L'histoire de ce projet ne ressemble pas tout à fait aux autres. Et ses protagonistes eux-mêmes ne se doutaient pas que les événements prendraient une telle tournure. Après la fin de Crisis (aux alentours de 2004), formation new-yorkaise dite "culte" de metalcore ayant pour particularité (à l'époque) de comporter une chanteuse en la personne de Karyn Crisis, petite femme menue dreadlockée mais talentueuse, nous avions perdu toute trace de Karyn Crisis jusqu'a son intégration dans Ephel Duath, groupe de jazz metal avant-gardiste et expérimental italien mené par le grand cinglé en chef Davide Tiso. Cette collaboration musicale, dont un EP, "On Death And Cosmos" et un album "Hemmed By Light, Shaped By Darkness" ont étés les fruits, s'est vite transformé en relation sentimentale. A la décevante annonce de la fin d'Ephel Duath fin 2014 correspondait à l'annonce de l'album de Gospel Of The Witches, projet née de l'esprit hanté de Karyn.

Hanté, oui, car c'est précisément de cela dont il est question. En 2009, au cours de petites vacances en Italie qui auraient du être ressourçantes et inspirantes pour la création d'un nouvel album, Karyn fut en proie à des visions et des évènements paranormaux. Un ancienne sorcière romaine, Aradia, lui aurait parlé et communiqué sa vie terrestre, sa philosophie païenne et son destin funeste ave l'Eglise catholique naissante alors. Si vous désirez plus de détails sur les origines de ce mythe, reportez-vous à notre interview où bien aux travaux du folkloriste américain Charles Leland et à son ouvrage "Aradia, ou l'évangile des sorcières" (1899), livre ayant inspiré la mouvance wiccanniste du XXème siècle.

Le projet Gospel Of The Witches est donc la retranscription musicale des expériences extra-sensorielles de Karyn. De telles expériences changent à jamais une personne et sa perception de la réalité en est modifiée, on peut donc s'attendre à ce que Gospel Of The Witches demeure le seul est unique projet de Karyn à l'avenir. Les futurs albums, déjà en préparation, étendront davantage le concept à d'autres sorcières / prêtresses de l'antiquité.

"Salem's Wounds", premier chapitre de GOTW, dégage, vous vous en doutez, une certaine aura. Davide Tiso, compositeur et multi-instrumentiste, s'est appliqué à retranscrire en son les visions et impressions d'outre-monde de sa femme. Ce n'est donc ni à du hardcore revendicateur, ni à un délire mathématique sous acide que nous avons affaire. Cette entité est descriptible par les mots mais lui accoler un adjectif serait réducteur. Rock occulte psychédélique ? Heavy / doom metal mystique ? Metal gothique progressif ? Dark metal shamanique ? Black metal lumineux ? On doit pas être loin du compte. En synthétisant, c'est comme si la chanson "Cine Iubeste Si Lasa" de Rotting Christ (sur "Kata Ton Daimona Eaytoy", 2013) était développée sur un album entier. Un sabbat où copulerait, sous la pleine lune et en présence du Grand Dieu Pan, Jex Thoth, Rotting Christ et Isis. Davide Tiso tisse une toile merveilleuse de noirceur où les fils labyrinthiques nous emmène vers des sentiers peu empruntés depuis de millénaires. Un chaudron bouillant où une substance gluante mais délicieuse éveille nos sens. Un rituel psychotique sous fond de néo-paganisme et de saturations expérimentales.

"Envoutant" (soyons un minimum cohérent), est le qualificatif qui définit probablement le mieux "Salem's Wounds". Riffs diaboliques, ambiances ritualistes, guitares mélodiques et tragiques, titres martiaux, expressivité surnaturelle. Mais ce qui donne toute sa dimension à l'album est l'interprétation vocale de sa gourou. Les différents registres employés ici par la petite blondinette sont comme autant d'esprits venant hanter notre pièce. Les lignes de chant très pures et mélodiques, les refrains scandés et tribaux, les hurlements possédés, les growls démoniaques (de Karyn mais également de Ross Dolan d'Immolation, guest de luxe), les incantations effroyables ; Karyn Crisis impressionne (comme toujours) par sa versatilité vocale et subjugue par son sens inné de l'accroche. Il est rare d'entendre de nos jours des artistes qui accordent autant d'importance à développer des mélodies vocales aussi poussées et uniques pour chacun de leurs chansons. Et lorsque le résultat atteint de tels sommets, on ne peut que le saluer.

"Salem's Wounds" est le genre d'album qu'il est nécessaire, pour l'apprécier à sa juste valeur, d'essayer de comprendre et s'appréhender le concept, pour que sa musique vous pénètre pleinement et que la magie opère. Ce n'est pas prendre de risques que d'affirmer que nous tenons là l'un des albums qui marquera l'année 2015. Entre obscurité et lumière. Entre rêve et cauchemar.