Interview faite par mail par E.L.P

Bonjour Morbus Chron, avant toute chose j’aimerai vous remercier d’avoir bien voulu prendre le temps de répondre à ces quelques questions !... Pouvez-vous vous présenter en quelques mots pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?
Robert Andersson (guitare / chant) : Bonjour à vous ! Alors oui, MORBUS CHRON est un groupe de death metal suédois originaire de Stockholm dont la création remonte à 2007. Edvin (guitare lead / backing vocals) et moi (Robert, chant lead / guitare) sommes les seuls rescapés du line-up originel remontant à nos 15 ans... Ça fait donc quelques années que nous sommes dans le circuit, mais les choses se sont mises à réellement décoller à partir du moment où l’on nous a proposé d’intégrer la compilation "Resurrected In Festering Slime". Après cela nous avons proposé l’une de nos toutes premières démos et nous avons commencé à attirer l’attention de certains labels... Et aujourd’hui nous en sommes à la sortie du second album : "Sweven", chez Century Media Records.

Et c’est d’ailleurs pour cela que nous sommes ici aujourd’hui, pour tenter de percer certains mystères de cet opus. Ma première question sera simple... Pourquoi "Sweven" ? Quel en est son sens et sa portée ?
Le titre de cet album est un mot d’Anglais Ancien qui signifie littéralement "Rêve" ou "Vision". L’intégralité du concept de l’album est basée sur le Rêve, le titre, la musique, les visuels, tout se rejoint sous ce thème. Nous vouilons quelque chose d’unique, de singulier pour traduire la sensibilité présente dans l’album. "Sweven" incarnait se choix à la perfection...

Cet album s’ouvre sur un titre sobrement appelé "Berceuse", pourquoi avoir choisi ce titre au nom français pour introduire votre opus ? Une berceuse est faite pour nous plonger dans le sommeil, et ce titre foncièrement ambiant nous y pousse, nous fait tomber dans une sorte de léthargie tortueuse, remplie de rêves et parfois, de cauchemars. Etait-ce un moyen, pour vous, de nous prendre par la main pour entamer la découverte de votre univers sous cet axe on ne peut plus ambiant et technique ?
Eh bien, à mesure que le concept de l’album tendait à s’affiner, j’ai pensé que le meilleur moyen pour l’opus, de démarrer, serait cette "Berceuse". J’imagine que vous savez que ce terme est également tiré du lexique Classique?... Au même titre que des nocturnes ou des préludes, il existe des berceuses. Une musique créée pour détendre et sommeiller. Ce choix semblait, effectivement, le plus judicieux pour démarrer l’album et en donner instantanément la tonalité de départ...

Basé sur ces rythmiques aussi envoûtantes que noueuses, cet album semble avoir été conçu sur un fil d’influences tantôt black, tantôt death. Quelle donc était votre ambition pour vous démarquer, de votre précédent album "Sleepers In The Rift" au travers de cette attention plus marquée à un univers plus sombre et profond ?
"Sweven"» est basé sur les fondations laissées par "Sleepers In The Rift". Notre ambition a toujours été de rester honnêtes avec nous mêmes, notre univers... C’est ce que nous avons fait avec le premier album et que nous avons continué d’entreprendre avec celui-ci... Pas d’exception. Après la sortie de "Sleepers In The Rift", il nous était évident que nous n’allions pas sortir le même album une fois de plus. Nous avons ressenti le besoin de créer un son plus large, plus profond, et, ainsi, de nous mettre au défi, de nous stimuler... De composer selon nos propres codes, sans avoir en tête ce que les autres pouvaient attendre de nous. Nous voulions construire un album au moins équivalent, en terme de qualité, au premier, et cela n’aurait pas été possible si nous n’avions pas osé sortir de notre zone de confort, de chercher challenges et dangers ! "Sweven" était inévitable dans notre processus de composition et de recherche... lI devait arriver !

Justement, l’affinement de ce processus créatif a-t-il été pour vous l’occasion de vous recentrer sur quelque chose de plus précis, de plus sophistiqué et accompli ?
Je ne suis pas sûr de totalement comprendre cette question, mais je dirais que cet album est clairement plus réfléchi, oui, écouter les 2 disques en comparaison suffit à s’en rendre compte... Mais rien n’était "anticipé" dans nos riffs ou notre son. Vous avez l’impression, en arrivant au milieu de l’écoute, de comprendre notre univers, d’en apercevoir certaines réponses, certaines structures, mais rien de précis, sans réellement savoir ce vers quoi cela va avancer et se terminer. Ça a été la même chose pour nous à vrai dire... Une fois l’album terminé et l’ensemble écouté une première fois, nous nous sommes dit "Oh ! C’est donc à ça que ça ressemble?... Cool !".



L’ensemble des mélodies assemblées au cours des 10 morceaux composant l’album, reste très intense (comme je l’ai dit plus tôt : envoûtant). On sent que votre travail est proposé de la façon la plus solennelle au fil des titres, comme une forme d’invitation à la réflexion... Quel a été votre cheminement de pensée concernant l’expression que vous vouliez donner au travers de ces titres ? Qu’avez-vous cherché à atteindre au travers de ce puissant tourbillon d’ambiances ?
Il y a comme une forme de libération inhérente à l’album, c’est vrai. Certains passages me marquent encore dans ce sens... Je suis sûr que ça t’est déjà arrivé de te réveiller après un rêve tellement étrange et intense qu’il en était impossible d’essayer de le comprendre... Eh bien c’est exactement ce genre de rêve, et d’atmosphère que j’ai eu envie de souligner et de proposer. Cette petite capsule de joie et de liberté que l’on peut retrouver de cette façon, chaque nuit. Quelque chose de fort, de psychédélique et de viscéral... C’est finalement plus dur à expliquer qu’à ressentir...

De nombreuses parties instrumentales se retrouvent ainsi piégées entre des passages clairement ambiants et d’autres bien plus lourds, sombres et pesants le tout toujours rempli de mélancolie... (Comme l’outro de "The Perenial Link" fondant sur l’intro de "Solace"). Que vous est-il passé par la tête lorsque vous avez décidé de travailler sur ces instrumentales et ces transitions ?
À vrai dire, tout ça était très neuf pour nous. Nous n’avions jamais réalisé de parties claires, pas même la moindre intro acoustique... Et finalement nous nous sommes lancés et avons composé toutes ces instru’... J’imagine déjà la surprise du public, mais je reste convaincu que ça rajoute une incroyable sensibilité, quelque chose d’impossible à exprimer si le son est perdu dans les distorsions. Tout ça apporte de l’oxygène à notre musique, tellement plus de dynamisme... ! Je me suis toujours senti "connecté" à ce genre de mélodies mais n’avais jamais eu la force de l’exprimer jusqu’à maintenant. C’est un challenge autrement plus intense et différent que celui d’écrire le riff le plus diabolique encore et encore... Et, plus intense encore : celui de mélanger ces 2 parties de notre univers, mais je pense que nous sommes arrivés à un résultat très appréciable à ce niveau-là.

Les dernières mesures de "Terminus" ne cessent de me charmer et de faire frémir par leur inhérente poésie mais aussi par leur brillante et onirique outro... J’ai ressenti comme une forme de soulagement, d’élévation, de libération. Quelle était la symbolique que vous vouliez apporter à ce dernier morceau ? Aviez-vous en tête une approche plus philosophique et poétique du titre ?
Merci beaucoup pour ces mots, ça me fait le plus grand plaisir ! Ce sont typiquement ces instants qui font que je vais profiter de la musique, m’installer et me laisser faire... "Soulagement" est exactement le terme avec lequel il faut comprendre cette partie là de notre travail ! Penser l’album comme une lutte pour aboutir à ce dénouement tant attendu, cette libération donc nous parlions plus haut. Je suis également très heureux de voir que tu as pu avoir une expérience aussi intense, c’est réellement notre objectif. Certains passages ont vraiment beaucoup de sens pour moi, ils synthétisent mon état d’esprit lors de l’écriture et me font littéralement vibrer lorsque je les réécoute... C’est toujours la partie la plus délicate de notre travil, savoir si oui ou non le public y sera réceptif et sera dans l’état d’esprit nécessaire à l’abandon aux mains des morceaux...

Après m’être intéressé à votre "intégrité" rythmique, mes sens se sont trouvé éveillés par les puissantes voix saturées lancées au beau milieu de certains piliers plus atmosphériques, de guitare. Vous êtes-vous basé, puisque que votre nom est étroitement lié à la maladie de Crohn, sur ce modèle d’apparition spontanée de "symptômes", ici, de voix explosant avec vigueur, des entrailles de vos titres ? Etait-ce le moyen de rajouter de l’emphase dans vos textes, de les aiguiser pour les faire ressortir, se détacher hors des mélodies ?
Les voix ne sont que très brièvement utilisées dans cet album, c’est vrai, mais je voulais, lorsqu’elles arrivaient, qu’elles parviennent à s’imposer. Non pas pour rendre les paroles plus fortes, mais pour rendre l’expérience des cris saturés, la plus honnête et intense possible. C’était pour moi, une part tout aussi importante que le reste dans le rendu des ambiances et de la profondeur des morceaux... !



Justement, je me suis pris à penser, sur certains passages, aux influences que pourraient avoir eues de grands groupes tels que Satyricon, Diabolical ou Enslaved sur cette approche parfois plus orientée black, technique et atmosphérique. Est-ce le cas ?
Je dois admettre (et j’en suis désolé), ne jamais avoir vraiment écouté tous ces groupes... Ceci étant, tu n’est pas le premier à établir des liens avec des artistes que je ne connais pas ou très peu. Pointer du doigt telle ou telle influence pour "Sweven" reste très compliqué mais elles restent plus ou moins inchangées dans nos coeurs. Nous sommes très inspirés par les oeuvres de, par exemple, Autopsy et Death mais avons, à mon sens, trouvé notre vitesse de croisière en réussissant à incorporer tous ces éléments et influences à notre univers. Il nous faut garder le plus de place possible pour nos propres idées, des idées qu’il faut s’efforcer de pêcher le plus loin possible de celles des autres groupes...

Pour prolonger ce point sur vos inspirations, j’ai ressenti quelques traces folk / pagan grandissant en arrière-plan de votre travail. Vous êtes-vous senti "connectés", comme nombre de vos collègues, à ces empreintes folkloriques et à ce domaine plus mystique que sont ces traditions nordiques ? Des titres comme "Beyond Life Sealed Abode" laissent visibles de grands espaces, des "portes" folk ouvertes et incrustées entre vos lignes sombres et mordantes. Est-ce du fait de ce lien avec votre culture, vos racines suédoises ?
Il est vrai que la Suède possède une incroyable culture / mythologie, mais ça s’arrête là pour ma part. Rien de plus que des histoires, des contes et des croyances. Pour ce qui est des mélodies, nous sommes naturellement guidés, dès notre enfance, par de nombreuses sonorités folkloriques. Au même titre que le langage, nous développons notre «papier carbone» musical, peut-être moins de nos jours avec cette prédominance mainstream et l’abondance de rap que tous les enfants écoutent... Quoi qu’il en soit, il y a de nombreuses sonorités toutes plus variées les unes que les autres, au coeur de la scène nordique actuelle, et qui ne demandent qu’a s’épanouir, mais ce n’est pas notre but premier.

Justement, ces sonorités plus folkloriques induisent souvent, dans vos morceaux, un univers plus sombre, plus black, tandis que des titres comme "Ripening Life", plus lourds, apportent cette différence et ce côté death metal nordique. D’où vous est venu ce désire de mélanger ces 2 univers, au demeurant complémentaires, sous l’unité de "Sweven" ? Un besoin de créer un death metal plus pesant ? Un black metal plus lourd ?
Je n’ai pas joué au petit chimiste, à ajouter un petit peu de ça, de ça ou de ça. J’ai simplement écrit des riffs et des lignes qui me parlaient et m’enchantaient... Bien sûr, ce que j’aime partager et écouter va naturellement s’intégrer au processus d’écriture et de composition, mais "Sweven" a été conçu sans réelle pensée pour d’autres musiques, d’autres styles et objectifs. Tout ce que nous savons c’est que nous voulions nous donner la liberté nécessaire à la création de ce que nous voulions vraiment, rien de planifié, de trop réfléchi et c’est justement là où le travail était le plus délicat, puisque il s’agit là de l’opposé de notre technique de travail habituelle... comme sur "Sleepers In The Rift" où nous savions très précisément où nous voulions aller !

"Hypnotique", "Puissant", "Ambiant" et "Palpitant" seraient les 4 adjectifs que je choisirais pour décrire cet album sur lequel j’ai eu la chance de poser mes oreilles... Comment décririez-vous ce nouvel opus ? Quelle pourrait être la plus pertinente des interprétations de votre univers torturé et incisif présent au travers de cet opus ?
Le seul conseil que je puisse donner serait d’écouter notre travail avec l’esprit le plus ouvert possible, de se laisser une chance de comprendre et de prendre la pleine mesure de notre "monde"... Quelle que soit l'interprétation qui puisse en sortir, elle appartiendra à l’auditeur. Là où je verrai de la beauté il pourra très bien ne voir qu’un amas de gravas. Les premières notes de "Berceuse", par exemple, me relaxent, mais peut-être qu’elles en laisseront indifférents ou dégoûteront d’autres... Nous avons sorti le plus honnête des albums qu’il nous était, à l’heure actuelle, possible de présenter, et nous sommes vraiment comblés de voir que certains y prêtent attention et l’apprécient à hauteur de notre inconditionnel engagement !
Merci beaucoup pour cet échange et ces questions,
Robert pour MORBUS CHRON.


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