Jamais une réalisation artistique n’aura été aussi cohérente en termes de concept. Déjà, lorsqu’on s’appelle Chaos Motion, on sous-entend pratiquer un metal bruitiste et éventuellement bordélique, et en effet, la musique de ce groupe atypique peut être décrite comme un mouvement chaotique, aussi déroutant que technique. Le titre de l’album, "Psychological Spasms Cacophony", conforte lui aussi à merveille le feeling qui se dégage de chaque composition. Ensuite, la pochette, très complexe et colorée, fourmille de détails et accentue le sentiment de foisonnement et de complexité qui se développe au travers de cette aventure musicale pour oreilles averties. Vous l’aurez compris, nous sommes ici en présence d’un spécimen unique, particulier, qui va donner du fil à retordre à votre capacité d’écoute.

Concrètement, cette formation française d’origine mexicaine est à ranger dans la catégorie "OVNI" métalliques, aux côtés de groupes comme Gorguts, Psyopus, ByoNoiseGenerator et consorts, c'est-à-dire que ces musiciens siphonnés du bulbe allient au death metal des influences réellement techniques avec des éléments dissonants, rythmiquement complexes et changeants. N’espérez pas rentrer dans le délire immédiatement, il va vous falloir plusieurs écoutes pour espérer assimiler ne serait-ce que quelques petites bribes de ce metal tordu. Il y a cette intention de perdre l’auditeur, du genre à la Serocs, Into The Moat, Cephalic Carnage, Malignancy ou Gigan, mais Chaos Motion dépasse largement toute notion de cohérence et s’amuse à brouiller les pistes en dissimulant tout indice rythmique ou harmonique en étirant et en compressant sa musique comme un élastique. Le metal dispensé par ces talentueux musiciens n’est qu’enchevêtrements et tensions, un peu à la manière des compositeurs de musique contemporaine ou des artistes du free jazz. L’élément free se retrouve dans les moments qui semblent improvisés, et je pense qu’il y en a, comme le titre "Inner Chaos", quant à la notion d’écriture, elle est omniprésente car malgré l’impression de gros bordel se dissimule une structuration réfléchie, diluée au sein de ce chaos sonore énergique.

On retrouve dans l’intention de jeu un feeling mathcore aussi, grâce notamment à des riffs hypnotiques mais paradoxalement mouvants mais d’un point de vue rythmique, on est plus proche d’un Blotted Science ou Spastik Ink en mode WTF, deux formations au sein desquelles officie le savant fou et shredder émérite Ron Jarzombek. Puisqu’on en parle, les guitares effectuent un travail admirable et délivrent des riffs chromatiques, étranges et déstructurés. De plus, les nombreux solos présents sur le disque m’inspirent les fulgurances tordues du guitariste Bumblefoot, comme sur son album "9.11" avec un petit côté Chris Arp, le gratteux de Psyopus, qui possède une démarche plus bruitiste et résolument portée sur le non sens sonique. Chaos Motion, c’est les montagnes russes musicales, on passe des extrêmes aigus, aux graves les plus abyssaux, les blast beat s’alternent de manière complètement abrupte avec d’autres éléments plus fulgurants, la basse tisse sa toile de fond en contradiction totale avec le reste des instruments et le chant guttural vient bousculer cette folie créatrice en s’imposant sans vergogne.

Vous l’aurez compris, nos camarades ne proposent pas un disque accessible, même les habitués de brutal death technique ou de mathcore vont être mis à rude épreuve durant l’écoute de "Psychological Spasms Cacophony". Il y a clairement une démarche singulière de dépasser les bornes, une volonté de repousser les limites de la complexité à grand renfort de dissonances, dissonances clairement omniprésentes tout au long de l’écoute, vous voilà avertis. Là où d’autres manipulent le bruit pour générer des musiques toujours plus noisy et rugueuses, ici, c’est l’enchevêtrement d’une myriade de micro éléments qui rend la chose complètement avant-gardiste. Ce serait maladroit de ne pas tenter l’expérience, au pire, vous vous choperez une bonne migraine, au mieux, cette expérience vous ouvrira quelques chakras et pour ma part, j’éprouve en plus cette petite fierté chauvine de me dire qu’en France, il y a des groupes loin des conventions et du politiquement correct qui balancent un gros pavé dans la mare, ça fait plaisir.