"Coma"
Note : 17/20
Le néant laisse Gaerea s’exprimer à nouveau. Deux ans après "Mirage", le collectif masqué
portugais dévoile la sortie de "Coma", son quatrième album, toujours soutenu par Season Of
Mist et illustré par l’artiste guatémaltèque Nathan Lorenzana.
L’album s’ouvre avec les mystérieuses tonalités de "The Poet's Ballet" qui nous mènent à une
voix claire rassurante, mais la quiétude est de courte durée, car les racines black metal
mélodieuses et explosives reprendront le dessus. Le vocaliste hurle à nouveau pendant que
les musiciens tissent une toile violente et lancinante avec des passages légèrement plus
aérés pour nous permettre d’encaisser la déferlante suivante qui nous projette sur "Hope
Shatters", une composition à l’atmosphère pesante et relativement macabre. Le son semble
plus agressif que sur le titre précédent, mais certains passages criards lui donnent une aura
inquiétante comme cette dernière vague intense avant le souffle frais que nous propose
"Suspended", le morceau suivant. Il ne dure évidemment que quelques secondes, laissant la
rythmique oppressante s’abattre sur nous tel un ouragan saccadé aux influences post-black
marquées, notamment sur la reprise après le break vaporeux, puis elles reprennent avec
l’accrocheuse "World Ablaze" qui mélange les patterns vifs avec des touches diversifiées,
rendant le morceau relativement joyeux. Le groupe place également des déferlantes
dévastatrices tout comme sur "Coma", le titre éponyme, qui mélange inquiétude et puissance
brute avec également un moment plus calme vers le centre pour temporiser la fureur des
musiciens, mais c’est bel et bien à toute allure qu’ils nous mènent vers la fin.
"Wilted Flower"
reprend en douceur et nous enveloppe dans un voile de tonalités planantes que même
l’arrivée des éléments saturés viendra à peine déchirer, tant les riffs suivent cette dynamique
planante avant de rompre le charme grâce à des murmures. On ressent de plus en plus les
racines post / shoegaze qui s’expriment, rallumant la flamme avant de nous laisser respirer à
nouveau jusqu’à ce que "Reborn" ne prenne les rênes avec une véritable déflagration, nous
amenant de temps à autres dans l’oeil du cyclone avant de nous faire replonger la tête la
première dans leur noirceur. "Shapeshifter" démarre très lentement, avec une approche
brumeuse presque doom, laissant ses mélodies dissonantes danser dans l’air pour créer un
cocon énigmatique pour faire naître les murmures puis finalement permettre à la rythmique
de tout piétiner sauvagement. Les mélodies déchirantes se joignent au mélange mais elles
adopteront un rôle beaucoup plus agressif sur "Unknown", ancrant la composition dans des
tonalités tranchantes et une démarche plus agressive entrecoupée de nuages planants. On
retrouve ce principe de dualité sur "Kingdom Of Thorns" qui alterne entre phases de double
pédale puissantes et harmoniques entêtantes pour développer son ultime tornade
accompagnée de quelques claviers.
Il est évident que Gaerea a beaucoup changé. Le groupe exploite toujours ses racines black
metal avec des mélodies glaciales, mais "Coma" s’offre un répertoire d’influences plus large,
que ce soit les moments vaporeux ou encore les introductions douces. Le mélange reste
tout de même extrêmement cohérent.
"Mirage"
Note : 19,5/20
Gaerea ressort de l’ombre. Deux années après son précédent opus, le mystérieux groupe
masqué portugais créé en 2016 annonce la sortie de "Mirage", le troisième album de son
black metal cathartique, chez Season of Mist.
L’album débute avec les douces premières notes de "Mirage", suivies de quelques murmures
avant que la basse et la batterie ne rejoignent le mélange. Lentement, le groupe nous
plonge dans la noirceur avant de soudainement s’enflammer et de révéler toute sa
puissance, à base de blasts, de hurlements et de riffs effrénés. Si l’atmosphère s’apaise
parfois, elle ne reste pas calme longtemps, faisant appel à la rage brute ainsi qu’à des
parties vocales extrêmement expressives tout comme sur "Salve" qui ne nous autorise pas à
souffler avant de nous inonder. Les vagues de riffs abrasifs et dissonants semblent
ininterrompues, ralentissant à peine pour se montrer plus imposantes avant d’attaquer à
nouveau, et même le break plus calme se montre oppressant avant de renouer avec la
fureur, puis c’est la lancinante "Deluge" qui prendra le relais pour alimenter cette atmosphère
pesante. Les sonorités lourdes rencontrent des mélodies entêtantes, des hurlements
viscéraux et des patterns accrocheurs en permanence avant ce final doux et mélodieux qui
nous mène lentement à "Arson", une composition qui reprend sensiblement les mêmes
tonalités avant de se transformer en un mur de son transcendant. Légèrement plus plaintif et
mélancolique que les précédents, ce titre lancinant nous plonge au plus profond du
désespoir avant de laisser "Ebb" offrir des sonorités plus old school.
Le morceau est
également plus court, laissant le groupe se déchaîner tout en conservant cette approche
mélodieuse et planante qui constitue la base de son univers, tout comme sur "Mirage" qui
propose des tonalités plus douces mais toujours intenses et brutes. On notera cette
accélération avant un break abrupt, qui dévoile un interlude mélodieux avant que la
rythmique ne s’enflamme de plus belle avant que "Mantle" ne prenne la suite, dévoilant une
agressivité sous-jacente qui explosera rapidement, prenant la forme d’une vague sonore
aussi sombre que tranchante, qui ne nous laisse respirer que pour nous étouffer à nouveau
quelques secondes après. "Laude" prend également ses racines dans la fureur brute,
dévoilant des mélodies entêtantes pendant que les hurlements massifs sévissent en
rythmant la composition transcendante qui prendra fin après une dernière explosion
viscérale et sincère de désespoir. Mais le groupe nous réserve une dernière surprise, un titre
bonus du nom de "Dormant" qui viendra refermer l’album avec des sonorités majestueuses
qui offrent toujours une place à ces riffs perçants et à ces hurlements pesants.
J’avais sincèrement adoré le précédent album de Gaerea. Mais avec "Mirage", le groupe a
franchi un nouveau cap, que ce soit en termes de rage, de haine ou de pureté, propulsant
l’album à un niveau incroyablement viscéral et vrai. Un coup de maître.
"Limbo"
Note : 17/20
La formation de black metal portugaise Gaerea revient cet été avec un nouveau LP. Deux ans après son excellent album "Unsettling Wispers", le groupe revient avec "Limbo", un album d’un peu moins une heure qui va nous amener dans les tréfonds du nihilisme et de la misanthropie à travers un black metal sombre et torturé, qui n’est pourtant pas dénué de toute essence.
En effet, les musiciens n’en sont pas à leur coup d’essai et savent définitivement instaurer plusieurs ambiances qu’ils maîtrisent à merveille, on passera donc dans l’album d’un grand désespoir avec un chant désespéré et écorché, à des ambiances plus pesantes et sombres, qui tendent presque parfois vers le blackened death, avec un chant plus lourd et agressif qui tend plus vers le guttural. Ce mélange d’ambiances est particulièrement identifiable dans le morceau "Glare" qui alterne entre les deux dans un parfait dosage. Certains morceaux, en revanche, ont une structure plus mélodique avec des riffs de guitares plus identifiables notamment à l’aide de trémolos dans les aigus plus mémorables que certains accords graves qui servent plus pour la rythmique. Ces morceaux sont bien souvent accompagnés d’un chant plus grave (pas au sens fréquentiel du terme cette fois) et désespéré, qui arrive à transmettre une réelle noirceur, comme un vide au sein d’un morceau pourtant très complet. On retrouve ce genre de structure dans les morceaux "Null" et "To Ain" par exemple. En résulte un album très diversifié bien qu’il tourne toujours autour du même thème et qui arrive à poser différentes ambiances souvent très cohérentes avec le chant et les tonalités des instruments qui accompagnent.
Malgré une approche très sombre et nihiliste à travers des sonorités plutôt sombres et pesantes, il arrive tout de même de trouver des sonorités plus aériennes, plus lumineuses, cependant accompagnées par un chant qui, bien que plus léger que dans la majeure partie de l’album, reste dans un ton de désespoir, c’est plus particulièrement identifiable dans la fin de l’album, notamment sur le riff de fin de "Urge" qui trouverait parfaitement sa place dans un album de post-black ou de black atmosphérique.
Une attention toute particulière est portée à la production de la batterie dans cet album, très présente au long de tous les morceaux, cette dernière est souvent très mise en avant dans certains morceaux comme "Null" ou "Mare", apportant réellement un plus aux ambiances sombres et pesantes que l’on retrouve tout du long de l’album mais sublimant également les parties plus death avec un blast efficace, et les parties plus atmosphériques en accompagnant à merveille les riffs plus clairs.
Certaines parties plus instrumentales ne sont pas sans rappeler les sonorité de la scène est-européenne en termes de black metal avec certains riffs que l’ont pourrait croire tout droit sortis d’un album de Mgla, cependant loin d’en être une mauvaise copie, ces riffs se trouvent plus étoffés par les autres instruments que chez la formation polonaise, on y trouve ainsi une dimension supplémentaire qui vient apporter une réelle identité à ces sonorités que l’on a pourtant déjà entendues chez beaucoup d’autre groupes. De plus, l’ambiance plus death qui peut parfois les accompagner vient également mettre une distanciation et ajouter quelque chose en plus, une touche d’originalité qui est plus que bienvenue dans une scène qui peine parfois à se renouveler.
La formation portugaise réussit donc un nouveau coup d’éclat en délivrant un album qui propose plusieurs ambiances et qui possède une identité qui lui est propre. Loin de copier des sonorités pourtant déjà vues et revues dans la scène black metal, le groupe sait les sublimer et les diversifier pour proposer un contenu original qui n’en devient pas lassant, même au sein de morceaux longs excédant les dix minutes pour certains. Cette franche réussite ne fait donc que confirmer que Gaerea a encore de belles choses à offrir à la scène black metal d’un pays dans lequel on connaît assez peu de groupe du genre dans la scène internationale.
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