Interview faite par Aurélie P. Lawless à Paris.

Tommy Karevik est en quelque sorte le petit nouveau de Kamelot. Bien que le groupe existe depuis maintenant belle lurette, le monsieur a su s'intégrer et apporter de sa personnalité pour "frontmaner" (j'inaugure ce néologisme avec vous) celui-ci. Son message concernant "Haven" est somme toute très noble et profondément humaniste, quoique naïf par certains égards. Néanmoins, Tommy est quelqu'un de touchant, avec une grande ouverture musicale. Il n'hésite pas à se livrer et à se confier et ses propos transpirent la sincérité. Bref, un gars simple, bosseur et avec des valeurs (et bien loin d'être laid !).

On entend le nom de Jacob Hansen (mastering) un peu partout depuis quelques temps. Comment était-ce de travailler avec lui ?

Tommy Karevik (chant) : C'était génial. C'est vraiment un gars super cool. Il y a vraiment un truc super important que tu te dois d'avoir avec celui qui va s'occuper du mastering et du mixage : le dialogue. Comme ça tu peux progresser sereinement et les choses ne sont pas obligatoirement fixées. Il y a ainsi eu un réel dialogue. On s'est envoyé et renvoyé ce sur quoi on travaillait et au final tout s'est très bien agencé, pour lui comme pour nous je pense. Nous étions tous très heureux du résultat en tout cas.

Il vous a assistés tout le long de l'album où à un moment précis ? J'imagine qu'il n'a pas pu s'occuper de tout de A à Z ?
Non en effet, il est arrivé quand tout avait déjà été mixé, de sorte qu'il ne s'occupe que du mastering. Le mixage a été fait par quelqu'un d'autre donc. Ce dernier et Jacob ont été en rapport très étroit pour bien travailler sur ce que l'on proposait, afin de voir quelles modifications apporter, ou pas... Parce que, le truc quand tu fais le mixage, c'est que tu dois voir plus loin et penser à ce que le mastering va donner ou peut donner plutôt. Et même quand Jacob eut terminé son travail, nous ne nous sommes pas privés pour tous donner notre avis "ça sonne peut-être un peu trop dur, ou comme-ci comme-ça". On voulait vraiment un meilleur son sur cet album, avec un accent un poil plus moderne cette fois. Mais si tu y vas à fond les ballons, ça casse aussi la dynamique tu vois, donc il fallait que tout soit fait de manière assez subtile finalement. Faire quelque chose de trop axé "moderne" ne ressemblerait pas à KAMELOT en plus. Je pense sincèrement qu'on a réussi à faire ça : rafraîchir notre son, mais conserver "l'esprit Kamelot", celui qui est là depuis le départ.

Quelles furent les conditions propices à la réalisation de cet album ? Dans quelle dynamique a-t-il été pensé ?
Ce n'est pas un concept album déjà, c'est plus un thème. On voulait dépeindre cette image que nous avions sur "comment le monde est-il en train de tourner" ou "comment va-t-il tourner dans quelques années ?". De nos jours, le monde est un vrai bordel en plus d'être super stressant... Par exemple, si on parle de la situation de Facebook, c'est un réseau social, tout le monde est en permanence connecté, plus personne ne se regarde en face. J'ai vu des familles avec cinq téléphones, regarder leurs écrans au lieu d'échanger ensemble. De plus, tout ce que tu vois sur Facebook est uniquement à quel point la vie de la personne en question est parfaite. Ca créé des situations de stress incroyables et sème un vent de folie vraiment malsain dans notre monde. Les gens pensent qu'ils sont autorisés à pouvoir tout faire. Ils sont sans cesse dans la compétition, sur fond de "si cette personne à ça, alors moi aussi". On devient de plus en plus égoïstes, on se fiche des autres, et le pire, c'est qu'on finit par s'y accoutumer. Bref, c'est de tout ça que nous souhaitions parler avec "Haven". Mais il y a aussi un autre message, celui qu'on peut changer, qu'on a toujours le choix. Il y a de la lumière cependant, car il reste des bonnes choses dans ce monde. Et je pense que c'est important d'avoir encore cet espoir.

Quelles seraient tes solutions pour parvenir à provoquer ce changement dans ce cas ?
Par exemple, bon ça peut sonner un peu révolutionnaire mais, si tu te bats un minimum, tu peux gagner. Tu dois te donner les moyens de l'emporter. Notre solution à nous en tant que groupe c'est de transmettre ce message, à travers cet album et les chansons qu'il comporte. "Haven" c'est un peu un moyen de regrouper plusieurs histoires, venant de plusieurs personnes. Ce n'est pas une seule et même histoire comme on avait l'habitude de faire. En ce sens, ça a été plus difficile pour nous de trouver des angles différents, mais on l'a pris comme un challenge. Pour moi, si tu veux changer, c'est une question de volonté uniquement car tu as les cartes en main. Je ne sais pas si tu as écouté l'album, mais la chanson "Under Grey Skies" fait partie de celles qui sont plus positives et peuvent apporter une forme de solution. Si tu ne crois pas en toi-même, moi je crois en toi, même si ça paraît naïf de dire ça. Il y a toujours quelque chose de bon en nous, en chacun de nous. C'est juste que ce monde et cette société ne nous laissent pas toujours le choix d'exprimer ce côté de notre personnalité.



La dernière chanson de l'album est une chanson instrumentale, en plus d'être éponyme. C'est une construction assez surprenante. Etait-ce l'effet recherché ?
Je pense surtout que c'était vraiment un effet de conclusion plus qu'autre chose. Un peu comme un générique à la fin du film. Le titre, "Haven", c'est à propos d'un endroit dans lequel on se sent en sécurité. Auquel on peut rêver pour s'émanciper, visuellement ou mentalement. Donc, pour nous, le but était de faire de cet album un refuge ("haven" signifie "l'abri, le refuge" en français, ndlr) pour quelqu'un. Que cette personne ait la possibilité en ayant et en écoutant l'album, de se sentir mieux.

C'est une bonne idée car le côté instrumental laisse une plus grande place à l'imagination de l'auditeur selon moi. Je pense que l'album est vraiment bien construit. Chaque chanson a l'air d'avoir été choisie dans un ordre et une logique assez précis.
Tout-à-fait. On tenait vraiment à créer une ambiance particulière et pour cela, on a vraiment pris le temps de réfléchir à la place des chansons. De sorte à ce qu'elles puissent toutes avoir un véritable rôle. Je suis content et honoré que tu dises ça car on y a vraiment mis tout notre cœur.

A ton bon sens, quel pays représente le mieux le "metal" ?
Ugh, ça c'est difficile comme question. Va falloir que j'y réfléchisse un peu je crois (rires) ! Je pense à tellement de pays à la fois... Mais, en toute objectivité, la Suède fait partie de ces pays (pour rappel, Tommy est suédois, ndlr). Enfin, en toute objectivité de la part d'un suédois... (rires) ! Ici c'est une sorte de tradition la musique, il y a la "sphère Göteborg" et la "sphère Stockholm". Il y a énormément de styles musicaux en Suède... Je me suis demandé tout à l'heure d'ailleurs comment c'était possible. Je crois que la réponse réside dans le fait que quand nous allons à l'école, nous avons l'opportunité d'apprendre et de jouer d'un instrument de notre choix. Du coup, on apprend très jeune et nous avons le temps de nous perfectionner au fur et à mesure.

Nous aussi en France nous avons de la musique en enseignement à l'école, seulement, le problème.... C'est qu'on nous impose un unique instrument : la flûte à bec. L'instrument metal du 21e siècle.
Quelle horreur ! (rires) Ceci dit je n'ai pas non plus commencé avec un instrument super metal... Je faisais du trombone ! (rires) Au début je pensais que c'était un instrument super cool. Je me suis vite rendu compte que ce n'était pas le cas... (rires)

Désolée, ça a l'air de te rappeler de mauvais souvenirs... (rires)
Non, non ! (rires) Mais je me rappelle quand je devais jouer de ce putain de trombone devant mes parents et mes grands-parents avec ce bruit atroce... C'était vraiment naze ! (rires) Pour ma défense, c'était bien avant que je me mette à apprendre quelque chose d'autre sérieusement et pour de vrai ! J'avais 15 ans quand j'ai commencé à réellement m'intéresser à la musique : jouer de la guitare, chanter de temps en temps... Mais je ne me suis jamais vraiment considéré comme quelqu'un de "metal". Je n'ai jamais écouté de metal au sens propre du terme, ce n'est que depuis récemment.

Ah oui ? Mais tu écoutais quoi alors ?
De la pop comme Michael Jackson ou un peu de rock avec Queen. Des trucs soft ! Puis un jour je suis tombé sur un groupe qui s'appelle Dream Theater, que tu dois connaître j'imagine. Donc j'ai écouté une chanson du groupe, je me suis dit "oh ça sonne bien" ! J'en ai lancé une autre et ainsi de suite. Mais on ne peut pas dire qu'avant ça j'étais à fond dans le metal.

Je pense que Dream Theater est typiquement le genre de groupe que les musiciens apprécient. Parce que c'est très technique, chaque membre est monstrueux dans la maîtrise de son instrument et ça donne un résultat très "intellectualisé" de la musique. Ce n'est pas un groupe "grand public" d'une certaine façon.
Je suis totalement d'accord. J'ai eu un sacré coup de cœur pour eux il y a quelques années. Maintenant mes goûts ont évolué et je ne les écoute plus tellement car je pense que la musique c'est plus que ce qu'ils proposent. Je veux dire, c'est plus que juste des compétences techniques. Ca manque un peu d'âme mais bon si je réécoutais un peu, j'aimerai toujours ce qu'ils font de toute façon.

Tes goûts ont évolué tu dis ? Vers quoi ?
Je suis plus dans le délire "country" maintenant.



En effet, rien à voir ! (rires) A quand des reprises de chansons country avec Kamelot du coup ?
(rires) Je ne pense pas que ce serait vraiment l'ambiance... (rires) ! Non mais pour expliquer quand même un peu, j'écoute juste des trucs qui me font me sentir bien quoi. Par exemple, les musiciens qui font de la country sont vraiment très très bons tu sais, tout comme les chanteurs. Après tu aimes ou pas le style, mais tu ne peux pas dire que ce soit mal fait. C'est peut-être un peu kitsch mais c'est beau. Ils trouvent toujours de belles harmonies et tout est très bien produit. Donc c'est facile à apprécier quand tu en écoutes, c'est un énorme contraste avec le metal en revanche.

Je me suis rendu compte qu'avec Kamelot vous étiez plutôt efficaces pour faire des nouveaux albums. Je veux dire par là, il n'y a que quelques années, deux ou trois, qui séparent chaque album. C'est assez impressionnant quand on sait que parfois les groupes prennent 5 ans de pause. Comment arrivez-vous à maintenir cette cadence ?
On travaille très dur pour ça, vraiment. Ca prend énormément d'énergie. Et en même temps ça t'en donne aussi. Quand je sais que j'ai un album à préparer, j'ai une tonne d'idées de chansons. On procède juste dans l'ordre avec une seule chose à la fois et une fois que tu as le résultat d'un travail dur mais bien accompli et mené à terme... Je ne sais pas, tu te sens bien. Et ce sentiment de satisfaction peut devenir une source d'inspiration aussi. Bosser comme un damné pour moi ça a du bon. Si je ne fais rien, je ne pourrais jamais être inspiré. Je sais que quand je vais écrire une chanson, ça va me prendre un temps fou et que je vais travailler dessus jusqu'à pas d'heure. Forcément au début c'est un peu effrayant de lancer la machine puisque tu sais d'avance que tu vas passer de sales moments parfois. Mais quand tu passes deux semaines sur une seule chanson, sans manger, sans rien, mais qu'au final tu as ce que tu souhaitais... Tu te dis "waow ça en valait la peine. Je vais recommencer !". Je suis relativement très mauvais quand il s'agit d'arriver à manger et à dormir dans ces conditions. Je ne peux pas passer à autre chose avant d'avoir terminé et obtenu le résultat escompté, c'est physiquement impossible pour moi. Tu vois ce que je veux dire ?

Parfaitement. Je réagis exactement de la même façon que toi.
Tu fais de la musique ?

Non, mais quand j'ai à traduire des interviews, trouver un titre, reformuler les questions, écrire une introduction, écrire une chronique... C'est la même chose. Je n'abandonne pas en plein milieu même si ça me monopolise des heures parfois. Mais il n'y a rien de mieux que le sentiment du travail bien fait à la fin !
C'est totalement ça. Cool de trouver quelqu'un dans le même état d'esprit ! Ca arrive peu souvent !


Le site officiel : www.kamelot.com