Fidèle à son credo, le label I, Voidhanger Records nous livre une bizarrerie supplémentaire en la personne du one-man band français Creature. Une drôle de bestiole qui nous livre son quatrième album "Eloge De L'Ombre" pour une musique que l'on va qualifier de black metal avant-gardiste faute de mieux. Une fois de plus, l'ouverture d'esprit est exigée puisque ce projet n'est pas du genre à faire les choses comme tout le monde.

Cette fois, le maître d'oeuvre Raphaël Fournier délaisse le côté baroque du précédent album "Ex Cathedra" et range aux plancard flûte et violons pour ne garder qu'une base instrumentale plus classique, c'est d'ailleurs bien la seule chose classique que l'on trouvera dans la musique de ce projet. Les deux minutes de "Venin" ouvrent l'album sur un beat electro surmonté de riffs malsains, d'un up-tempo nerveux et d'un orgue pas plus accueillant. Creature installe déjà une ambiance particulière dès le début et en un rien de temps, de quoi préparer les oreilles inconscientes qui se seraient égarées dans cet univers aussi barré que dérangeant. Le chant est lui aussi assez particulier puisqu'il se partage entre des growls et des cris plus black parfois doublés ou triplés et volontairement monocordes. Cela donne un aspect déshumanisé à l'ensemble qui renforce encore la froideur de l'ambiance générale. Cette ambiance est d'ailleurs une des seules choses, avec certains riffs, qui rattachent Creature au black metal puisque sur la forme ce one-man band va piocher bien au-delà de ce style. Notons que pour ce nouvel album le projet s'est attaché les services de Baard Kolstad à la batterie qui n'est autre que le batteur de Leprous ! Si la production de ces derniers donne l'impression que son jeu est assez feutré, le son plus sec de la batterie sur "Eloge De L'Ombre" permet au contraire d'entendre la puissance de la frappe de ce casseur de baguettes invétéré. Malgré la bizarrerie ambiante, la musique de Creature ne se départ jamais de la mélodie et garde une accroche relative. Relative oui, parce que si ce nouvel album vous laisse quelques points de repères pour vous accrocher, il ne vous tient pas pour autant par la main, loin de là même. Il aurait d'ailleurs plutôt tendance à vous perdre dans son labyrinthe en riant devant votre mine déconfite.

C'est tout le paradoxe de la musique de Creature sur ce nouvel album, elle est avant-gardiste sans être hermétique ou inaccessible d'un côté mais de l'autre elle se montre mélodique et relativement accrocheuse sans jamais vous faciliter la tâche non plus. Un équilibre difficile à tenir que "Eloge De L'Ombre" arrive pourtant à garder pendant une bonne cinquantaine de minutes. Vous pensez au premier abord que vous n'arriverez pas à entrer dans l'univers du projet et vous voyez les mélodies vous ouvrir une porte, puis quand vous croyez avoir cerné la bête par ce biais elle vous balance dans un chausse-trappe et vous laisse loin derrière. Je ne sais pas à quoi tourne Raphaël Fournier mais c'est efficace parce que non seulement ce nouvel album se démarque de la scène extrême mais aussi des précédents albums du projet. On y retrouve évidemment la patte habituelle mais l'optique est différente et les ambiances baroques de "Ex Cathedra" laissent la place à quelque chose de plus froid et de plus inquiétant. Un morceau comme "Noire" crée un contraste intéressant avec un refrain très mélodique et presque onirique en chant clair et des couplets plus durs et menaçants. On sent aussi plusieurs fois des rythmiques assez martiales comme sur "L'Empire Des Singes" qui prend des airs de marche guerrière avec des riffs puissants et lourds et une ambiance générale assez belliqueuse. Vous l'aurez compris, si vous aimez votre black metal violent, haineux et proche de la tradition, vous n'êtes pas au bon endroit. Creature se sert d'une base black lointaine pour créer une musique noire, froide et dérangeante mais loin des clichés du genre. Les influences sont multiples et ne se limitent pas au metal extrême, ce qu'une fois de plus "Ex Cathedra" avait laissé entendre sans ambiguïté.

La production mise elle aussi sur un équilibre particulier et si l'ensemble sonne de manière organique et puissante il y a en fond une certaine froideur qui donne un côté presque industriel dans l'esprit. Une fois de plus, c'est étrange au premier abord mais cela colle parfaitement à ce que fait Creature et la qualité du son est indéniable, c'est puissant, propre et on entend parfaitement ce qui se passe. Ce qui permet d'ailleurs de bien profiter du jeu totalement dingue de Baard Kolstad justement qui se fait plaisir ici. Si la violence n'est pas le propos principal de "Eloge De L'Ombre", on y entend tout de même quelques blasts assez énervés et des coups de double destructeurs comme sur "Maussade" par exemple. "Les Fragments", quant à lui, nous fait entendre des couplets qui se rapprochent presque du rap dans la diction avec toujours une ambiance froide et presque résignée qui imprègne tout l'album, une influence rap que l'on entend de façon encore plus flagrante sur le morceau-titre d'ailleurs. "Pas Le Même" en fin d'album prends des airs de voyage cosmique et nous emmène très loin, comme une façon de nous montrer où s'en va Creature après avoir fait le constat d'un monde qui lui semble étranger à en juger d'après les textes. Sans faire de track by track, ce petit aperçu permet de donner une idée de la variété des sonorités utilisées par ici et de la richesse des ambiances proposées.

Au final, "Eloge De L'Ombre" est un très bon nouvel album pour cette surprenante et dérangeante Creature. Les plus frileux prendront évidemment la fuite très vite mais les plus aventureux seraient bien inspirés de jeter une oreille sur ce nouvel album qui dévoile une fois plus une personnalité très marquée et un univers aussi fou que froid.