Le groupe
Biographie :

Apparu en 2014, Alkaloid est un projet réunissant plusieurs grands musiciens de la scène death metal (majoritairement allemande). On y trouve Morean (Dark Fortress, Noneuclid) au chant lead et accompagné de Christian Muenzner (Spawn Of Possession, ex-Obscura, ex-Necrophagist) aux guitares, Linus Klausenitzer (Obscura, Noneuclid) à la basse et Hannees Grossmann (Blotted Science, ex-Obscura, ex-Necrophagist) à la batterie. Encré dans une démarche indépendante, le projet est lancé via un financement par crowdfunding qui permet au groupe de produire un premier album en 2015. Trois an plus tard, Alkloid sort son deuxième album, "Liquid Anatomy", avec une signature chez Season Of Mist. Cinq ans plus tard, "Numen" sort en Septembre 2023.

Discographie :

2015 : "The Malkuth Grimoire"
2018 : "Liquid Anatomy"
2023 : "Numen"


Les chroniques


"Numen"
Note : 18/20

Constitué de Hannes Grossman, Linus Klausenitzer, Christian Münzner (donc trois membres ou ex-membres d'Obscura) et de Morean de Noneuclid et ex-Dark Fortress, le groupe Alkaloid nous amène son troisième album "Numen" qui prend cette fois la forme d'un double album de soixante-dix minutes. Les deux précédents essais étaient déjà bien touffus, complexes, profonds et d'une durée similaire d'ailleurs. Si le line-up peut laisser penser au cliché du supergroupe, Alkaloid a toujours tenu ses promesses et a fourni une musique de qualité jusqu'à maintenant, il n'y a donc pas de raison que cela change.

Vu les personnes impliquées, vous vous doutez bien que le groupe se trouve à cheval entre le death metal technique d'un côté et le progressif de l'autre, les deux influences les plus reconnaissables des deux premiers albums étaient d'ailleurs Obscura et Tool. En tout cas, le groupe évitait brillamment le piège de la démonstration stérile et posait une ambiance parfois aérienne, souvent sombre et rampante, particulièrement sur le deuxième album "Liquid Anatomy" qui développait plus les thèmes lovecraftiens. Des thèmes que garde évidemment ce "Numen" qui présente des morceaux toujours aussi longs et complexes, même si pour le coup le fait de couper l'album en deux CDs de trente-cinq minutes en moyenne permet de respirer un peu. "Qliphosis" ne prend pas de gants et ouvre le bal avec un bon petit pavé de huit minutes d'entrée de jeu qui joue déjà sur les cassures rythmiques. On sent de suite une ambiance inquiétante avant que des blasts bien brutaux ne viennent nous glisser une petite baffe derrière les oreilles, le tout pour repartir sur un mid-tempo écrasant qui n'est pas sans évoquer un certain Morbid Angel. On remarque aussi que la production est énorme et que le son est cette fois plus organique, plus chaud et d'une puissance à décoller le papier peint. Certains leads de guitares prennent un phrasé qui évoque des extraterrestres ou des robots en train de dialoguer, à l'image de ce que peut régulièrement faire Steve Vai, bref il y a déjà de quoi faire dans ce premier morceau et Alkaloid place donc quelques petites nouveautés. On y retrouve cette patte technique, brutale et mélodique qui arrive à placer des ambiances évocatrices et à créer un univers particulier dans une scène pourtant bien encombrée. C'est là que l'on sent le savoir-faire des membres du groupe en termes de composition, l'équilibre entre les différentes facettes est bien géré et si "Numen" est exigeant, il ne devient jamais hermétique.

La mélodie trouve toujours une place pour s'exprimer et fournir des points d'accroche, tout comme le groove d'ailleurs qui se faufile discrètement au milieu des délires plus techniques aux faux airs de jazz barré. "The Cambrian Explosion" avec ses quatre minutes se fait forcément plus direct et bien plus brutal, avec là encore des plans d'une technicité et d'une folie assez impressionnantes. Si certaines influences et la patte Obscura sont bien entendu encore reconnaissables, il faut tout de même reconnaître qu'Alkaloid développe bien plus sa personnalité sur ce nouvel album avec l'apport de plans plus jazzy ou inspirés de musiques latines par exemple. D'ailleurs, Hannes Grossmann se fait plaisir au niveau des patterns de batterie tout droit venus du jazz, de quoi faire plaisir aux apprentis batteurs et varier un jeu qui, chez beaucoup, se limite aux blasts et autres descentes de toms. La lourdeur de "Clusterfuck" qui suit crée un contraste d'autant plus fort et son refrain accrocheur en chant clair est une surprise plus grande encore ! Surtout que le morceau reste évidemment touffu et pas avare en plans techniques et cassures rythmiques, le mélange des genres est donc surprenant mais efficace. Sans partir dans un track by track, ce survol des trois premiers morceaux vous permet déjà de prendre conscience de la variété des sonorités utilisées sur ce nouvel album. "Numen" poursuit sur la voie de ses deux prédécesseurs mais apporte une maturité supplémentaire dans l'écriture. On y trouve une richesse des sonorités encore plus prononcée qui lui permet d'appuyer d'autant plus sa personnalité qui se développe ici plus fortement. Et ces petites surprises énumérées plus haut ne sont pas les seules que vous allez trouver, je vous laisse le soin de découvrir le morceau-titre ou même "Recursion" dans une moindre mesure (c'est plutôt niveau guitares que ça expérimente sur celui-ci), vous m'en direz des nouvelles ! D'ailleurs, Christian Münzner et Morean se font plaisir avec leurs guitares et nous font entendre des phrasés et même des sons qu'ils n'exploitent pas ou peu dans leurs autres projets.

Tout ça pour dire que "Numen" est un excellent troisième album pour Alkaloid qui trouve le moyen de continuer sur la même voie que les deux précédents albums tout en apportant pas mal de nouveautés, d'expérimentations supplémentaires et de nouvelles sonorités et influences. Le tout en réussissant à rester relativement mélodique et accrocheur avec en plus quelques ambiances inquiétantes plutôt bien troussées, bref vous n'avez aucune raison de ne pas y jeter une oreille. Et si vous avez peur de tomber sur quelque chose de démonstratif, vous pouvez ranger vos craintes au placard, avec un esprit musical un tant soit peu ouvert vous arriverez à pénétrer dans ce labyrinthe sonore. Pour ce qui est d'en ressortir par contre...


Murderworks
Octobre 2023




"Liquid Anatomy"
Note : 16/20

Pour ceux qui n'auraient pas encore croisé la route d'Alkaloid, sachez qu'il s'agit d'une sorte de all star band qui réunit la crème du technical death metal européen avec des musiciens monstrueusement doués qu'on a déjà pu croiser dans d'autres formations prestigieuses telles que Necrophagist, Obscura, Dark Fortress, Neunoclid, Aborted, et j'en passe. J'ai eu la chance de découvrir le groupe à la sortie de leur premier album, "The Malkuth Grimoire", qui s'est avéré être un des albums les plus riches et intéressants qu'il m'ait été donné d'écouter. Trois ans plus tard, Alkaloid remet le couvert avec un deuxième opus intitulé "Liquid Anatomy".

A la première écoute, je n'ai pas été vraiment convaincu par cet album. En effet, j'ai eu d'abord l'impression d'entendre une deuxième version de "The Malkuth Grimoire" en moins inspirée, avec une approche plus extrême et toujours autant de longueurs. D'entrée de jeu, le premier morceau, "Kernel Panic", affiche beaucoup de ressemblances avec "Carbon Phases" qui ouvrait l'album précédent. On y retrouve la même alternance entre chant clair et guitare claire, suivie de chants extrêmes et de guitares saturées ultra lourde. Même chose du côté de la batterie qui alterne, à nouveau, entre un jeu de tomes aéré et des rouleaux de double pédale ultra massifs. On reste sur la même impression de "déjà entendu" avec le deuxième titre, "As Decreed By Law Unwritten", qui nous rappelle tout de suite le morceau "Cthulhu" par sa dynamique lourde, sombre et lancinante. Bref, cette entrée en matière donne rapidement l'impression que le groupe peine à renouveler son propos et que ce "Liquid Anatomy" n'a rien de neuf à nous offrir.

Cependant, après plusieurs écoutes et, surtout, une plongée intensive dans les paroles des chansons, j'ai fini par réussir à apprécier cet album. Inspirés par l’œuvre du célèbre romancier H.P. Lovecraft (le créateur du mythe de Cthulhu, entre autres), les textes sont denses et très travaillés. On y parle de chaos, d'annihilation de la matière et d'horreurs indicibles. On y croise des noms complexes aux sonorités mystérieuses, des références occultes à des rituels cosmiques qui dépassent l'entendement humain. Une magie noire tellement puissante qu'elle en devient rapidement hors de contrôle et qu'elle soumet instantanément celui qui ose l'invoquer. C'est en me penchant avec attention sur les propos développés dans cette œuvre que j'ai pu comprendre et apprécier le gros travail de composition proposé par le groupe à travers ces soixante cinq minutes de musique extrême. Si ce "Liquid Anatomy" se révèle plus difficile d'accès que son prédécesseur, c'est qu'il met justement le paquet sur l'aspect complexe et terriblement anxiogène qui est défendu dans les paroles. Alors que le groupe avait expérimenté beaucoup de choses différentes dans son premier opus, le propos est ici beaucoup plus homogène et cohérent. De ce fait, "Liquid Anatomy" offre beaucoup moins de respirations à l'auditeur et le plonge dans un univers clos, inquiétant et complexe, tel que pouvaient déjà le proposer les quinze minutes du morceau "Dyson Sphere". D'ailleurs, Alkaloid reprend explicitement le thème musical développé dans ce morceau en quatre parties pour l'intégrer dans le nouveau titre "Chaos Theory And Practice". La continuité y est donc tout à fait assumée et soulignée.

Le groupe ira même encore plus loin dans l'écriture de chansons en plusieurs parties avec le dernier morceau, "Rise Of Cephalopods", qui compte pas moins de six mouvements pour une durée totale approchant les vingt minutes et qui, pour le coup, est probablement le morceau le plus intéressant de cet album malgré quelques transitions abruptes et une conclusion un peu décevante. On y apprécie, notamment, l'impressionnant panel vocal qu'y déploie Morean.

En définitive, "Liquid Anatomy" s'avère être encore un album riche et intéressant même s'il souffre, aux premiers abords, de la comparaison avec son aîné "The Malkuth Grimoire". Bien que moins accessible et éclectique que son prédécesseur, il nous propose cependant une expérience artistique qui se veut plus cohérente, plus extrême et, de ce fait, peut-être plus intense. Malgré tout, je pense que cet album aurait probablement gagné à être plus court ou a offrir plus de respirations à l'auditeur. En effet, plus d'une heure de chaos cosmique maléfique et destructeur dans les oreilles, c'est tout de même légèrement fatiguant ! Un album que je recommande aux auditeurs chevronnés qui auront la patience et la force mental de s'immerger pleinement dans cette musique extrême à travers de longues écoutes au casque pour en savourer toute la richesse d'écriture et la maîtrise instrumentale.


Zemurion
Juillet 2018




"The Malkuth Grimoire"
Note : 18/20

Necrophagist, Obscura, Dark Fortress, Aborted... Il n'y a pas à dire, les musiciens d'Alkoid ont un CV impressionnant. Cependant, n'étant pas un grand adepte de death metal, je dois avouer que je ne connaissais la plupart de ces groupes que de nom avant de me pencher sur cet album. C'est donc sans attente particulière que je me suis lancé dans l'écoute de ce CD.

Dès les premières secondes, le groupe nous embarque dans un univers sombre et magique avec l'intro très toolienne de "Carbon Phrases". Une intro assez planante qui nous ouvre les porte d'un monde mystique, ou plus précisément, kabbalistique. Il faut dire que le groupe tire son nom des alcaloïdes, molécules végétales présentent dans la plupart des psychotropes et que celui de l'album fait, lui, référence à la kabbale, Malkuth étant le dixième séphire qui désigne la forme matière.

Pour en revenir au premier morceau de l'album, "Carbon Phrases" alterne entre des passages atmosphériques portés par un chant clair envoûtant, des passages lourds et très sombres et quelques envolées techniques qui rappellent qu'on n'a pas affaire à des apprentis musiciens. Ces trois éléments sont ici utilisés avec beaucoup d’intelligence et de talent pour nous proposer une musique intense et captivante. Bref, c'est du grand art porté par une production sonore de très grande qualité.

On retrouve ce même art de varier harmonieuse les registres dans "From An Hadron Machinist", le deuxième morceau l'album. Celui-ci étant peut-être moins envoûtant mais tout aussi captivant que le premier, notamment grâce au thème principal qui reste bien en tête. Le troisième titre fait référence à Cthulu, la plus célèbre des créatures de H.P. Lovecraft, grand maître du roman d'horreur. Ce morceau très sombre et très lourd, presque doomesque, pourrait paraître assez classique sans l'ajout d'une sorte d'étrange tapping atonale qui m'évoque une sorte de virus informatique qui viendrait infecter le morceau. Cette démarche assez singulière ne sera pas au goût de tout le monde, mais elle apporte une dimension supplémentaire à l'univers du morceau et témoigne d'une véritable recherche de sonorités nouvelles.

Après ces trois premiers longs morceaux baignés d'ésotérisme, le groupe nous offre une drôle de parenthèse avec "Alter Magnitude" qui donne l'impression d'avoir switcher par inadvertance sur un album de Gorod. Ce titre rapide et groovy offre un excellent morceau de death technique qui ravira la fans du genre mais rompt complètement avec l'ambiance générale de l'album et apparaît un peu hors-sujet. Après cette courte récréation, "Orgonism" propose une semi-ballade très réussie qui alterne entre douceur nostalgique (le magnifique refrain pourrait donner l'envie de s'embrasser sensuellement au clair de lune) et ruptures lourdes et abyssales. Finalement, c'est le côté obscure qui l'emportera sur la fin du morceau en basculant définitivement dans un registre death donnant furieusement envie de se décrocher la nuque.

On arrive ensuite au cœur de l'album avec "Dyson Sphere". Ce morceau d'un quart d'heure est divisé en quatre parties pas toujours très distinguables. Il s'agit du morceau le plus long mais aussi du plus difficile d'accès avec une dimension très progressive. Imaginez-vous un mélange de Ghost et de Nile étendu sur quinze minutes et vous aurez peut-être une idée du résultat... Le morceau s'achève par un final apocalyptique qui propose une transition parfaite avec le titre éponyme "The Malkuth Grimoire" et son intro death / black très rentre-dedans. Ce titre relativement court et bien foutu laissera ensuite place à l'étrange "C-Value Enigma". D'après ce que j'ai compris, il s'agit d'un solo composé à partir d'un logiciel parfaitement injouable pour un humain. Ce morceau très étrange et conceptuel participe, en quelques sortes, à cette volonté présente depuis les origines du death metal de chercher à explorer les limites musicales les plus extrêmes.

Après toutes ces péripéties, l'album se termine en apothéose avec le magnifique "Funeral For A Continent". Un morceau qui, derrière ses quelques envolés techniques et certains passages très rentre-dedans, aura surtout le mérite de nous embarquer avec lui pour nous faire voyager au cœur des ténèbres. Et c'est justement cette volonté de nous faire avant tout voyager plutôt que de nous en mettre tout simplement plein la tronche qui fait la grande force de cet album. Quand j'écoute ce CD, je ressens une alchimie parfaite entre cinq musiciens au sommet de leur art (les guitares, la basse, la batterie et la voix sont simplement superbes) qui se mettent totalement au service d'un univers occulte et mystérieux pour un formidable voyage.

Avec ce "The Malkuth Grimoire" d'Alkaloid et "Sur Les Falaises De Marbre" des blackeux de Glaciation, 2015 nous aura montré que les all-star bands dans le metal peuvent finalement donner d'excellents résultats !


Zemurion
Janvier 2016


Conclusion
Le site officiel : www.alkaloid-band.com