"The Sleeping City"
Note : 19/20
An Abstract Illusion est prêt à remettre le couvert. Suite au succès de son précédent opus, le groupe mené par Christian Berglönn (chant), Robert Stenvall (claviers/chant), Karl Westerlund (guitare / basse) et Isak Nilsson (batterie/choeurs) dévoile son troisième album, "The Sleeping City", via Willowtip Records.
Lukas Backeström (chant), Jonathan Miranda-Figueroa (violoncelle), Dawn Ye (violon), Flavia Fontana (violon) et Elsa Svensson (narration) ont également participé à l’enregistrement.
L’album débute avec le clavier hypnotique de "Blackmurmur", une première composition d’abord assez calme, puis troublée par des riffs travaillés et enfin des grognements agressifs qui trahissent l’atmosphère plus mélancolique. Les tonalités planantes s’enchaînent dans la violence, passant également sur des moments de flottement où le chant clair domine, suivi par des leads oniriques qui percent le voile de noirceur avant que les claviers ne reviennent nous hanter pour temporiser l’éruption transcendante avant de revenir à des touches plus vaporeuses. Le son s’apaise enfin pour laisser "No Dreams Beyond Empty Horizons" déverser sa rythmique saccadée sous un mélange harmonieux entre hurlements et choeurs apaisants, mais la technicité refait vite surface et transformera le flot agité en océan d’incertitude et de surprises sonores, qu’elles soient ancrées dans l’agressivité, la beauté ou même les deux entremêlées. Le final brumeux nous montre finalement la voie vers "Like A Geyser Ever Erupting" qui propose un son mystérieux l’espace de quelques instants avant de nous écraser sous le poids de ses riffs massifs qui témoignent d’une approche beaucoup plus furieuse et dont le blast confirme cette touche féroce, mais qui s’autorise tout de même quelques passages plus mystiques qui empruntent tour à tour diverses influences aériennes. On revient dans les tonalités électroniques avec "Frost Flower" et ses racines post-metal inattendues qui nous propose une montée d’intensité avant d’accueillir une voix claire très douce, mais la saturation pesante reviendra teinter la composition, ainsi que quelques rapides cris qui mènent vers un autre écrin de quiétude qui vole à son tour en éclats.
Le son se perd dans le néant, mais nous rejoignons "Silverfields" où l’accueil est un peu plus inquiétant, mais les tonalités modernes dissipent rapidement le malaise et transforment le moment en interlude assez chaleureux aux influences post-punk avant que les autres instruments ne reviennent renforcer le son. Emmett prend la suite avec une courte mais douce mélodie qui se métamorphose à l’aide des frappes en flot dissonant puis en véritable ouragan aussi riche et diversifié qu’imprévisible et changeant, en faisant le parfait terrain de jeu pour les racines prog du combo qui s’en donne à coeur joie en liant les éléments de manière assez naturelle. Le titre s’enflamme à nouveau sur le final, puis "The Sleeping City" prend sa place en continuant dans cette atmosphère contrastée entre lourdeur et moments plus fluides, créant une dualité enivrante qui s’exprime pleinement dans les deux extrêmes, tout en laissant une grande liberté à la guitare pour des leads torturés pour finalement atteindre un point d’orgue majestueux, et retomber dans la noirceur pour mieux s’éteindre définitivement.
Si vous êtes autant prêts à vous attirer dans les ténèbres pesantes et dissonantes que dans des paysages lumineux et épurés, An Abstract Illusion est le groupe qu’il vous faut. Loin
de se limiter au black et au death metal, "The Sleeping City" propose une véritable immersion entre rage et complexité.
"Woe"
Note : 17/20
L'étiquette metal progressif est probablement la plus galvaudée de toutes ces dernières années, apposée qu'elle est à des groupes qui reproduisent une formule bien connue sans faire entendre la moindre envie d'exploration. An Abstract Illusion ne fait pas partie de ces groupes et si sa musique est présentée comme étant du death progressif, on remarque vite que cela va bien plus loin. "Woe" est le deuxième album de ces Suédois et comble une attente de six ans depuis la sortie de "Illuminate The Path".
Près d'une heure pour sept morceaux, c'est ce qu'on appelle annoncer la couleur ! "The Behemoth That Lies Asleep" fait office d'introduction avec ses trois minutes et son ambiance mélancolique et déjà quelques cassures rythmiques. Un morceau d'introduction qui se trouve lié à "Slaves", puisque ce nouvel album n'est en fait qu'un morceau découpé en sept parties, qui envoie une grosse volée de blasts d'entrée de jeu et crée un contraste assez brutal encore amplifié par ces leads aériens à la Fallujah. Les racines death metal s'entendent clairement dans cette musique puissante, agressive, technique et sombre qui n'hésite pas à flirter avec d'autres scènes. On sent évidemment un peu de Opeth à certains moments, ce qui est quasiment inévitable quand vous mélangez du death metal à des influences progressives. Les passages les plus lourds et les mélodies les plus mélancoliques, quant à elles, font clairement sentir des sonorités héritées du doom et du gothique. Le groupe arrive à se créer une personnalité malgré ces influences reconnaissables en posant un équilibre très bien pensé entre mélodies aériennes et brutalité. "Tear Down This Holy Mountain" démarre d'ailleurs avec des mélodies de toute beauté qui développent une ambiance majestueuse et mélancolique. Quelques arrangements électroniques accompagnent un solo tout en douceur et en feeling aux accents jazzy presque sensuels avant de repartir sur quelque chose de plus mélancolique, aérien et de toute beauté une fois de plus. Les membres d'An Abstract Illusion ont clairement un talent fou pour poser des mélodies qui mettent K.O et ce deuxième album n'est pas avare en la matière.
Quand ce genre de passage magnifique aux sublimes mélodies aériennes s'imbrique avec des parties plus frontalement brutales et techniques, il y a de quoi se retrouver sur les rotules ! "Prosperity" va carrément flirter avec le djent et le metal moderne en général pendant un break très saccadé et très puissant avec toujours en fond ces mélodies aériennes et mélancoliques avant qu'un piano tout aussi triste ne termine ce morceau intense. Une intensité émotionnelle qui se ressent sur tout l'album et qui explose à certains moments comme sur "Prosperity" donc, et qui se calme le temps de "Blomsterkrans" tout en finesse avec piano et violons. Le quart d'heure de "In The Heavens Above, You Will Become A Monster" n'en est que plus intense justement et plus brutal aussi, les blasts nous attaquent sans perdre de temps et des growls rageurs nous accueillent dans les premières secondes. Comme sa durée l'indique, ce morceau passe par plusieurs phases et ambiances différentes, de l'agression du départ à la mélancolie majestueuse et presque épique de la dernière partie. Près de quinze minutes d'un voyage mouvementé, parfois éprouvant, parfois bouleversant mais toujours saisissant. Malgré certains passages techniques, une bonne dose de brutalité, "Woe" déploie de sublimes ambiances et met l'émotion au premier plan. Et entre les sonorités death metal, doom, gothique ou metal moderne et le chant partagé entre growls et chant clair, il y a de quoi faire ! On passe d'une ambiance et d'un style à l'autre sans jamais perdre en cohérence et on sent que cet album a été pensé comme un tout et que le fait de n'en faire qu'un seul morceau découpé en sept parties n'est pas un gimmick.
"Woe" aura mis six ans à arriver mais tient toutes ses promesses et permet à An Abstract Illusion de prouver son talent une fois de plus. Même si plusieurs scènes se mélangent là-dedans, ce nouvel album ne demandera pas d'être si ouvert que ça musicalement tant l'ensemble reste cohérent et tant les émotions sont reines, n'ayez donc pas peur de vous y plonger, le voyage vaut le coup !
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