Interview faite par mail par E.L.P

Bonjour à toute l’équipe Melechesh ! Merci de nous accorder ces quelques instants pour parler de votre dernier album en date, "Enki" ! Pour débuter cette entrevue, nous allons commencer par une question un rien plus généraliste, celle de votre style... Comment vous voyez-vous au coeur de la scène actuelle aux côtés de groupes surfant sur le même créneau que vous : l’orientalisme musical mêlé d’une extrême modernité plutôt typée occidentale ? Je pense notamment à des groupes tels que Nile, Orphaned Land, Myrath, Salem, les Russes de Shokran ou nos amis franco-algériens d’Acyl.
Ashmedi (chant / guitare) : Bonjour à toi. Alors, nous sommes MELECHESH, groupe fondé à Jérusalem mais certainement pas israélien. Nous sommes originaires du Moyen-Orient et proposons un mélange de thrash et de black embelli par des rythmiques orientales sans pour autant nous reposer sur des claviers ou samples comme beaucoup de nos collègues évoluant dans cet vaste genre, à moins que ça n’ait une portée purement esthétique d'embellissement des compositions. Je ne sais pas si l’on peut comparer les groupes d’un pays à l’autre, mais ce qui est certain c’est que nous sommes issus et nous nous inspirons d’une grande et riche culture, un héritage incroyable !

Le monde arabe est bien trop souvent le théâtre de conflits modernes. Tout en sachant que vous tenez à rester détachés, en tant que groupe, de ce genre de faits et de débat, pourrais-tu nous dire dans quelle mesure cela vous a affecté aussi bien humainement qu’artistiquement, et quels échos peuvent être trouvés au coeur de votre travail depuis 1993 ?
Toute action entraîne une réaction, c’est un principe... Tous ces espaces ont été divisés de façon contre-nature au fil des années de colonisation. Ajoute à cela les guerres de religion et un peu de pétrole, et tu obtiens un très mauvais mélange prêt à exploser ! C’est d’une tristesse sans nom et nous, êtres humains, sommes responsables de chacun de ces désastres !

La culture des mondes arabes est sans nul doute l’un des plus riches héritages qu’il nous soit donné d’étudier aujourd’hui. Qu’a-t-elle, pour vous, de si fascinant pour que vous vous articuliez autour d’elle afin de créer vos atmosphères ? Simplement parce qu’elle fait partie de vous ? Pour le simple fait de partager votre intérêt ou vos racines ?
La culture arabe est évidemment très riche et millénaire, mais elle a été forcée à s’intégrer et à se mêler aux religions au fil du temps. Je suis personnellement plus intéressé par des cultures plus profondes et anciennes comme celles des Sumériens ou des Mésopotamiens...

Qu’avez-vous pensé des récents saccages du musée de Mossoul ? Qu’avez-vous ressenti face à cet élan de destruction et d’obscurantisme ?
Je me suis senti extrêmement mal vis à vis de ces actes, la création est longue mais la destruction ne prend qu’une poignée de secondes... ! 5 minutes ont suffi à ruiner des oeuvres existant depuis des centaines d’années... C’est surtout triste !

Dans la première vidéo de présentation, tu expliquais que l’album reposait sur un principe de dualité. Pourrais-tu nous en dire davantage ?
Il y a, à vrai dire, de nombreux aspects touchés par l’album, mais la dualité, la philosophie, la réflexion, les sciences occultes et le mysticisme moyen-oriental en sont les principaux thèmes. J’utilise beaucoup de métaphores pour laisser le choix à l’auditeur de se créer sa propre expérience, son propre parcours, sa propre histoire. Écrire des textes et des paroles est véritablement un voyage mental tant notre inconscient est grand ! Pouvoir coucher ces visions sur papier, en quelques mots est à la fois un art et un défi personnel, et je me sens privilégié de pouvoir tenter ces expériences !



Est-ce pour cette raison que les morceaux semblent quasi systématiquement "divisés" en deux parties, entre l’arrière-plan instrumental et le premier plan plus abrasif mais aussi dans les structures rythmiques ?
Oui, c’était l’idée de départ : superposer les couches pour donner du relief et suggérer une palette plus large d’humeur et de sentiments. Il ne fallait pas qu’il soit trop unidimensionnel et plat...

Quelle était votre parti pris de travail lors de l’élaboration de cet opus ? Était-ce plutôt axé sur les différentes interprétations des mythes entourant Enki (divinité mythologique mésopotamienne) ? Ou alors une approche résolument plus ésotérique ?
Il fallait que cet album soit profond et métaphorique, c’est ce à quoi MELECHESH aspire. Nous voulons représenter ces magies perdues de nos religions...

Quelles sortes de recherches avez-vous mené pour trouver la (ou les) interprétation(s) vous parlant plus et vous correspondant le plus quant aux divers mythes et croyances concernant cette frange mythologique ?
À vrai dire, l’Art et la Spiritualité sont des domaines qui restent ouverts à l’interpréation, ça demeure très personnel et subjectif... Si ça ne l’est pas, ou plus, ça devient alors dogmatique, ce que nous ne sommes pas, nous sommes libéraux !

Pour parler à présent davantage de votre album : j’ai été frappé par "Multiple Truths" et ses fortes ressemblances avec Disturbed. D’où vous est venue cette atypique et moderne approche mélodique ?
C’est intéressant puisque je n’ai jamais réellement écouté ce qu’ils faisaient, hormis peut-être une fois à la radio ou à la télévision mais ça m’avait paru très sec et redondant. Le produit au sens commercial du terme avait malgré tout l’air assez bon mais je n'avais pas apprécié leur son alors je ne me suis jamais réellement intéressé à eux. Si tu écoutes "Illumination, The Face Of Shamash", tu retrouveras certaines de mes idées pour "Multiple Truths", nous voulions retrouver une formule proche de celle de ce titre datant de 1998.

Un autre élément marquant de ce nouvel album a été la quantité de groove et le mixage rythmique donnant une belle ampleur aux compositions de ce dernier. Des titres comme "Enki Divine Nature Awoken" ou "The Outsiders" brisant quelque peu les codes thrash old school parfois assez basiques de morceaux comme "Metatron Man" par exemple... Cette volonté de profondeur rythmique a-t-elle toujours été au centre de la réflexion à l’origine d’"Enki" ?
Nous utilisons des lignes rythmiques typiquement moyen-orientales afin de les transposer sur notre batterie avec tout le caractère que pareilles structures peuvent avoir. Le metal actuel a malheureusement trop tendance à couper et assembler de façon trop synthétique, lisse et propre, oubliant ainsi ce genre de groove et de ressenti.

"Doorways To Ikarla" ainsi que vos précédents travaux instrumentaux mettent en valeur l’amour que vous éprouvez pour les musiques traditionnelles. Quelle place ce genre de pistes occupe-t-elles dans vos coeurs ou même dans cet album ainsi que dans votre discographie ?
C’est l’autre face de MELECHESH ! Imagine qu’il n’y ait plus d’électricité ou que nous remontions le temps... Nous serions toujours un groupe vivant dans la mesure où cette partie là de notre musique peut vivre d’elle même, sans technologie particulière. Certains de nos fans n'avaient jamais eu l’occasion de découvrir ce genre de musique râga / soufi / méditative, nous sommes heureux de permettre ces petites découvertes et ces expériences d’évasions ponctuelles.



Continuons maintenant avec le premier titre que vous avez présenté au public : "Lost Tribes". Était-il initialement prévu pour accueillir le travail vocal de Max Cavalera ? Votre choix pour l’invité s’est-il axé autour d’un besoin de voix crue et, quelque part, assez primitive ou simplement d’une envie d’authenticité dans la puissance des lignes de chant ?
Le morceau a été créé et j’ai tout de suite eu envie de travailler avec Max dessus, je voulais des cris agressifs et énervés dans la plus violente des émotion thrash. C’est également un très bon ami en plus d’être quelqu’un de particulièrement bonne compagnie mais nous sommes aussi proches de par nos vécus respectifs !

En parlant de "Lost Tribes", il m’a semblé que vous viviez à présent assez loin de votre berceau moyen-oriental. Cet éloignement a-t-il un quelconque lien avec le titre en question ?
Pas vraiment non, dans la mesure où je retourne assez souvent à Jérusalem. En revanche, ce morceau comporte beaucoup de messages personnels liés à mon histoire...

Grèce, Allemagne, Pays-Bas... Comment avez-vous, justement, géré et adapté l’enregistrement de cet opus en vous déplaçant dans toute l’Europe ? Était-ce une expérience particulière que d’enregistrer de cette façon ?
L’album a également été mixé en Suède. Nous sommes actuellement programmés, formatés pour penser en termes de frontières et de barrières. J’existe et suis humain, cette qualité me confère le statut d’habitant de la Terre et à ce titre, je suis libre de m’y déplacer où bon me semble. Nous allons là où nous devons aller, c’est aussi simple que ça. C’est une petite planète !

Travailler une nouvelle fois avec Moloch Lord Curse a-t-il insufflé un nouveau dynamisme à l’expérience de composition comme d’enregistrement du groupe ?
À vrai dire, les morceaux étaient écrits bien avant, mais le fait est que le plaisir d’être entouré d’amis fiables à permis d’avancer. Moloch a posé de bien bons riffs et lignes principales et Lord Curse a su transformer chaque défaut et mauvaise expérience en une pépite brute !

Vos derniers albums étaient respectivement sortis en 2012 et 2010. Que s’est il passé pendant ces 3 années d’attente ?
Eh bien oui, peut-être ne sommes-nous pas aussi consommables que du Coca-Cola ou un flacon de shampooing pour certains, mais travailler seul sur l’écriture et la composition prend énormément de temps et d'énergie, surtout lorsqu’il s’agit de produire une vision artistique sensée et élaborée...

Et où en es-tu aujourd’hui, en regardant en arrière, sur ton histoire artistique ?
Précisément là où je le souhaitais, dans une composition confortable.

Venons-en maintenant à votre illustration... Cette dernière semble rassembler, comme toujours, bien des éléments de votre album mais également des piliers fondateurs de l’expression musicales de Melechesh. Pourrais-tu nous en dire plus sur cette lumineuse "açade" visuelle ? La façon dont elle fait écho à l’album ou à chacun des concepts ainsi figurés.
Alors oui, c’est une pièce inclusive vis à vis de l’album. Elle synthétise l’Ordre et le Chaos régnant dans l’univers que nous développons, et en reflétant les thèmes d’une façon à la fois assez spirituelle et assez psychédélique tout en incluant des éléments orientaux assez kitchs et traditionnels pour contribuer à la rendre unique et vivante. C’était la troisième fois que nous travaillions avec John Coulthart et nous étions très confiants dès le départ quant à son approche artistique !

Cet habillage assez dense et riche aussi bien sur le fond que sur la forme, veut-il dire que vous avez fait le tour de ce personnage ou de ce pan de la mythologie sumérienne ? Qu’y-a-t-il ensuite ?
Je ne pense pas que des centaines voir des milliers d’années de civilisation puissent facilement être résumées en seulement quelques albums... Encore une fois, nous imposons des valeurs en tant qu’êtres humains, des limites à atteindre voire à franchir alors que les choses peuvent très bien être sans fin. Tout est affaire de perception et de subjectivité je crois !

Que pouvons-nous justement vous souhaiter pour l’avenir d'"Enki" ou du groupe ?
Beaucoup de choses ! Nous avons de nombreuses dates en Europe pour la première partie de 2015, mais aussi quelques festivals qui commencent à tomber.

Voici maintenant l’heure de clore cette entrevue, merci de nous avoir accordé ces quelques instants, bon courage pour la suite de vos déplacements européens ! Le mot de la fin est tien !
Je suis Ashmedi.


Le site officiel : www.melechesh.com