E-L-R est un de ces groupes qui n'aiment pas faciliter la vie des chroniqueurs et on ne leur en voudra pas puisque cela rend en général leur musique d'autant plus intéressante. Cependant quand il s'agit de situer à peu près la bête, ça devient déjà plus compliqué, alors reprenons celle que certains avaient collé sur "Mænad", le premier album du groupe, et qui avaient qualifié ça de post-doom. Une musique dont les racines sont ancrées dans la nature et qui revient se manifester avec le deuxième album de ces Suisses, "Vexier".

Il y a effectivement du doom et du post-core / rock là-dedans mais pas seulement et plutôt que de chercher à identifier tous les styles qui s'expriment par ici, contentons-nous de dire que la musique d'E-L-R se fait aussi écrasante qu'aérienne. Les morceaux sont longs (cinq pistes pour quarante-six minutes en gros), les ambiances sont reines et le chant féminin est fantomatique et placé en retrait, loin dans le mix pour appuyer encore cette ambiance qui se fait parfois onirique. "Opiate The Sun" ouvre d'ailleurs l'album avec douze bonnes minutes histoire de poser le décor tout de suite. Et après de doux arpèges aériens, les gros riffs teintés très post-core débarquent avec un tempo dont la lourdeur flirte effectivement avec le doom. Le chant ne se fait entendre qu'à partir de la moitié du morceau et garde ce côté à la fois aérien et fantomatique qui donne l'impression que ces voix viennent de très loin. La répétition de certains motifs donnent à la musique de E-L-R un caractère hypnotique qui fait que ces douze premières minutes passent étonnamment vite et tout ça mélangé à ce chant distant donne l'impression d'évoluer dans une brume épaisse. Les mélodies sont généralement assez lumineuses mais le groupe arrive à créer une sorte de brouillard dont il se sert pour effacer vos repères et faire apparaître lentement sous vos yeux son univers au fur et à mesure que vous avancez dans "Vexier". "Three Winds" suit en posant un rythme plus enlevé dont les riffs se rapprochent presque d'une sorte de post-black metal lumineux avant de remettre en avant ces fameuses ambiances aériennes en avant. Il y a toujours ce côté surréaliste, hors du temps, appuyé justement par ce chant lointain dont on ne distingue volontairement pas les mots et qui contribue à renforcer cet univers qui semble ne pas venir de chez nous, comme pour illustrer le fait que nous nous éloignons de plus en plus de la nature.

"Vexier" est donc typiquement le genre d'albums à écouter obligatoirement d'une traite puisque ces cinq morceaux constituent un tout assez homogène, les ambiances seront d'autant plus prenantes si vous y plongez sans réserve. Malgré la douceur dont fait preuve le groupe, que ce soit dans ses penchants hypnotiques ou dans ses mélodies aériennes, il y a quelque chose d'éprouvant dans sa musique, une intensité qui laisse sur les rotules à la fin des quarante-six minutes de ce nouvel album. Une intensité qui passe donc plus par les ambiances que par un quelconque matraquage, d'autant que même les passages les plus lourds gardent un caractère relativement lumineux. Il y a pourtant une forme de colère par ici, de frustration peut-être, ce qui nous renverrait à l'une des significations du titre de l'album qui peut être dérivé du latin "vexare" qui signfie "irriter, tourmenter". Et quand ce côté sombre laisse la place à quelque chose de plus doux, cela peut donner ce sublime passage mélodique en deuxième partie de "Seeds" qui frappe en plein cœur et vous cueille par surprise. Et ce n'est pas le dernier contraste que nous offre le groupe puisqu'on a droit à un gros up-tempo à la limite du blast sur "Fleurs Of Decay" qui tranche bien avec les mélodies qui gardent leur côté lumineux et aérien. Du doom et du post-core ou rock oui mais avec cette fois quelques légères touches de black metal et des ambiances d'autant plus variées. Ce qui est d'ailleurs assez étonnant, c'est que "Vexier" garde malgré cela une homogénéité à toute épreuve et qu'une fois l'écoute terminée, on l'envisage comme un bloc uni, le genre de détails qui confirment la cohérence d'un univers. Ajoutez à tout ça une production puissante et organique qui donne un son clair et chaleureux à l'album et vous avez tout ce qu'il faut pour que le voyage soit garanti.

E-L-R nous amène donc avec "Vexier" un nouvel album dans la lignée de son prédécesseur avec toutefois quelques nouvelles sonorités et des ambiances toujours aussi hypnotique et irréelles. Post, doom, on ne sait pas trop mais au final cela n'a pas d'importance. Le groupe a une personnalité particulière et bien marquée donc laissez-vous embarquer sans poser de questions, ça vaut le détour.