Interview faite par mail par Nico

Leur album "Blackened Visions" est sorti il y a maintenant quelques mois. Après plusieurs dates en France pour le défendre sur scène, rencontre avec les frères Tarridec, Sébastien (basse) et Nicolas (batterie), de The Lumberjack Feedback pour parler musique et bien plus encore…

Salut les gars et merci de m’accorder un peu de temps pour cette interview. Commençons classique, est-ce que l’un de vous deux peut nous faire une rapide présentation du groupe, pour ceux qui ne vous connaîtraient pas ?

Nicolas : Nous nous sommes formés en 2008 mais la formation actuelle (avec deux batteries) date de 2013.
Sébastien : Le line-up actuel est composé de deux guitaristes, un bassiste et deux batteurs. Le groupe a sorti très rapidement après sa création une première demo "DIY" et enregistré un titre qui a pas mal servi à démarcher les concerts. Mais ce n’est qu’avec la formation actuelle à deux batteries que les premières sorties "officielles" ont eu lieu. Un premier EP "Hand Of Glory" a vu très rapidement le jour, suivi d’un split collector avec We All Die (Laughing) puis un EP numérique "Noise In The Church" enregistré (et filmé) en condition live, dispo gratuitement sur le Bandcamp de notre label Kaotoxin. Et en 2016, notre premier album "Blackened Visions" est enfin dispo !

Puisqu’on en vient à ce sujet, pouvez-vous nous raconter la réalisation de "Blackened Visions" ?
Nicolas : "Blackened Visions" est issu d’une composition collégiale, nous y avons tous pris part dans chaque domaine. Parfois, j’avais des idées de guitare, de basse, d’atmosphères. Et inversement, les autres membres avaient des idées de batteries. L’enregistrement s’est fait de la même manière, avec, aux manettes de notre studio, Olivier (batteur sur l’album) et Mathias (notre ingé son live). Nous avions tous des idées de production, de mix, de prises de son. Nous avons essayé de tirer parti du meilleur des idées de chacun.
Sébastien : Nous avons, comme pour notre EP "Hand Of Glory", masterisé par Billy Anderson, confié le mastering à une personne extérieure au groupe, afin d’avoir une vision différente, complémentaire à la nôtre et surtout objective, après des mois à travailler en huis clos sur cet album. Après réflexion, nous l’avons confié à Colin Marston (musicien dans Gorguts, Krallice, Disrythmia). Nous avions adoré ses productions, notamment sur Krallice. Nous avions une vision plus "metal", moins "doom / sludge / drone" pour cet album. Les productions de Colin sont souvent très denses, du death très technique, du "modern black" mais tu peux distinguer chaque instrument, ça sonne très organique. Pas de course à la surcompression pour avoir un niveau de malade à l’écoute, avec aucune dynamique. Nous voulions du relief, que les différentes ambiances de nos titres soient accentuées et que notre son soit préservé. Nous sommes vraiment heureux d’avoir travaillé avec lui, à distance (son studio est situé à New York). Nous avons néanmoins eu la chance de le rencontrer et de discuter avec lui lors d’un concert de Gorguts et de Disrythmia à Nantes et, en plus d’être un excellent producteur (et un musicien dément…), c’est quelqu’un de véritablement humble et très accessible.



Comment s’est passée la composition de l’album ? Les morceaux qui y figurent reflètent-ils l’évolution du groupe jusqu’à son état actuel, ou certains sont déjà dans votre répertoire depuis plus longtemps ?
Nicolas : Certains morceaux de "Blackened Visions" remontent à l’époque du premier EP. Nous avions des idées que nous n’avions pas réussi à concrétiser à l’époque et qui avaient été mises de côté. Certains morceaux sont sortis de longues sessions de jams, d’autres d’idées plus spontanées ("I Mere Mortal"). Nous n’avons pas de recettes de composition, cela dépend de l’état d’esprit dans lequel nous nous trouvons.
Sébastien : Ce qui est sûr, c’est que nous avons besoin d’être tous ensemble dans la même pièce…

Vous qualifiez votre style de "doom cinématographique", qualificatif que vous utilisez pour votre dernier album. Qu’entendez-vous par cela ? Et le même constat aurait-il pu se faire pour vos précédents EPs ?
Sébastien : On vient souvent nous demander après nos concerts "Mais pourquoi vous n’avez pas de chanteur ? Moi je verrais bien tel type de chant…", "En écoutant vos titres, j’entendais des lignes de chant…" ou "Pourquoi vous ne projetez pas des vidéos en live ?". Les réactions en live sont souvent surprenantes : des gars qui s’assoient à même le sol, limite en transe, des metalheads qui se laissent embarquer dans notre voyage… On a parfois eu des personnes qui ont écrit des textes pendant nos concerts et on en a même déjà vu démarrer des mosh pits ! Ahaha ! Une chose est sûre : on aime cette part de liberté laissée à l’auditeur. Et puis ceux qui ont vu le clip de "Blackened Visions" comprendront le coté cinématographique de notre musique.
Nicolas : Je pense que "Blackened Visions" repousse un peu les murs du doom, on a toujours voulu suivre notre instinct et laisser nos idées musicales nous guider. Ce descriptif s’applique pour ma part dès la formation du groupe, le fait que notre musique soit 100% instrumentale aide à l’évasion et laisse libre court à l’imagination. Chacun se fait son petit film, que ce soit chez soi au casque ou en concert.
Sébastien : Effectivement, je pense que l’on a cherché à s’extirper de la scène doom / sludge à laquelle on est affilié. On aime ça, mais ce n’est pas notre royaume non plus. On s’est aventuré un peu dans les terres du nord avec d’autres influences qui ressortent d’avantage. On va dire que l’on est plus sur une pente metal que strictement doom en définitif.

Du coup, j’imagine qu’au-delà de la musique, d’autres formes d’arts, d’autres médias vous inspirent pour vos compositions ?
Nicolas : Oui, nous sommes tous très sensibles à l’art en général, certains membres sont plutôt littérature, d’autres sont attirés par les arts visuels. C’est aussi pour cela que nous aimons travailler sur notre graphisme, nos vidéos, le merch, les prises, le mix, etc.
Sébastien : On aime également participer à des projets qui sortent de l’ordinaire, jouer dans des lieux inattendus. Le titre "I Mere Mortal" a par exemple été composé (et enregistré) à la base en une soirée pour un projet d’expo photo de Mathieu Drouet. Tu peux retrouver cette version "brute" sur le split "Ausstelung". Nous avons également déjà joué dans une ancienne base militaire, un conteneur maritime, une église (pour notre bien nommé "Noise In The Church"). Nous avons récemment joué notre premier concert acoustique dans une cave au beau milieu de la campagne et un autre beau projet du genre est actuellement en préparation.

Hâte de voir et entendre ça ! Sinon, Nico, même s’il ne s’agit pas d’une première internationale, le fait que vous jouiez à deux batteurs reste tout de même original, d’autant que vous ne jouez pas tous les deux la même chose. Comment cela se passe entre vous deux, que ce soit dans la composition ou dans ce que vous essayez chacun de faire passer à travers votre jeu ?
Nicolas : C’est vrai que par le passé, j’ai adoré Kylesa, surtout à l’époque de "Static Tensions". En revanche, le line-up à deux batteries dans TLF est un pur fruit du hasard. Un jour, j’ai voulu réintégrer le groupe et Simon avait déjà contacté Chris (batteur sur l’EP "Hand Of Glory"). On a donc essayé comme ça… Ca a collé tout de suite, nous avons réussi à trouver un intérêt et une complicité. Que ce soit avec Chris, Olivier et maintenant Virgile, nous essayons de nous compléter, nous n’essayons pas à tout prix de nous démarquer l’un de l’autre mais plutôt de créer une symbiose, d’apporter plus de dynamique tout en gardant notre style de jeu respectif, un peu comme travaillent deux guitaristes.

Et le résultat est clairement au rendez-vous ! Autre fait marquant dans votre musique, les titres ne sont qu’instrumentaux. Avez-vous déjà pensé à du chant (hors happenings), ou était-ce clairement défini dès le début que The Lumberjack serait un projet purement instrumental ?
Nicolas : Dès le début du groupe, avant même de commencer à faire de la musique, c’est un facteur que nous voulions travailler : laisser parler nos instruments. Nous n’avions pas non plus de message précis à véhiculer, alors, plutôt que de se retrouver avec un type de voix et des textes qui connotent le groupe et le limitent à un style défini, nous avons décidé de nous donner cette liberté.
Sébastien : Le fait de ne pas avoir de chant nous offre une liberté immense. Déjà, ça te fige beaucoup moins dans un style précis. Notre auditoire est constitué pour une part importante de personnes qui n’écoutent pas du tout de metal, voire y est complètement réfractaire, mais qui aiment les ambiances et la puissance que l’on dégage. En définitif, ça peut sembler une contrainte, mais pour nous c’est absolument l’inverse. On peut jouer sur des affiches très variées, du doom au black, et c’est à chaque fois un challenge d’aller captiver un public qui n’est pas acquis à notre cause, qui se demande "Pourquoi deux batteurs ? Pourquoi pas de chant ?"…



En parlant d’affiches, vous avez déjà joué avec une liste de groupes assez impressionnante (Gojira, Red Fang, Kylesa, Crowbar, pour n’en citer que quelques-uns). Avec quel groupe rêveriez-vous de jouer, voire de rejouer ?
Nicolas : Pour ma part, ce serait avec Gojira, ils étaient tous super cool ! J’en garde un super souvenir, c’était ma première grosse scène. A l’époque, je montais et démarrais la batterie seul en guise d’intro… Je peux t’assurer que, faire ça dans un Splendid sold out, c’était géant, surtout quand quelques semaines avant, tu y as vu jouer Deftones… J’adorerais rejouer en Grèce, on y a reçu un accueil de malade ! Personnellement, je ne prête pas trop d’importance à la notoriété des groupes avec lesquels on a pu jouer, ce qui m’importe, c’est l’ambiance, l’atmosphère qui se dégage dans la salle. Bien sûr que sur le "CV" c’est cool, mais je prends autant de plaisir à jouer dans un petit bar qui suinte la bière et la transpiration que sur une grosse scène. Ce qui m’importe le plus, c’est de donner le meilleur de moi-même à chaque concert !
Sébastien : Tu sais, généralement, lors des concerts de première partie, la plupart du temps, tu vois juste la tête d’affiche quand ils terminent leur balances et ensuite ils vont se reposer dans les loges. Puis il y a aussi parfois une certaine forme de respect envers eux. On n’a pas envie d’aller les alpaguer comme des fans qui attendent un autographe 3h après le concert… Pour ma part, je garde un très bon souvenir de mon premier concert avec TLF : ouvrir pour Kylesa (époque "Static Tensions"). Des gars très détendus, très accessibles, qui nous ont prêté du matériel (et nous ont permis de voir que l’on pouvait caser tous nos amplis et deux batterie sur une petite scène). On peut également citer le Splendid (Ndlr : salle de concert de Lille (900 places)) rempli à ras-bord pour Gojira, avec le bassiste et d’autres membres du groupe à fond, en train de nous regarder du côté de la scène. On a aussi tous adoré jouer au Grand-Mix (Ndlr : salle de concert de Tourcoing (650 places)), concert sold-out avec Red Fang. Un rêve de longue date pour mon frangin et moi-même de jouer dans cette salle que l’on adore. Comme mon frère, c’est plus l’ambiance de la salle et du public qui prime. Après, pour clore cette question, je pense que pour moi, le pied ça serait de jouer avec un plateau Deftones, Will Haven et Neurosis.

Et je te le souhaite ! Pour parler d’un sujet un peu plus large, le metal n’est "malheureusement" pas le genre le plus en vogue en France. Que pensez-vous de la scène metal locale ? Et nationale ?
Nicolas : Etant 12 ans plus jeune que mon frangin Sébastien, j’ai eu la chance de baigner tôt dans le metal. J’ai un constat un peu triste sur la scène actuelle et sur le public. Quand j’étais gamin, on allait sur des webzines, des forums, on se retrouvait tous en concert, dans les bars, parfois pour voir des groupes que nous ne connaissions même pas de nom… C’est cette curiosité que j’ai du mal à retrouver chez le public, les programmateurs, les journalistes, etc. Il y a 10 ans, tu pouvais ramener 600 personnes avec 3 groupes locaux, les choses ont bien changé, et en tout cas, ce n’est pas dû à un manque de talent des groupes du coin. Même si on a eu la chance de rencontrer des gens, des structures et des assos qui nous ont soutenus et aidés, ce n’est pas toujours facile de se débattre dans un milieu qui n’est que trop peu soutenu par les dispositifs régionaux et nationaux. Tu te rends vite compte que beaucoup de tremplins, de concours et de salles choisissent un ou deux groupes metal pour se donner bonne conscience, mais au fond, sans la véritable conviction et envie de les promouvoir. C’est bien dommage…
Sébastien : Moi c’était les fanzines, les compils CD et le tape-trading ! Ah le vieux ! Effectivement, de petits cafés-concerts subsistent tant bien que mal, mais il n’y a plus de salles intermédiaires entre le café-concert et les SMAC (Ndlr : Scènes de Musiques Actuelles). Du coup, c’est de plus en plus dur pour les groupes qui peuvent/veulent passer à l’étape supérieure de trouver leur place. On constate également que le public est de plus en plus frileux au niveau découverte et préfère dépenser 3 fois le prix pour revoir pour la 4ème fois un "gros groupe" Et ça, que ça soit pour le metal ou d’autre styles musicaux. C’est sûr que le metal est peut-être le style le moins médiatisé, mais en même temps, est-ce que tu as vraiment envie qu’il le soit quand tu vois ce que le "music business" a fait au hip-hop, à la musique "électronique", au rock… Il y a de l’underground dans tous ces styles, là où les choses sont vraiment intéressantes, mais regarde la façon dont ces musiques nous sont marketées et vendues par les médias. C’est un peu le cas pour certains groupes de metal, alors perso, je n’ai pas vraiment hâte que ça soit d’avantage présent dans les médias.

Tout à fait d’accord ! Allez, revenons à quelque chose de plus joyeux ! Quels albums / groupes tournent en ce moment chez vous ? Et quel album choisiriez-vous si vous ne pouviez plus en écouter qu’un ?
Sébastien : Pas grand chose de récent… Beastmilk, des vieux albums de post-punk / new wave. En tout cas, quasi pas de doom / post-rock ou post-hardcore. En plus récent, il y a le dernier Hangman’s Chair, le dernier Gorguts et "Post Pop Depression" de Iggy Pop. Je pense que d’ici quelques semaines, on pourra ajouter le nouveau Gojira à la liste !
Nicolas : Pour ma part, j’embarquerai sans hésiter "Abyss" de Chelsea Wolfe sur une île déserte !

Très bien ! Et c’est ici que se termine cette interview ! Merci à tous les deux pour votre temps, je vous souhaite une excellente continuation, à vous ainsi qu’à tout le groupe ! A vous le mot de la fin !
Nicolas : Merci à l’équipe de French Metal qui nous supporte depuis toutes ces années ! Keep it Loud & Low !
Sébastien : Merci à toi, Nico !


Le site officiel : www.thelumberjackfeedback.com