"Ruin"
Note : 17/20
Replicant continue sa route avec un troisième album. Deux ans et demi après son dernier
contact, le groupe américain mené par Michael Gonçalves (basse / chant, Windfaerer,
ex-Grimus), Peter Lloyd (guitare, ex-Dystrophy), James Applegate (batterie, Windfaerer,
ex-Framework) et plus récemment Itay Keren (guitare / chant, Afar, Ossein, Windfaerer),
dévoile "Infinite Mortality", son troisième album, chez Transcending Obscurity Records.
"Acid Mirror" fait débuter l’album dans la lourdeur et la dissonance, incluant toujours plus de
patterns saccadés à ses riffs chaotiques maîtrisés. Les parties vocales renforcent
l’agressivité qui adopte quelques patterns prog pour nous faire croire à un semblant de
calme avant de lâcher mosh parts ou solo torturé, puis des samples étranges nous mènent à
"Shrine To The Incomprehensible" qui ne perd pas une seule seconde pour nous piétiner à son
tour tout en incluant des harmoniques perturbantes. Le groove dévastateur combiné aux
hurlements furieux va créer une véritable oppression dont le groupe se sert pour annihiler
tout espoir de quiétude avant de laisser "Orgasm Of Bereavement" frapper avec une nouvelle
rythmique imprévisible qui alterne explosions massives et influences old school vives. Le
morceau est relativement court, à l’inverse de "Reciprocal Abandonment" qui va prendre le
temps de développer ses guitares abrasives avant d’y intégrer des frappes brutes et
assommantes ou des patterns accrocheurs, mais également une courte pause avant de
s’enflammer à nouveau sur le final qui nous mène à "SCN9A".
Cet interlude d’une minute
trouve tout de même le moyen de faire croître l’angoisse avant de passer à l’agressive "Pain
Enduring" et à ses passages inquiétants rapidement rattrapés par une violence étouffante, à
laquelle les harmoniques sombres se mêlent naturellement. Les solos seront légèrement
plus planants à l’inverse de "Nekrotunnel" où les leads déchirants accompagnent d’abord les
parties vocales sauvages puis une approche plus imposante avant que le morceau ne
prenne fin pour laisser la courte "Dwelling On The Threshold" nous molester. La chanson
intègre tout de même quelques parties vocales intrigantes et brumeuses, mais elle laissera
"Planet Of Skin", une composition de neuf minutes, nous clouer au sol avec des sonorités
aussi dérangeantes que grandioses, recréant à nouveau ce sentiment menaçant d’insécurité
permanente pendant que les riffs déferlent sur nous grâce à des patterns prog et des
influences death / doom avant de nous relâcher.
"Infinite Mortality" est comme une plongée dans une mare de vase sombre peuplée d’êtres
difformes et agressifs dont le seul but est de se lancer sur vous à corps perdu et de manière
très désordonnée. Replicant retranscrit parfaitement cette horreur.
"Plague"
Note : 18/20
Nous les death métalleux, nous sommes des vilains pouilleux, on aime la fange musicale, le vomi auditif, on aime quand il reste quelques morceaux accrochés, on se fiche si parfois ça passe en force quitte à y laisser quelques plumes, le style que l’on affectionne s’est construit dans des garages loin des écoles de musique et ce qui animait les jeunes alcooliques responsables des meilleures compositions durant la période des demo tapes, c’était avant tout une implication indéfectible pour le metal. Aujourd’hui, on en est arrivé à une sorte d’extrême dans la propreté, le son, l’exécution instrumentale. Les productions dans la musique extrême sont quand même à dominante "irréprochable" en termes de précision et de production. Replicant, jeune formation américaine réellement active depuis 2016, fait partie de la bande des "proprets", rasés de près et parfumés, le death metal avant-gardiste du trio surprend par les directions qu’il prend, à grand renfort de détours soudains qui sèment le vertige, et son feeling qui se situe pile poil entre modernisme sonore et tradition compositionnelle.
Lors de la première écoute, la musique que propose "Malignant Reality" ne m’a pas accroché immédiatement. Ses compositions, étrangement ficelées, comme si Ulcerate voulait jouer du old school, ancrent le combo dans un entre-deux qui déroute au premier abord. Déjà, le groupe articule une bonne partie de sa musique autours des dissonances et crée des puits fréquentiels qui noient l’auditeur dans un marasme sonore qui s’avère devenir de plus en plus prenant au fil des compositions. Quand je dis marasme, c’est pas que le résultat est brouillon, c’est qu’il se dégage une densité, une épaisseur qui, paradoxalement, sonne assez dépouillée au premier abord. Même si les titres possèdent une myriade de petits détails subtils, surtout à la batterie, ce n’est pas perceptible immédiatement. Le problème, c’est que l’album dure pratiquement 50 minutes, et 50 minutes c’est long. Alors vu que Replicant joue énormément avec les formes musicales abstraites et délaisse volontairement le groove, le côté accrocheur d’un bon riff qui tourne, au profit d’une construction basée sur le climat et les structures étourdissantes, eh bien s’enfiler presque une heure de musique troublée, ce n’est pas la chose la plus simple. C’est pour cela que ce skeud demande à être apprivoisé, c’est à l’auditeur d’emboîter le pas, "Malignant Reality" n’est pas un album accessible.
Autre remarque qui joue en la défaveur de notre cher trio ricain (qui entre temps est devenu un quartet), c’est le son. Attention, celui-ci est très bien, la production est nickel, les guitares sont précises et la batterie parfaitement équilibrée. Non, le problème ne vient pas de la production mais d’un tel choix de production, par rapport à l’univers que propose Replicant. En effet, cette sorte de death modernisé sur des bases plutôt old school aurait mérité je pense un résultat plus cradouille, moins synthétique dans un sens. Un peu à la manière d’un Blood Incantation qui préserve dans ses prods’ un aspect rugueux, sale, qui colle bien au feeling du schmilblick. C’est d’ailleurs un petit reproche que je peux étendre à une bonne partie des sorties de chez Transcending Obscurity, le label perfectionniste. En effet, ces mecs-là font un travail formidable, avec des packaging en grande pompe comme dirait Baggy le clown, des éditions vinyles magnifiques, des pochettes très travaillées, des éditions limitées qui aguichent, et très généralement aussi une production toujours nickel pour chacun de ses petits poulains. Tous ces points abordés et qui font partie intégrante de ce que propose "Malignant Reality" sont constitutifs de l’ADN de ce disque. C’est finalement ainsi que ce nouveau méfait du groupe se caractérise, par une approche singulière du death metal qui flirte avec le sludge et qui est prise en sandwich entre Gorguts et Ulcerate.
Que retenir au sein de cet univers tourmenté ? Eh bien au final, la recette de Replicant est une recette somme toute assez originale. Sans sombrer dans la technique à outrance ou les riffs à tiroir, les amerloches proposent une vision accessible et avant-gardiste d’un death metal qui puise dans de la vieille matière, Demilich, ou plus recent, Pyrrhon, Gigan, mais en ajoutant une toute petite sensibilité post-rock, notamment par le biais du son des guitares. Le chant, entre du guttural ou de l’extrêmement écorché / torturé, vient ajouter du drama et un poil de folie à l’ensemble. Celui-ci se marie parfaitement aux agencements qui rythment les compositions, qui peuvent à tout moment prendre une direction surprenante. Ralentissements, cassures, développement imprévu de certains passages, longues plages instrumentales, Replicant joue avec l’auditeur et semble prendre un malin plaisir à brouiller les pistes afin que l’on entende ce que l’on ne sentait pas venir. Au final, "Malignant Reality" s’avère être un bon disque mais qui suscitera un temps d’adaptation. Il n’est pas impossible d’accrocher de suite à cette entreprise sonore périlleuse car certains d’entres vous sont ouverts aux expérimentations et à l’insolite, mention spéciale au titre instrumental "Rabid Future" qui possède une saveur proche de celle des premiers Korn, eh ouais. Ce nouvel opus est donc une œuvre compacte, assez monolithique, d’ailleurs si vous écoutez d’une traite l’ensemble, je suis prêt à parier que vous ne pouvez pas savoir si tel morceau s’est terminé et si tel morceau commence, tellement tout semble imbriqué avec tout. Vous voilà donc partis, du moment que vous enclenchez le processus d’écoute, pour 50 minutes de dépaysement total. Bon voyage !
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