L'article

PAUL WATSON, créateur de Sea Shepherd
Conférence à Paris le 01/04/2010


Retranscription par Eniel-Obtide




C’était notre dernière campagne en Antarctique (à propos des dernières images du film At The Edge Of The World, ndlr), on vient de rentrer il y a un mois. C’est la campagne la plus réussie qu’on ait menée à ce jour. Chaque année on devient plus fort. Cette année on est parti avec 3 bateaux et on est revenu avec 2, mais je pense qu’on a divisé nos quotas de baleines tuées par 2, ce qui aura coûté environ 80 millions de dollars, et ça c’est le langage que la flotte baleinière comprend : les pertes et les profits. On doit s’assurer que leurs pertes sont plus importantes que leurs profits chaque année, et sur les 4 dernières années c’est ce qu’on a fait. Malheureusement la flotte baleinière nippone est subventionnée par le gouvernement japonais et ils gaspillent beaucoup d’argent des impôts pour la soutenir.

Sea Shepherd n’est PAS une organisation de protestation, on ne proteste pas : c’est une attitude de soumission. C’est comme supplier "s’il vous plait, s’il vous plaît ne tuez pas les baleines"… et de toute façon ils le font. Nous, on intervient pour physiquement les en empêcher, parce que c’est la façon la plus efficace d’agir. Ce que fait le Japon en Antarctique est illégal : il cible les baleines en disparition – des baleines protégées ! – dans un SANCTUAIRE baleinier établit, notamment à l’initiative de la France. La question c’est : "Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans le mot sanctuaire ?". On ne tue pas de baleine dans un sanctuaire baleinier. Ils le font en enfreignant le Moratoire International sur le Commerce de Viande de Baleine et en violation du Traité de l’Antarctique et en opposition à la Cour Fédérale Australienne. Ces gens sont des criminels, ils ne sont pas différents des braconniers en Afrique qui tuent les éléphants. Sauf qu’en Afrique ils sont pauvres, ils sont noirs et ils se font descendre pour l’avoir fait (braconner, ndlr). Et parce que le Japon est une nation puissante, eh bien ils s’en sortent.

Le capitaine du navire Japonais qui a détruit notre bateau n’a eu à répondre de ces actes devant personne. Je ne connais aucun autre cas dans l’histoire de la Marine où un capitaine ait détruit un bateau sans avoir à répondre de ces actes devant personne. En fait ils agissent comme s’ils étaient au-dessus des lois. Notre navire qui a été détruit avait un pavillon Néo-Zélandais, et la Nouvelle-Zélande n’a rien fait. Sauf qu’aujourd’hui ils disent soutenir la chasse à la baleine, le peuple Néo-Zélandais non, par contre le gouvernement oui. Il faudra que le gouvernement néo-zélandais se souvienne que les urnes sont à Oakland, et pas à Tokyo. Je pense qu’ils vont s’en souvenir aux prochaines élections.

La Nouvelle-Zélande n’est pas un pays qui soutient (traditionnellement) la chasse à la baleine, mais en fait la Nouvelle-Zélande est un pays parmi d’autres qui est mis à terre par le Japon. Et cette année le Japon a tout simplement détruit la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction). La CITES a perdu toute sa crédibilité. En fait la science n’est plus leur critère de décision, ce sont devenu des critères économiques et politiques qui les motivent. Aucune espèce marine n’a été listée comme protégée cette année. Et quand la nouvelle a été annoncée, les gens se sont levés et on applaudit à la CITES. Le Japon a utilisé les pays en voie de développement pour délivrer un message sur la conservation (des espèces) dans le monde : que ce sont eux qui contrôlent. Sea Shepherd en appelle aux grandes organisations non-gouvernementales environnementales de boycotter la conférence sur la biodiversité à Nagoya, au Japon, en Octobre. On ne peut pas donner de la crédibilité au Japon.

Les océans sont en train de mourir. Jacques Cousteau l’a dit juste avant de mourir : « Les océans sont en train de mourir ». Et il a aussi dit : « Si les marines du monde avaient un semblant de sens de la responsabilité, ils seraient en train de défendre l’Océan, au lieu de jouer à des petits jeux de guerre stupides entre eux ». On a toutes les lois, tous les traités de régulation dont on a besoin pour protéger les océans, le problème c’est qu’on ne les fait pas appliquer. Il n’y a pas la volonté politique et économique pour le faire, notamment de la part des gouvernements. Ils refusent tout simplement de protéger cette planète. Donc la responsabilité, il faut que nous, nous la prenions pour faire tout ce que nous pouvons pour protéger les espèces en danger et les habitats. Les Nations Unies nous en donnent la légitimité, on agit en accord avec la Charte Mondiale pour la Nature des Nations-Unies qui déclare que "tout individu ou ONG a le pouvoir de faire appliquer les lois de conservation". Bien sûr les gens sont étonnés quand des ONG font des actions. En fait on a été conditionné pour rester à notre place : si vous voulez changer les choses, signez une pétition ou votez. Et tout ça, ça n’a jamais rien fait. Donc quand on intervient, ça les met en colère.



Mais regardons les faits. J’ai créé Sea Shepherd en 1977 et pendant plus de 33 ans on n’a jamais blessé personne, on n’a jamais été inculpé pour aucun crime et jamais aucune plainte n’a été déposée contre nous. Et pourtant ils nous traitent d’"éco-terroristes". Ca ne me dérange pas. Le Dalaï-Lama est officiellement un terroriste, et dans un monde où le Dalaï-Lama est un terroriste, je suis fier d’en être un. La vérité c’est que ce sont des noms qui ne veulent rien dire. Nous, on agit dans le cadre de la loi, pour faire appliquer ces lois et on ne cible que des criminels. C’est pour ça que nous allons en Méditerranée en Mai. Nous ciblerons des activités de pêche illégales. Quand l’Union Européenne fixe des quotas de 15.000 tonnes de thon rouge et que les prises totales sont en fait de 60.000 tonnes, on sait qu’on va trouver des criminels.

Nos tactiques sont telles que de toute façon on ne blessera personne, mais on détruira leur équipement. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça : c’est comme arrêter la voiture d’un voleur de banque. Quand les gens nous accusent d’être violents, j’ai envie de leur répondre deux choses : Martin Luther King a dit que vous ne pouvez pas commettre un acte de violence envers quelque chose qui est inanimé, et l’un des supporters de Sea Shepherd est de Dalaï-Lama. Il y a 20 ans, il m’a donné une petite statue et m’a demandé de la mettre à bord du bateau. Je lui ai demandé ce que c’était, il m’a répondu "c’est Hayagriva". Je lui ai demandé ce que ça veux dire et il m’a dit "c’est l’aspect compassionnel de la rage de Bouddha". « Et oui, qu’est-ce que ça veut dire ? ». Il a dit : "En fait, tu ne veux blesser personne mais quand ils ne peuvent pas voir la lumière, tu leur fous les jetons jusqu’à ce qu’ils la voient". C’est pour ça que nos navires sont noirs et qu’on a le pavillon du Jolly Roger, le pirate. Mais quand les gens ont commencé à nous appeler Pirates j’ai dit "bon bah d’accord, on va avoir notre propre pavillon de pirate." Les enfants adorent. Mais il y a aussi une explication sérieuse à ça. Si on retourne au 17e siècle, quand la Piraterie était complètement hors de contrôle dans les Caraïbes, ce n’est pas la marine Britannique qui l’a arrêtée. La marine marchande et les politiques tiraient trop de profits de la Piraterie, il y avait beaucoup d’argent qui était fait grâce à ça. Pas très différent de ce qui se passe aujourd’hui… La Piraterie a été arrêtée dans les Caraïbes grâce aux actions d’un homme : Henry Morgan, un pirate. Si vous voulez arrêter les pirates, il vous faut des pirates pour le faire. Parce qu’il y a un avantage que les pirates ont par rapport aux gouvernements : on ne s’encombre pas de bureaucratie et les bureaucrates empêchent les gouvernements de faire quoi que ce soit. Si on peut se débarrasser des bureaucrates, alors peut-être qu’on verra un peu d’action. Mais à chaque fois que je vois quelqu’un être élu, toutes les promesses qu’il a faites disparaissent. En fait je pense que dès que vous êtes élu, ils vous emmènent dans une arrière-salle et ils vous tabassent jusqu’à ce que vous voyiez la réalité qu’ils veulent (que vous voyiez).

J’ai voté pour la première fois aux Etats-Unis l’année dernière, c’était la première fois que je votais pour quelqu’un qui a gagné l’élection. Je ne revoterai pas pour lui. En fait il a trahi les baleines, il a annulé quelque chose que même George Bush n’avait pas annulé et en Janvier, après avoir été élu, il a signé le Patriot Act. Et on lui a donné le Prix Nobel de la Paix pour avoir envoyé plus de troupes en guerre. Il nous a trahis. Mais ce n’est pas inhabituel. Marc Twain a un jour appelé le Congrès "Parlement des Prostituées", en fait c’est ce que sont nos gouvernements aujourd’hui. Ils ne représentent ni vous ni moi, ils se fichent pas mal de la Planète, la seule chose qui leur importe ce sont les gens qui les paient pour être élus.

Quand les gens me disent "mais ils ne vont pas détruire les thons rouges, ils vont se mettre eux-mêmes sur le carreau", ces gens ne comprennent pas l’économie moderne : la politique et l’économie basée sur l’extinction. Mitsubishi a construit d’énormes cales frigorifiques et ils stockent d’énormes quantités de thon rouge là-dedans, et plus ils auront de thons rouges morts dans ces cales frigorifiques, moins il y en aura dans les océans. Et moins il y en a de vivants dans les océans, plus les thons rouges morts dans les cales frigorifiques coutent chers. Et quand les thons auront disparu, les centaines de milliers de thons qui sont dans ces cales vaudront des milliards de dollars. On pourra vendre un thon rouge 1 million de dollars. Aujourd’hui un thon rouge se vend entre 150 000 et 200 000$ au Japon, donc ce n’est pas difficile à imaginer un poisson à 1 000 000$ quand il n’en restera plus du tout dans les océans. Ils investissent sur l’extinction et c’est un crime contre l’Humanité. Mitsubishi devra payer pour ça.



Donc voilà le problème qu’on a : des actions criminelles massives, soutenues par les gouvernements. La seule chose qui va changer ça, c’est la passion des individus. Des gens du monde entier qui utiliseront leur imagination et qui se dévoueront à la protection de cette planète. Quand les gens me disent "c’est foutu, il n’y a pas d’espoir", je leur réponds qu’il y a une solution mais c’est une solution impossible. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’impossible peut devenir possible. Ce qui m’a inspiré cette idée, c’est que si vous retournez en 1972, la simple idée que Nelson Mandela serait un jour Président de l’Afrique du Sud était inimaginable, impensable ! Et pourtant c’est arrivé. C’est pour ça que j’ai le l’espoir, je pense qu’on peut trouver ces solutions mais ça doit venir de nous, pas des gouvernements. Les gouvernements causent des problèmes, les gens les résolvent. Chaque révolution sociale a été menée par des individus passionnés et il faut qu’on se donne le pouvoir de le faire. Donc nous on va sur les océans avec nos bateaux et on intervient directement, mais on est juste une petite organisation. Mais ce qu’on peut faire c’est être un exemple et inspirer les gens, parce que la force d’un mouvement repose sur sa diversité et on a besoin de centaine de milliers de petites organisations et de millions d’individus qui s’attaqueront à ce problème. On ne peut pas dépendre des grosses ONG pour faire ça, parce qu’ils font partie du problème des grosses corporations. Il faut que ça vienne les racines.

Parfois les gens me critiquent parce que mon équipe est fait de non professionnels, parce qu’ils sont inexpérimentés. Ce que je réponds c’est que je ne peux pas payer des professionnels pour faire ce que mon équipage fait. Ce qui me conforte là-dedans, c’est qu’en 1912, si vous regardez l’éditorial du London Time, ils accusent Ernest Shackleton de la même chose : on lui dit que son équipage est fait de gens non expérimentés et il dit "Donnez-moi la passion bien plus que l’expérience". Et Ernest Shackleton n’a jamais perdu un membre d’équipage. Chez Sea Shepherd, personne n’a jamais été blessé ou tué. J’ai travaillé sur un navire Norvégien pendant un an avec un équipage de professionnels : on a eu 6 incidents. (Et nous) en 33 ans on n’en a jamais eu aucun, je pense qu’on est peut-être bénis mais c’est aussi à cause de notre inexpérience : on prend des précautions. Et on a bien l’intention de garder ce bilan immaculé : ne blesser personne et ne pas être blessé.

Les armes que l’on utilise sont assez intéressantes. Vous avez peut-être vu les bouteilles qui sont envoyées sur les bateaux : elles sont pleines de beurre rance, ce n’est pas toxique, c’est biodégradable, c’est biologique mais ça pue vraiment. Il est très difficile de travailler avec ça sur le pont. Si j’en faisais tomber une goutte sur ce bureau, vous sortiriez en 2 secondes… Et nous on les asperge de litres et de litres. Autre chose que l’on utilise c’est aussi des canons à eau, et parfois on leur envoi de la crème de pudding et du chocolat : vous pouvez arrêter quelqu’un avec des litres de chocolat et du pudding. Donc il faut toujours qu’on trouve des tactiques qui ne vont blesser personne, mais par contre de l’autre côté on a des gens qui essaient de nous tuer, ce qui fait une espèce de bataille à sens unique. Mais il faut qu’on le fasse. Et quand les gens me disent : "Mais comment vous pouvez risquer votre vie et la vie de votre équipage pour la vie d’une baleine ?", j’ai envie de répondre "En quoi est-ce inhabituel ? On risque nos vies, on tue, on meure pour protéger des ressources de pétrole ou des biens matériels. Est-ce qu’il n’est pas plus noble de risquer sa vie pour protéger une espèce en voie de disparition ou un écosystème menacé ?". Il y a quelques années au Zimbabwe, un ranger a tué un braconnier, le braconnier était sur le point de tuer un rhinocéros noir et les groupes de Protection des Droits de l’Homme ont condamné ce ranger. "Comment osez-vous tuer un Etre Humain pour protéger un animal ?" Et sa réponse trahi bien notre hypocrisie : "Vous savez, si j’avais été un officier de Police, et que quelqu’un était sorti de la banque Barclay en ayant volé de l’argent, qu’il était parti en fuyant et que je l’avais tué, ils m’auraient donné une médaille et j’aurais été un héro. Mais quand il s’agit de l’héritage du Zimbabwe, ça ne vaut pas un sac plein de bouts de papier." On tue pour ce qui a de la valeur, en général du papier et des ressources, et on ne se bat pas pour des choses que l’on n’aime pas.

Imaginez par exemple, vous arrivez dans la ville de la Mecque, vous arrivez devant cette grande pierre noire et vous crachez dessus : vos chances de sortir de cette ville vivant sont assez limitées, parce que vous vous en êtes pris à quelque chose qui est sacré pour les gens. Allez à Jérusalem et prenez-vous en au Mur des Lamentations et vous allez vous prendre une balle d’un soldat Israélien, et personne n’aura aucune sympathie pour vous : vous avez attaqué quelque chose de sacré, quelque chose qui a de la valeur. Mais tous les jours, on va dans les plus belles, les plus magnifiques cathédrales du monde : la forêt primaire d’Amazonie, les forêts de Californie, la Grande Barrière de Corail, on les désacralise, on les détruit… et comment est-ce qu’on répond ? Des pétitions ! Les gens se déguisent en animaux avec des pancartes et s’agitent. Voilà, c’est tout ce qu’ils font ! Mais si les forêts primaires et la Grande Barrière de Corail ont de la valeur pour nous, si elles sont sacrées, si elles sont aussi sacrées que la Pierre Noire à La Mecque ou que le Mur des Lamentations à Jérusalem, alors on se dresserait et on défendrait avec ardeur ce qu’ils essaient de détruire. Mais on ne le fait pas parce que pour nous cela est très abstrait, et on s’est complètement isolé du monde naturel, et à cause de ça nous sommes nous-mêmes une espèce en voie de disparition. Parce qu’on n’a pas compris les lois essentielles de l’Ecologie, et aucune espèce qui n’ait pas respecté ces lois de l’Ecologie n’a jamais survécu. La première, c’est la loi de la diversité : la force d’un écosystème repose sur sa diversité. La deuxième loi c’est l’interdépendance : les espèces sont besoin les unes des autres. La troisième loi est celle des ressources finies : il y a y une limite à la croissance, une limite à la capacité de charge de la Planète. Et c’est pour ça que nous sommes aujourd’hui dans une phase d’extinction massive. Nous volons la capacité de charge des autres espèces et elles sont en train de disparaitre. Entre 2000 et 2065, nous allons perdre plus d’espèces de plantes et d’animaux que nous en avons perdu sur les 65 millions d’années écoulées. C’est une catastrophe majeure et nous sommes, en tant qu’espèce, les responsables. Donc il faut qu’on apprenne à vivre en harmonie avec les autres espèces.

L’année dernière aux Etats-Unis, j’ai fait une déclaration qui avait pour but d’attirer l’attention et ça l’a fait, les gens étaient très en colère, surtout la chaine Fox News des Etats-Unis. J’ai dit que les vers de terre sont plus importants que les gens, et les gens étaient horrifiés. "Mais comment pouvez-vous dire ça ?". Mais parce que c’est vrai ! Les vers peuvent vivre sur Terre sans les gens, nous ne pouvons pas vivre sans eux, nous avons besoin d’eux, ils n’ont pas besoin de nous. Et on a besoin des abeilles, et des scarabées, et des fourmis, et des bactéries, et des poissons : on a besoin d’eux. Ils n’ont pas besoin de nous, en fait ils seraient plutôt contents si on disparaissait. Albert Einstein a dit un jour : "si les abeilles disparaissent, je donne 4 ans à l’Humanité". Il y a certaines espèces qu’on ne peut pas se permettre de perdre, on les suivra. Et les poissons sont un très bon exemple : si on enlève les poissons des océans, on détruit les océans, on ne survivra pas. Et donc ces pêcheurs industriels, ces navires énormes qui vont dans les océans avec des filets et des grandes lignes mènent l’activité la plus destructrice sur cette planète. Ils ont le potentiel de détruire la Civilisation, parce que s’ils détruisent les poissons ils nous détruiront. 90% des poissons prédateurs ont déjà disparu… 90% ! Et aujourd’hui on n’arrive même pas à lister les requins ?! Il y a plus de tigres du Bengale dans le monde qu’il n’y a de grands requins blancs. Mais on ne peut pas faire protéger les requins blancs, parce que ce qui se passe dans les océans c’est loin des yeux et donc loin du cœur, et on déteste les requins parce que se sont des "monstres". Mais si on y pense, combien de gens sont tués par les requins chaque année ? En moyenne : 5. Les autruches tuent en moyenne 100 personnes par an, donc les autruches sont 20 fois plus dangereuses que les requins, mais on ne déteste pas les autruches. Mais combien de requins est-ce qu’on tue ? 90 millions par an ! Donc qui est le monstre ? Certainement pas les requins. En fait c’est plus dangereux de jouer au golf que de nager avec des requins : statistiquement il y a plus de personnes qui meurent frappés par la foudre sur un terrain de golf que de gens qui meurent des suites d’une attaque de requin. Donc en fait il faut remettre tout ça dans son contexte.



Sea Shepherd travaille dans de nombreuses régions du monde. Notre plus gros projet est au Galápagos, on est là-bas depuis 12 parce que j’ai toujours dit que si on ne pouvait pas sauver les Galápagos, un endroit aussi magnifique, aussi unique que cet archipel, alors comment est-ce qu’on peut sauver quoi que ce soit d’autre ? Donc on a fournit un bateau de patrouille anti braconnage et on travaille en partenariat avec la police fédérale de l’Equateur et les rangers du parc marin. On a notre brigade canine qui est entrainée pour renifler les ailerons de requins dans les bagages dans les ports et les aéroports, et on a arrêté 65 navires braconniers et on a saisi 200 000 ailerons de requins. L’archipel des Galápagos est classé Patrimoine Mondial de l’Humanité, et pourtant les braconniers prennent 300 000 requins par an au cœur de la réserve. Donc si on n’est même pas capable de protéger ce qui est Patrimoine Mondial de l’Humanité, comment est-ce qu’on peut protéger quoi que ce soit d’autre dans les océans ? Mais la réalité c’est qu’on ne peut les protéger, la marine équatorienne a des navires sur place mais ils s’assoient et ils ne font rien. Tout comme la marine Australienne ou les marines européennes qui ne font rien. Je ne sais pas pourquoi on paie des taxes pour financer ces bateaux qui ne font rien. Ha si, maintenant ils vont en Somalie pour protéger nos pêcheurs des pirates somaliens. Mais qui sont les vrais pirates ? Les navires de pêche Européens et Asiatique qui vont dans les eaux Somaliennes et qui pillent tout le poisson, et aujourd’hui ils sont protégés par les marines de leurs pays. Il n’y a pas de pirates en Somalie : il y a des pauvres gens désespérés qui sont obligés d’en venir là parce qu’on a vidé leurs ressources et qu’on balance nos déchets toxiques de nos pays dans leur eaux. Et ce qui se passe aujourd’hui en Somalie arrivera bientôt au Sénégal, au Mozambique, en Côte d’Ivoire… Parce qu’en fait on est en train de prendre tout le poisson qu’il y a dans leurs eaux, et les gens qui ont faim deviennent désespérés. Donc on ne devrait pas être étonnés si la piraterie augmente dans ces régions.

Donc voilà les problèmes que l’on doit affronter. On doit pouvoir les surmonter seuls ainsi. Chacun d’entre vous doit comprendre que la responsabilité est notre et qu’on peut faire la différence. Et donc voilà ce qu’on essaie de faire. Et quand on va aller en Méditerranée cette année je suis à peu-près sûr que l’on va avoir beaucoup de controverse et d’opposition. Mourad Kahoul, le syndicaliste des thoniers Marseillais a menacé de nous couler si on s’en prenait à lui. Les bateaux on peut les remplacer, les espèces en danger non. Donc s’il veut couler notre bateau, bah qu’il essaie. On ne va pas laisser un homme qui croit qu’il est propriétaire de la Méditerranée nous décourager. La Méditerranée ne lui appartient pas, elle n’appartient à aucun des autres parasites qui sont en train de la détruire : elle appartient à nous tous ! Mais surtout elle appartient à toutes ces espèces qui vivent dedans, donc nous devons aussi respecter aussi les droits.

Je vais terminer avec une histoire qui explique pourquoi je fais ce que je fais. En remontant en 1975, j’étais avec Greenpeace à l’époque, 1er officier sur un des bateaux de Greenpeace. On avait dans l’idée de protéger les baleines, on lisait beaucoup de bouquins de Gandhi à l’époque et en fait on pensait que tout ce qu’on avait à faire c’était se mettre entre un harpon et une baleine. On pensait que personne ne risquerait de tuer un être humain pour tuer une baleine. Alors Robert Hunter et moi on s’est retrouvés dans un zodiac devant un bateau-harpon soviétique qui fonçait vers nous à grande vitesse, et devant nous il y avait 8 magnifiques cachalots. Chaque fois que le harponneur essayait de tirer, je me mettais dans sa ligne de mire. Ca a marché pendant à peu-près 25 minutes, puis le capitaine est monté sur le pont, a crié à l’oreille du gars qui était au harpon, il nous a regardé, a souri et a passé son doigt au travers de sa gorge… Et là j’ai compris que Gandhi n’allait pas nous aider ce jour-là. Quelques instants après il y a eu une explosion incroyable et un harpon a volé au dessus de nos têtes, il s’est écrasé dans le dos d’une des baleines : le harpon nous avait manqué de quelques mètres. Cette baleine était une femelle, elle a roulé sur le côté et elle a hurlé, je ne savais même pas que les baleines pouvaient hurler. Dans une fontaine de sang, la plus grosse des baleines a frappé la surface avec sa queue, elle a disparu sous l’eau, il a nagé sous notre zodiac et il s’est jeté hors de l’eau, droit sur le harponneur pour protéger son groupe. Mais ils avaient déjà rechargé le harpon, un qui était pas attaché par un câble et alors que la baleine avait sorti sa tête hors de l’eau, le harponneur a dégainé, il y a eu une explosion horrible, et il a percuté la baleine en pleine tête. Cette baleine a hurlé et est tombée dans l’eau, en roulant, en agonisant. La mort d’une baleine est l’une des choses les plus horribles donc vous pouvez être témoins. Et alors qu’il roulait de douleur à la surface, j’ai vu son œil, et il nous a vus. Alors il a plongé et j’ai vu une trainée de bulles de sang à la surface qui avançait vers nous très vite. Il est sorti de l’eau avec un angle tel par rapport au zodiac que son mouvement suivant nous écrasait, et alors que j’ai vu sa tête sortir de l’eau juste à côté de moi, j’ai vu son œil qui avait la taille de mon poing. J’ai vu quelque chose dans cet œil qui a changé ma vie pour toujours : j’y ai vu la compréhension. Il avait compris ce qu’on essayait de faire. J’ai vu l’effort qu’il a fait pour reculer, ses muscles se sont contractés, il a reculé et sa tête a commencé à disparaitre sous l’eau. J’ai vu son œil disparaitre sous la surface et il est mort. Il aurait pu nous tuer mais il nous a épargnés.

Mais j’y ai vu autre chose dans cet œil : la pitié. Pas pour lui-même, mais pour nous : qu’on pouvait faire un tel acte de blasphème, on pouvait prendre la vie de manière si stupide, sans pitié, et pour quoi ? Les Russes utilisaient les cachalots pour leur spermaceti, qui est utilisé pour des machineries qui résistent à des hautes températures. Et un des usages qu’ils font de ça, c’est la fabrication de missiles intercontinentaux. Et je me suis dit : "Donc voilà, on est là à détruire ces magnifiques espèces, complexes, sensibles et intelligentes pour construire des armes de destruction massive de l’Humanité". C’est là que ça m’a frappé : nous sommes complètement fous. Et à partir de ce moment-là, je me suis dit ce que je fais, je ne le fais pas pour les gens, je le fais pour les baleines et les autres créatures dans la mer : ce sont elles nos clients, pas les gens. Donc peu importe les critiques, on se fiche en fait de ce que les gens pensent de ce qu’on fait, parce qu’on ne le fait pas pour eux. En 1986 on a coulé la moitié de la flotte baleinière islandaise et on a détruit l’usine de traitement de la viande de baleine, et j’ai eu un ancien collègue de Greenpeace qui est venu me voir. Il m’a dit : "J’aimerais que tu saches que je pense que ce que tu as fait en Islande était inexcusable, répréhensible et impardonnable. Et en fait tu nous as embarrassé, tu as embarrassé tout le mouvement". Et je lui ai dit : "Ouais, et alors ? Je l’ai pas fait pour toi, je l’ai pas fait pour Greenpeace, je ne l’ai fait pour aucun être humain sur Terre. Mais John, si tu peux trouver UNE baleine n’importe où dans le monde, qui n’est pas d’accord avec ce qu’on a fait, je te promets qu’on ne le fera plus jamais."