Interview faite par mail par Mathieu

Bonjour Vincent, merci de prendre le temps de répondre à mes questions et d’ainsi permettre d’échanger avec nos lecteurs de French Metal.   Laisse-moi tout d’abord te lancer sans honte les fleurs nécessaires ici. Je fus épaté par la qualité et la diversité de votre dernier album. Félicitations, décidément un de mes albums top 3 cette année. Quel feedback des amateurs obtenez-vous actuellement ?
Vincent Harnois (guitare / chant) : A vrai dire, la réaction est très surprenante et très positive depuis le lancement de l’album. Après tous les changements que le groupe a vécu dans les dernière années, je m’attendais à plus de craintes face au nouvel album mais il semble que les fans sont restés fidèles au poste et que nous avons même été capables d’élargir notre public avec l’évolution de notre son et après tant d’années et autant de travail, ça fait chaud au coeur de voir autant de soutien venant de la scène et des fans.  

Depuis ma découverte d’After Forever il y a plus de 15 ans, le genre "groupe avec chanteuse et chanteur death" a plus qu’explosé. Pourtant, ce qui m’a agréablement plu chez Karkaos c'est cette capacité que vous avez de vous démarquer. Quelles sont tes influences et comment parviens-tu tout de même à t’en séparer, pour rendre ta musique unique ?
Je n’ai aucun problème à créditer haut et fort les influences majeures que je traîne avec moi depuis des années mais la réalité est que mes goûts musicaux se diversifient toujours de plus en plus avec les années et parfois je teste des mélanges qui pourraient être surprenants et comme notre producteur le dit souvent, normalement ça ne marcherait pas mais on le fait fonctionner. De bien comprendre l’essence d’une composition et de ce qui fait une bonne chanson fait qu’on peut aller voguer dans des territoires qui ne sont pas très habituels dans le metal. Par exemple, pour cet album, le côté instrumental a été très fortement influencé par la musique de films comme celle de Hans Zimmer et John Williams tandis que la voix a été très influencée par la pop comme Lady Gaga, Sia, The Cranberries et plusieurs autres. Le mélange semble plutôt improbable mais lorsqu’on met notre touche metal et qu’on joue avec les dynamiques de chaque morceau dans le but que le tout raconte une histoire, on arrive à un résultat plutôt intéressant.

La production est immense. Clairement cela représente des heures et des heures de travail. Comment s’est déroulé l’enregistrement de ce dernier album ?
Nous avons pris tout le temps nécessaire pour arriver avec un produit solide et bien construit. Christian Donaldson nous a laissé étaler notre enregistrement sur plusieurs mois pour être certain que rien ne soit poussé et que l’ensemble soit homogène et le résultat final en fait un album vraiment complet selon moi.  Travailler avec lui et son partenaire Marc-O, nous a réellement mis en confiance et nous nous sommes sentis comme à la maison pendant tout le processus d’enregistrement. Les chansons étaient bien montées lors de notre arrivée mais c’est leur touche et leur grain de sel qui ont fait que cet album est aussi solide. Nous avons pris presque deux ans à préparer "Children Of The Void" mais la chimie que le groupe a pu bâtir pendant le processus fait que c’est devenu un album très personnel et nous en sommes particulièrement fiers.



Dans le même ordre d’idée, j’aimerais pousser la réflexion du processus en studio un peu plus loin. Clairement l’industrie change et la possibilité de produire soi-même un album est de plus en plus aisée. Que penses-tu de l’industrie en soi, des maisons de disque etc... ?
C’est absolument vrai ! L’industrie a extrêmement changé et ça serait idiot de continuer d’agir comme si tout allait soudainement redevenir comme elle l’était il y a plusieurs années où les artistes pouvaient réellement faire de l’argent de leur musique. La réalité des choses est que l’argent ne provient plus de la musique elle-même mais bien du marketing autour de celle-ci. C’est extrêmement dommage mais de rester assis à pleurer et à regarder le passé ne servirait à rien.  Nous gérons notre groupe comme une petite entreprise et nous nous partageons toutes les tâches comme plusieurs employés le feraient pour un restaurant, une boutique ou toute sorte de compagnie offrant un produit dans lequel ils croient. L’aspect musical restera à jamais notre priorité mais en tant qu’artistes indépendants nous nous devons de nous adapter aux temps modernes pour pouvoir nous amuser et faire fleurir notre beau projet. Nous ne visons pas à signer avec une maison de disques à tout prix car nous savons que ce n’est pas la solution à tout comme ça l’a déjà été mais c’est certain que si l’opportunité se présenterait nous serions intéressés de voir avec qui nous pourrions nous associer pour faire avancer notre groupe.

Je déteste faire des comparaisons, je n'ai aucunement le désir de dénigrer votre recherche d’originalité, mais souvent j’ai eu l’agréable feeling d’entendre Eternal Tears Of Sorrow dans les ambiances que vous avez créées. Comment réagis-tu face aux groupes auxquels Karkaos peut être comparé ?
Le plus drôle est que nous sommes toujours comparés à des groupes qui ne nous ont jamais réellement influencés. Par exemple, venant de Montréal et ayant une chanteuse, nous sommes très souvent comparés à The Agonist et bien que ce sont de très bons amis à nous et que je respecte énormément ce qu’ils font, j’ai pris connaissance de leur musique il n’y a seulement que quelques années de cela quand nous avons joué avec eux à Montréal. C’est absolument fascinant de voir les liens que les gens peuvent faire et personnellement je trouve le tout très flatteur. J’aime particulièrement quand les gens nous comparent à des groupes n’ayant pas nécessairement de chanteuse car autant c’est un aspect important de notre musique, autant nous ne centrons pas tout notre marketing autour de ce fait. De nous comparer à Epica et Arch Enemy c’est bien mais quand on mentionne des groupes comme Eternal Tears Of Sorrow, Insomnium ou Septicflesh, ça démontre une écoute active que j’apprécie énormément.

Votre musique est diverse et dense. Elle contient beaucoup d’éléments, de styles et d'approches différents. Vous considérez évoluer dans quel style ?
Le melodeath ne restera jamais bien loin mais je crois que plus le temps avancera et plus nous essaierons de nous diversifier et de pousser l’enveloppe du metal. Nous avons déjà commencé à incorporer des aspects plus planants et plus ouverts à notre musique en incorporant pour la première fois de la guitare clean et des harmonies de voix et d’avoir ouvert cette porte c’est réellement comme une énorme boîte de Pandore pour nous. La réalité est que nous ne sommes pas des artistes uni-dimensionnels métalleux et donc même si nous avons des guitares électriques et les cheveux longs, incorporer des éléments plus prog et une composition plus complète semble la bonne direction pour nous. J'aimerais simplifier notre approche et vraiment concentrer nos chansons sur la composition plus que tout. Le prochain album sera certainement très diversifié et à voir ce que des groupes comme Gojira et Behemoth font en ce moment en restant fidèles à leurs sources mais en assumant aussi leur évolution et leur maturité est très inspirant. La réalité est que le metal n’est plus taboo, diversifier le metal et briser les barrières du genre semble le nouveau chapitre dans lequel nous aimerions contribuer.

Comment se déroule le processus d’écriture au sein de Karkaos ? Est-ce que les membres du groupe ont tous quelque chose à apporter ou bien est-ce que la composition des pièces repose sur une seule personne ?
"Children Of The Void" a commencé comme un effort assez individuel de ma part et de celle de Eddy mais plus le temps a passé et plus les autres se sont joints au travail. Viky et Justine ont pris une place énorme dans la composition et elles ont complètement changé le processus de composition pour le mieux. Vers la fin de la composition, le tout était réellement devenu un effort collectif et j’ai très hâte de me lancer sur le prochain album pour voir à quel point nos esprits créatifs peuvent se compléter si nous nous mettons à 100% dans le projet du début à la fin. Samael a un potentiel énorme que nous voulons absolument aller visiter et si vous écoutez son matériel solo vous comprendrez à quel point ça pourrait être intéressant comme direction.



Beaucoup jugent les voix growlées de manière dégradante, ne considérant pas celles-ci comme une véritable manière de chanter. Ta manière de  growler  m’a grandement impressionné. Comment as-tu appris à chanter de la sorte ? Que réponds-tu aux détracteurs de ce style ?
Beaucoup de gens pensent encore que j’ai fait la majorité du growl sur l’album mais la réalité est que la très grande majorité a été performée par Viky. J’ai seulement quelques moments sur "Tyrants", "Kolossos", "Lightbearer" et "Let The Curtain Fall".  Pour répondre à ta question, j'étais en fait le chanteur original du groupe mais j’ai voulu me concentrer sur la guitare d'où l’arrivée de Véronica et le changement de nom du groupe en 2008. J’ai voulu m’impliquer sur "Empire" mais c’est réellement avec Viky que nous avons vu le potentiel de m’ajouter à l’enregistrement à quelques moments clés puisque j’allais faire du back vocal comme toujours une fois rendu en concert. Elle excelle vraiment dans les high pitch et les mid pitch growls tandis que j’ai une voix plus grave. Nous alternons sur l’album mais j'aimerais réellement faire un mix sur le prochain album et voir où ça pourrait nous porter.

D’ailleurs, que penses-tu de la scène metal en général ? Au Québec ?
Nous avons une scène plus qu'excellente qui mérite d’être connue mondialement et s'il n'y avait pas le fait que les grandes villes canadiennes sont autant distantes avec une population si petite, je crois que la scène serait en incroyable santé. Des groupes tels que Teramobil, Pronostic, Hands Of Despair ne devraient jamais jouer devant moins de 300 personnes mais la réalité est que c’est plutôt difficile d’attirer autant de gens à chaque fois. J’aimerais vraiment tenter ma chance avec le groupe en Europe et en Asie où certains groupes canadiens font un malheur mais ce n’est pas encore dans les plans pour le moment.

J’imagine que Karkaos n’est pas votre boulot à temps plein. Comment conjuguez-vous travail et musique ?
Le travail à temps plein paye pour la musique et c’est un hobby coûteux mais tellement satisfaisant. Le retour monétaire de l’album reste dans les coffres du groupe et nous continuons à pousser pour plus de vidéos, plus de matériel pour nos fans mais c’est énormément de travail. Nous nous entraidons autant que possible pour faciliter nos vies quotidiennes et quand nous avons le plaisir de partager la scène ensemble, ça rend l’expérience encore plus jouissive et satisfaisante. J’aimerais réellement faire de la musique mon gagne-pain et c’est un concept de plus en plus possible mais en attendant, nous restons un groupe d’amis avec nos petites vies tranquilles qui aimons prendre quelques bières et jouer de la musique ensemble chaque semaine.

Merci de ta collaboration et je vous souhaite le meilleur pour l’avenir, qui, je n’en doute pas, sera plus que prometteur.


Le site officiel : www.facebook.com/karkaos