toutes valables. Avec "Skuggeslåtten" qui est une pièce uniquement instrumentale, j’ai juste eu envie de danser. Je crois que cet album a commencé à me travailler, et que j’ai perdu tout sens commun. Mais c’est étonnemment entraînant, et toujours aussi plaisant à l’oreille.

On retrouve néanmoins la puissance du groupe sur "Kvervandi". Ce qui m’impressionne tellement chez Skuggsjá, c’est cette capacité proprement extraordinaire à transmettre l’intensité grâce aux vocaux. C’est presque de la résignation pure qui est transmise à ce niveau-là. J’ai interprété personnellement ce morceau comme la traduction musicale de l’homme face à une situation immuable à laquelle il ne peut rien changer. Et c’est fort, et foutrement émouvant. Et que dire de "Vitkispá" ? Désolée, mais pour moi c’est un hymne. J’ai eu l’opportunité d’assister à une courte représentation du groupe à Bergen qui présentait l’album, et dans mes souvenirs ce titre avait été joué... Il est inutile de vous dire que j’ai totalement quitté le monde conscient pendant la durée de l’interprétation. Avec "Bøn Om Ending, Bøn Om Byrjing", on retrouve les vocaux rauques d’Ivar et il s’improvise presque conteur sur une dizaine de minutes. Encore une occasion de fermer les yeux et de se laisser porter. Et nous en sommes déjà rendus à la conclusion "Ull Gjekk" qui met un point final au voyage. Et qui nous donne envie de repasser l’album une nouvelle fois.

Bon, je pense qu’on l’aura compris : j’étais acquise de base au projet. Mais j’ai été surprise de la qualité de la chose. Pour moi à ce niveau, c’est quasiment un chef d’oeuvre. Je cherche encore quoi reprocher à cet album. Et franchement, j’ai beau chercher je ne trouve pas. J’ai trouvé tout ce que j’y attendais et même plus encore. Ivar et Einar sont un duo qui fonctionne à la perfection et d’une richesse artistique qui me laisse pantoise et admirative. Je suis tout bonnement scotchée par un tel talent, et je pourrais écouter cet album en boucle sans m’en lasser. Et pour avoir expérimenté une partie de la chose en live, je ne peux être que davantage excitée. Ne pas donner sa chance à Skuggsjá serait de la stupidité à l’état pur. Ce projet est génialissime et vous devez écouter cet album. Voilà tout.