Il y a des annonces qui secouent plus l'industrie musicale que d'autres.
C'est le cas dès qu'une activité, aussi futile soit elle, émane des réseaux
sociaux de Mr. Bungle.
Assez muets depuis plusieurs années, au grand désespoir des fans, les
trublions de Mr. Bungle ont réveillé l'excitation de tous en actualisant
subitement les pages des réseaux sociaux au cours de ces derniers mois.
Certes, il y avait bien quelques concerts par ci par là, et l’on jalousait
férocement les Etats-Unis où se produisait presque exclusivement le groupe.
Le reste du monde, lui, se désespérait de la sortie d'un nouvel album
(soyons fous !!) ou au moins d’une petite tournée des festivals pour
pouvoir dire "Je peux mourir à présent, j'ai (re)vu Mr Bungle sur scène",
des larmes encore chaudes sur les joues et leur petit coeur de métalleux se
contractant douloureusement en repensant à ce moment unique...
Au cours de l'année 2019 les posts se multiplient. Entendons-nous bien, Mr.
Bungle est tellement absent des réseaux depuis des années, que quand on
parle de multiplication des posts (et pas des pains - encore que... Mike
Patton c'est un peu Dieu, non ?), on se retrouve sur un rythme de 4 à 5
posts sur l'année. Youhoouuu ! C'est dire si les fans sont sur les dents et
avides de la moindre information. C'est l'ascenseur émotionnel. Avec un bon
nombre d'EPs et seulement 3 albums, Mr Bungle a réussi à devenir un groupe
mythique par sa folie, sa créativité, son humour et des concepts musicaux
assez déjantés.
En 2020, après quelques concerts exceptionnels annonçant que "Mr. Bungle
joue "The Raging Wrath Of The Easter Bunny" accompagné de Scott Ian et Dave
Lombardo", on se met à croiser les doigts très fort : "Saint Bungle, priez
pour nous, et délivrez-nous du mal en nous offrant un nouvel album !".
La prière est à demi exaucée fin Mars quand on apprend que le groupe est en
train de réenregistrer sa première démo ! A demi, oui. Car secrètement, au
fond de moi, la fan que je suis est légèrement déçue. Je rêvais d'un nouvel
album. Et à vrai dire, le premier EP de Mr Bungle, est, soyons honnête, un
gros pavé de low-fi death / thrash d’adolescents, rugueux, agressif mais
brouillon et pas représentatif de la production musicale qui suivra au fil
des années. Seul "Evil Satan" laisse poindre le potentiel vocal de Mike
Patton, la folie des musiciens et le style très original et décalé qui va
amener le succès au groupe.
De plus, l'écoute de l'EP nécessite un conduit auditif en béton, tant la
qualité d'enregistrement est exécrable.
En 1986 lors de la sortie de la démo, les membres du groupe ont 16/17 ans tout
au plus, et l'année précédente, ils jouaient encore sur la scène de l'école
sous le nom de Bister Mungle. Un show improbable avec déjà des musiciens
déguisés et sautillants, des ados qui passent sur la scène en dansant,
d'autres qui font du skate et des roulades... Bref, aux balbutiements de
leur projet musical, ceci explique cela.
Quelle est donc la motivation qui conduit à réenregistrer un EP 34 ans
après sa sortie ? Sûrement le désir de boucler la boucle pour ces artistes
aujourd'hui reconnus et accomplis.
Et puis, quelle ironie du sort ! Les ados de Mister Bungle n’auraient
sûrement pas imaginé une seconde le réenregistrer avec des grands noms
comme Scott Ian et Dave Lombardo. Car cette année-là les deux musiciens
avaient déjà une carrière bien entamée au sein d'Anthrax (3 albums en 1986)
et Slayer (4 albums). Depuis, Dave Lombardo et Mike Patton ont partagé
l'aventure de l'expérimental supergroupe Fantomas et plus récemment
collaboré dans Dead Cross, groupe de punk hardcore.
On ne va pas débattre ici de la qualité des compositions car évidemment
elles ne sont pas inédites. Pas de réelle surprise à ce niveau-là. On
notera tout de même l'ajout des reprises "Hypocrites/Habla Espanol O Muere"
(S.O.D.), "Loss For Words" (Corosion of Conformity) qui s’intègrent
parfaitement au milieu des compos initiales. Ainsi que des vieux morceaux
sortis de la cave : "Methematics" et "Eracist".
Parlons donc du résultat des morceaux pumpés et de la nouvelle production.
Évidemment comparer un enregistrement sans moyens dans les années 80 à un
enregistrement avec une production haut de gamme et dire que c'est mieux...
Ce serait un truisme.
Mais tout de même, on est obligé de reconnaître que "The Raging" a pris un
sacré coup de rangers dans la tronche ! Mené par des musiciens désormais
expérimentés, l'EP a tout d'un grand album de death / thrash punk ultra
rentre-dedans et casse-nuque. Les morceaux sont joués avec une précision et
une efficacité qui n'existaient pas sur la démo. Les guitares sont
incisives et les rythmiques au cordeau. Quant aux parties instrumentales,
elles ont été réécrites et largement enrichies d'éléments créatifs.
Ce qui fait aussi clairement la différence avec la démo originale, c'est
bien la voix de Mike Patton. Plus puissante, plus modulable, plus
audacieuse. C'est toute l'expérience et le talent de ce dernier qui
transpirent au travers de ses diatribes. Comment ne pas à nouveau être
épaté par ce chanteur qui durant des années n'a cessé d'utiliser sa voix
comme un instrument de musique, de la distordre, de l'expérimenter et de la
moduler au gré de ses envies et de ses délires (mince, ça se voit trop
l'admiration là ??!).
Alors on ne sait pas si c'est dans les vieux pots que l'on fait la
meilleure soupe, mais en tout cas force est de constater que la recette
fonctionne encore et même vachement mieux que la première fois.
Cette nouvelle version de "The Raging Wrath Of The Easter Bunny" est la
preuve que Mike Patton, Trey Spruance et Trevor Dunn (3 des membres
fondateurs) sont des artistes sur lesquels on pourra compter encore
longtemps. La cinquantaine n'a entamé ni leur créativité (au contraire) ni
leur énergie adolescente qui suinte encore 34 ans après ! Le groupe a pris
du plaisir et ça s’entend ! Et même si le style n'est pas nouveau, le vieil
EP poussiéreux a retrouvé ses lettres de noblesse. Amen.
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