Noirceur, malaise, ignominie, crasse et angoisse psychologique voici ce que représente l'album de Saint Freness, one-man band français. Si le packaging peut donner l'air d'avoir à écouter un black metal juste primaire avec des riffs simplistes pour aller au plus direct, bien malheureux celui qui se fourvoiera de la sorte et s'enfoncera la poutre dans l'oeil gauche. Car Saint Freness est bel et bien noir dans son âme musicale mais ce que l'on peut découvrir sur ces soixante treize minutes réparties en onze pistes, c'est un travail véritablement époustouflant de qualité. Saint Freness arrive à composer du black metal violent, mais planant en même temps. C'est ici que réside le véritable intérêt de Saint Freness, son créateur maîtrise correctement les arcanes de la production pour que le rendu de l'album soit suffisamment mitigé entre cette traditionnelle volonté de donner au black metal cet aspect crade et une volonté de rendre plus audible les nappes claviers qui viennent entourer les guitares pour apporter une froideur délicate sur les rythmiques de ces dames.

Au-delà de cette production, Saint Freness écrit des chansons qui demandent à être décortiquées, on sent que son auteur veut laisser la place et le temps à sa musique de bien s'installer dans l'environnement de celui qui écoute. C'est pour cela que ses chansons ont une durée considérable et qui varie de 5/6 minutes jusqu'à quasi 12 minutes pour la plus longue. Ce terrain d'entente laisse aux chansons toute la liberté de développer pendant de longs passages cette dépressive atmosphère appuyée par les nappes de claviers. En ce sens d'ailleurs Saint Freness rappelle beaucoup les groupes norvégiens de black atmosphérique des 90's , voire même avec un clavier similaire parfois, des idées oniriques de Summoning, notamment sur "Asouras". Saint Freness aime donc développer des thèmes tout au long des titres pour arriver, entre ces passages plus atmosphériques à immiscer des parties agressives sur les guitares, sur les rythmiques mais aussi dans ses lignes vocales. C'est ce qui se passe sur le premier titre "Alrunes", tandis que certaines chansons seront, quant à elles, plus litaniques et hypnotiques à la manière d'un black indus comme sur "Corpse Of Madness".

Toujours dans une optique d'éructation de riffs blasphématoires, Saint Freness varie malgré tout ses plaisirs au fil de l'album. On reste bien sûr dans du black metal, mais si le style se veut noir, il prend pas mal de forme en fonction des chansons. "Darkinis" étant plus roots, plus thrash aussi dans ses riffs, tandis que "Duergaurs" nous fracasse le crâne entre une ambiance death et une ambiance beaucoup plus proche d'un black pink floydien à la Nokturnal Mortum sur son solo. Et ce genre de performance est assez rare chez les groupes ou projets black metal pour le soulever et le mettre sur le devant pour en féliciter son créateur. Saint Freness est un compositeur talentueux, il gère avec facilité les changements de style,de rythmes, d'atmosphères et d'époque pour composer une musique très personnelle. La voix d'outre tombe dégueule sa haine à la terre entière dans un flot de paroles pas vraiment nombreuses sur la totalité de l'album mais dont les interventions sont opportunes.

C'est un album qui vient du cœur, qui est construit pour faire passer des émotions sombres, des terreurs, des peurs, au travers de titres tels que "Gorgone" qui arrivent à nous enivrer de sa torpeur et à nous faire chavirer puis plonger dans ses eaux marécageuses... On sent malgré l'envie de n'être que ténèbres que son créateur a écouté indépendamment du black metal, peut-être du vieux thrash et du vieux heavy et que même si ce n'est pas flagrant dans le déroulement de ces chansons qui prennent une tournure quasi indus ("Madan") parfois, il en insère quelques bribes. Mortiis, Evol, Summoning, Satyricon, Darkthrone, Mysticium, Elend, Nokturnal Mortum ou même Aura Noir sont autant de groupes qui auraient pu se retrouver anecdotiquement dans cet album et en fait Saint Freness réussit à créer une musique si personnelle et intéressante que les soixante douze minutes n'en paraissent que trente...

L'underground donne encore tellement de plaisir qu'il serait dommage de passer à côté de cet album, sorti qu'en édition de 100 copies me semble-t-il... En tous les cas Saint Freness est au black metal ce que Entombed est au death metal, et même si cet album ne faisait pas le tour du monde, la faute ne sera que de votre côté si vous n'en n'avez pas entendu parler...