Tiens, ça fait un bail que je n’avais pas vu passer de groupe de black lituanien, et pour être honnête, quand j’ai vu les couleurs criardes de la pochette et que le label était Transcending Obscurity, j’ai commencé à douter. En fait, j’aime bien ce label, il n’y a aucun problème avec ça mais voilà, il y a, à mon goût, trop de sorties, et toutes ces sorties sont généralement accompagnées de pochettes assez similaires, souvent des peintures criardes, c’est le festival de la couleur. Par comparaison, quand tu prends le catalogue d’Osmose Productions (rien à voir vous allez me dire), les designs sont assez singuliers et propres à chaque formation. Cette uniformisation, que l’on a tendance à retrouver régulièrement, car certainement les labels fonctionnent avec quelques illustrateurs, et ont donc forcément une image qui dépend de ceux-ci, tue un peu l’identité des groupes. Bon ça c’est mon avis, et dans le cas de Sisyphean, je ne sais pas si c’est eux qui ont désiré cette pochette mais elle n’est selon moi pas représentative du contenu musical.

En effet, la couleur, tu peux la foutre de côté, car "Colours Of Faith" est un album qui véhicule une noirceur réellement délicieuse, si tant est que vous kiffez sombrer dans le désespoir et les pensées néfastes. Sisyphean délivre un black metal sombre et plein d’ondes négatives. Après une intro industrialo-technoide, clinique, c’est une décharge de guitares au sein desquelles ont été inoculées des fréquences préjudiciables pour l’oreille humaine. Sisyphean développe un black à la fois linéaire par certains aspects, mais surprenant par les détours qu’il peut parfois entreprendre. Ainsi, un riff peut vous scotcher jusqu’à créer un sentiment de boucle interminable, et la seconde d’après, c’est une autre sensation rythmique ou harmonique qui s’enclenche, toujours tiraillée d’une multitude de dissonances pour créer un sentiment de déroute assez efficace. L’amateur de black metal appréciera les timbres de voix, parfois vociférés, d’autres fois grommelés, rappelant les initiatives d’Attila Csihar.

Une chose est sûre, il transparaît au travers du chant une constante folie qui fonctionne très bien et rentre en conflit avec l’aspect musical qui n’hésite pas à fracturer ses élans guerriers pour installer des mid-tempos expressifs, funèbres à souhait, portant l’auditeur vers d’autres espaces. Comme tout bon disque de black metal, j’y perçois des étendus de forêts, des monts enneigés, parfois d’autres lieux plus souillés. Ainsi cette bascule émotionnelle rend l’écoute bien captivante. Le penchant atmosphérique du quintette est sublimé par un agencement compositionnel rodé et pour un deuxième longue durée, pour un groupe actif que depuis 2014 (remarquez, ça fait déjà 10 ans bordel), on sent que les mecs connaissent les arcanes de l’art sombre sur le bout des doigts, écoutez le titre "Exiles" et vous aurez une bonne idée de ce à quoi vous attendre. Bien que porté par des parties musicales assez actuelles, il y a dans le climat proposé par Sisyphean un petit côté black mid 90’s subtil mais bien là. Sans pour autant sombrer dans le chaos le plus total, "Colours Of Faith" possède son petit grain de folie, mais celui-ci reste discret, surplombé par des mélodies de guitares intelligemment construites et des compositions qui flirtent un poil avec le progressif, même si la durée des morceaux reste correcte, entre 5 et 9,45 minutes pour le plus long.

Plutôt en marge des autres artistes signés sur le label indien, Sisyphean tire son épingle du jeu grâce à un black metal très pessimiste mais avec certains aspects qui le rendent majestueux. Entre Abigor, Aosoth ou Mayhem, avec le grain de folie en moins et des compositions moins torturées, les Lituaniens ont accouché d’un second album très réussi, aux ambiances efficaces, au songwriting subtil qui fait honneur aux arcanes du genre. Une excellente surprise, un peu inattendue, et surtout un groupe qui mérite d’être écouté.