Je sais ce que vous allez vous dire, vous allez vous dire qu'un groupe de metal qui s'inspire des écrits de Lovecraft ce n'est pas très original. Attendez un peu avant de rendre votre décision parce que Les Enfants De Dagon avec "De Profundis" ne se contentent pas de sortir un album et ont des ambitions bien plus vastes. L'histoire contée sur ce premier album connaît une suite dans un roman nommé "Sous ces profondeurs" et cet univers est en plus illustré visuellement pendant les concerts du groupe.

On dépasse donc la simple inspiration Lovecraft pour atterrir chez un groupe qui s'exprime en utilisant plusieurs médias dans le but de créer un univers complet capable de stimuler tous les sens ou presque. Une expérience et une œuvre globale plus qu'un simple album donc pour un groupe qui n'a pas froid aux yeux et sort directement des sentiers battus rien que par sa démarche ! Mais penchons-nous sur la bête parce qu'à la base c'est tout de même de musique dont il est question avec "De Profundis". On se retrouve en gros entre le gothique, le doom, le black metal et des ambiances baroques pour une musique évidemment sombre et aussi agressive qu'évocatrice. Les ambiances sont au premier plan et le groupe utilise habilement de discrètes orchestrations qui ne prennent jamais le pas sur le reste et enrichissent l'ensemble sans phagocyter l'espace. "The Shadows Over Innsmouth" ouvre l'album et nous fait directement entendre quelque chose de rampant aux mélodies inquiétantes. Les growls se mélangent à un chant féminin lyrique et des choeurs spectraux pour une ambiance qui retranscrit bien l'horreur que l'on retrouve dans les nouvelles de Lovecraft. "Haunted Relic" qui le suit prend d'ailleurs parfois des airs d'incantation ou de rituel impie illustrant là encore l'indicible cher à ce fameux auteur. Pour ce qui est des influences black metal, ne vous attendez pas à une agression démesurée, elles se font entendre dans certaines parties de chant, dans certains leads et dans quelques accélérations savamment placées. Le propos de ce premier album n'est pas de foncer dans le tas, il fait au contraire la part belle aux ambiances et prend vite des airs de conte horrifique.

Les deux parties de "Facing Darkness" sont d'ailleurs inquiétantes dans le genre avec des choeurs religieux pour la première partie et un visage plus oppressant et violent pour la seconde qui fait entendre une de ces fameuses accélérations qui frappent d'autant plus qu'elles sont rares et entourées par un certain lyrisme noir et des velléités orchestrales. "Beyond" ne fait pas entendre la moindre once de saturation et déploie une ambiance mélancolique avec violon et piano en plus du chant féminin lyrique, une petite respiration entre deux tempêtes en quelque sorte. "Fallen Angel" ferme l'album sur un rythme plus rampant dans un premier temps avec là encore un climat inquiétant, malsain et oppressant. On voit presque les rituels et les processions incantatoires défiler sous nos yeux, on sent l'odeur putride des horreurs marines d'Innsmouth et une fois de plus la musique de ces Enfants De Dagon se fait évocatrice en diable. Le groupe a clairement cerné l'univers de Lovecraft et se donne les moyens de le retranscrire correctement, donc non seulement l'ensemble est sombre mais on sent cette folie qui habite les personnages et qui menace d'exploser à tout moment. La folie d'un côté, le désespoir de l'autre puisque le personnage principale se trouve confronté à ces immondices marines et à une masse de disciples mutants pas franchement bien intentionnés. La musique du groupe est exigeante mais jamais inutilement complexe, c'est sa richesse et la variété des sonorités utilisées et des ambiances posées qui vont vous demander de l'attention. Un effort qui sera récompensé par les ambiances très fortes que "De Profundis" déploie tout du long et par un côté très visuel et cinématographique apporté par les orchestrations.

Avec "De Profundis", Les Enfants De Dagon donnent naissance à un premier album qui pose les bases d'un univers que le groupe a bien l'intention d'étendre. A cheval entre plusieurs scènes extrêmes et doté d'ambiance teintées de baroque, de désespoir, de furie et de folie, ces dix morceaux proposent quelque chose d'original et de personnel qui nous fait penser que le groupe n'a pas fini de nous surprendre.