Interview faite par mail par Murderworks

Salut les gens ! Tout d'abord une question qui doit revenir souvent : d'où est venue cette obsession autour du soleil ? Qu ce soit dans le nom du groupe, des morceaux, des albums on le retrouve partout. Je me doute bien que cela a un rapport avec la voire même les symboliques associés à cet astre mais qu'est-ce qui a déclenché cette envie de centrer le propos autour de lui ?
Nicolas Muller (guitare / basse / programmation) : Salut Jessy & French Metal ! En effet, quand j’ai commencé HELIOSS il y a bientôt 10 ans, j’avais envie de mettre en avant le soleil et la symbolique de la lumière sous un peu toutes ses formes – symbolique, spirituelle, physique… Le nom du groupe, évidemment, reflète cette envie. Le fait est que je suis un passionné de sciences et plus particulièrement d’astrophysique, et que la physique des étoiles (et donc de notre soleil) me fascine, cette lutte perpétuelle entre la gravité qui tend à écraser la matière et la pression qui engendre diverses réactions qui tend à la dilater, jusqu’à l’inévitable apocalypse final. Au-delà de ça, la symbolique de la lumière est en effet un thème récurent. J’ai toujours été plus à l’aise dans la journée, sous le soleil, que dans la nuit. J’aime que le soleil et sa lumière révèle les choses et les mettent en valeur, qu’elles soient belles ou honteuses, glorieuses ou infâmes. On touche aussi à la symbolique de la vérité contre celle de la duplicité, même si la nuit – l’absence de lumière – permet aussi une certaine élégance, un mystère qui peut être beau, mais dans laquelle je me sens moins à l’aise. Après, il ne s’agit pas d’obsession, tous les morceaux ne tournent pas autour de ce thème spécifique, c’est un genre de fil conducteur à la fois thématique et visuel qui donne une partie de son identité à HELIOSS.

La pochette de "Devenir Le Soleil" est très claire par opposition à la précédente, y aurait-il une continuité visuelle, une sorte de fil rouge qui se retrouverait aussi dans les pochettes et qui symboliserait l'évolution du concept ?
Voilà, c’est ce que je disais à l’instant. C’est un fil conducteur, un sujet récurent, même si on ne peut pas vraiment parler d’évolution planifiée ou théorisée. Toutes les couvertures des albums d’Helioss mettent d’une manière ou d’une autre un aspect du soleil : une personnification avec "Confessions", sa vulnérabilité face aux ténèbres infinis et grandissants de l’univers avec "The Forthcoming Darkness", son immensité et son potentiel destructeur face à notre fragile planète vivante sur "One With The Sun", et ce moment d’absence écliptique sur "Antumbra". Du coup, après ce moment de ténèbre qui mystifiait et terrifiait les anciens peuples, j’ai voulu en prendre le contre-pied avec une couverture lumineuse, avec des couleurs qui rappellent certaines peintures des ciels de la renaissance et qui est bien plus éclatante et lumineuse que les précédents artwork. J’essaie à chaque fois d’apporter un angle de vision différent tout en continuant à approfondir les thématiques gravitant autour de la lumière, qu’elle soit externe, symbolique, mystique, physique ou interne et spirituelle. Cela m’amusait aussi, en outre, de trancher par rapport aux canons visuels du genre qui mettent plus l’accent sur les ténèbres, la mort, l’occultisme ou la violence. Des pochettes de black / death symphonique avec des dominantes blanches, bleues clair ou roses ne courent pas vraiment les bacs à CDs !

J'ai l'impression que l'on trouve plus de textes en français cette fois, c'est le concept qui a imposé ça ? D'ailleurs comment vous choisissez la langue dans laquelle vont être chantées certaines parties, au feeling, à la musicalité des mots ?
En effet, j’inclus de plus en plus de français dans les textes, car je me sens de plus en plus à l’aise à écrire dans ma langue maternelle – qui n’est pas forcément la plus simple à utiliser. La tentation de se "cacher" derrière l’anglais qui supporte mieux la médiocrité reste tentante – j’y suis moi-même sûrement moins à l’aise – sans compter qu’historiquement l’anglais reste la langue ultra dominante dans le metal. Je ne peux pas dire que ça soit le concept qui ait imposé ça, mais plus le fait que je trouvais que les termes "Devenir Le Soleil" sonnaient infiniment mieux que n’importe quelle traduction anglaise, Ensuite, pour ce qui est du morceau "Devenir Le Soleil" en lui-même, j’ai demandé à un ami écrivain d’en faire les paroles, en le laissant libre sur la forme tout en favorisant le français – ce qu’il aurait de toute façon probablement fait de lui-même. Il y a même inclus, à ma demande, quelques phrases en allemand. Après, les deux langues peuvent cohabiter au sein d’un même morceau, comme sur "La Lèpre Des Hommes". Ça s’est fait assez naturellement, sans que je décide consciemment de le faire en commençant à écrire.

Même si la musique de Helioss a toujours été riche et ambitieuse, vous avez poussé le bouchon beaucoup plus loin cette fois avec un bon paquet d'invités pour la peine. Je suppose que c'est le concept qui a poussé à faire intervenir autant de monde ? Chacun a enregistré ses parties dans son coin ou vous avez pu en rejoindre au moins quelques uns en studio ?
Déjà sur "One With The Sun", il y avait quelques invités (dont certains sont de retour sur "Devenir Le Soleil"). Mais là, après "Antumbra" qui était un album plus brutal, plus direct (et sans aucun guests), je me suis dit que je voulais voir jusqu’où je pouvais pousser le bouchon dans l’autre sens tout en gardant l’esprit d’Helioss. C’est à peu près à ce moment qu’à germé l’idée d’un long morceau conceptuel, et je voulais donc des guest sur les différentes parties au chant. De fil en aiguille, tout s’est un peu complexifié, j’avais de nouvelles idées, je rencontrais d’autres musiciens, et on est arrivé à ce résultat où en effet un grand nombre de guests sont venus participer ponctuellement à l’album. Ça a été donc assez complexe d’assembler tout ça, vu que je ne pouvais pas inviter tout ce beau monde dans un studio pour d’évidentes questions de logistique et de finances. J’ai donc demandé à chacun qu’il soit en mesure, s’il veut participer au projet, de pouvoir s’enregistrer de son côté avec un matos a minima acceptable. Mais comme ce sont tous des musiciens impliqués dans la scène musicale, ils disposaient toutes et tous de ce qu’il fallait chez eux, ou avaient la possibilité de passer dans un studio local où ils connaissaient du monde. Au final, tout a fini par s’assembler grâce au talentueux Frédric Gervais au Henosis Studio, et le résultat est fantastique.



Ceux-ci interviennent sur le morceau éponyme de 24 minutes divisé en cinq parties, vous l'avez composé d'abord et pensé ensuite aux personnes que vous aimeriez entendre jouer dessus ou vous aviez tout le monde en tête dès le départ façon Ayreon ?
Grosso modo, le morceau était à peu près écrit quand j’ai commencé à rechercher les invités. Je ne peux pas dire que j’ai donc proposé à telle ou telle personne parce que j’avais écrit une partie spécifiquement pour son timbre, mais je savais quel type de voix je voulais sur tel passage. Je n’ai donc rien vraiment planifié, cela s’est fait au fil des rencontres, des propositions, des réponses (j’ai demandé à certaines personnes qui soit ne pouvaient pas pour des questions d’emploi du temps, ou même que le projet et les maquettes que j’avais envoyés ne séduisaient pas) mais majoritairement les gens étaient partants pour tenter le coup.

Vu le nombre d'instruments, d'invités, de couches de sons ça doit être un sacré boulot de mixer tout ça ! Frédérique Gervais qui s'en est occupé une fois de plus ne vous a pas maudits cette fois ?
Ah ah, c’est pas faux ! Sur le titre "Devenir Le Soleil", il y a un nombre faramineux de pistes – je ne saurais pas dire combien, mais c’était pas rien… mais bon, Frédéric Gervais est un professionnel, et il est habitué à gérer des projets assez ambitieux et complexes. En tous cas il a fait un travail formidable, entre les nombres de pistes de guitares sur certains morceaux ("The End of the Empire", par exemple), les différents guests, les voix… il a réussi à nous concocter un mix clair, puissant, équilibré, qui était presque au-delà de nos espérances.

Le fait d'avoir recours cette fois à un véritable batteur était un choix délibéré ou un concours de circonstances ?
Un peu les deux. Depuis le départ, j’ai pensé HELIOSS comme un projet solo, accompagné d’un chanteur car je ne sais pas moi-même chanter ou growler. Au début c’était Pierre Jourdan-Gassain, puis D.M. Je voulais contrôler au maximum le devenir musical d’HELIOSS en en faisant le maximum moi-même (écriture, composition, et même depuis "Antumbra", les artworks et layouts). Si j’avais le matos et les connaissance, je ferais bien aussi le mix / mastering, mais bon… c’est pas demain la veille. La question d’un batteur avait donc déjà été soulevée par D.M, mais j’étais un peu frileux, car je ne voulais pas impliquer une troisième personne. C’est une chose d’avoir des guest ici ou là, c’en est une autre que de devoir composer avec un batteur qui joue sur tout l’album. Mais D.M m’a un jour parlé de Mikko Koskinen, avec qui il avait déjà un projet musical et qui semblait motivé pour prendre les baguettes sur notre album en préparation. J’ai donc réfléchi, parler avec Mikko, et j’ai décidé de tenter le coup. J’avais déjà écrit 100% des parties de batterie, il n’était donc pas question de tout reprendre de son point de vue, mais je l’ai évidemment laissé libre de modifier, réinterpréter ou même changer certaines parties. Tout cela a donc été des allers-retour : Mikko enregistrait une partie ou un morceau, et je rebondissais dessus pour lui dire que ça, c’est cool, ça c’est un peu hors sujet ou même que ici, je préfère que tu colles au max sur ce que j’ai écris. On ne peut donc pas parler de composition ou d’écriture de sa part, mais bien sûr il a totalement redynamiser la chose par sa frappe, sa manière d’aborder telle ou telle partie, tel break, etc... Au final, je suis hyper satisfait du résultat. Ça demande un gros travail, car jouer un album entier d’HELIOSS n’est pas toujours facile pour un batteur, qui devait aussi de son côté jongler avec son emploi du temps, ses impératifs… Allons-nous réitérer cela pour la suite ? A ce jour, je n’ai pas la réponse, nous verrons en temps voulu.

On sent à l'écoute votre musique que vos influences et vos goûts sont très variés mais j'avoue que la présence d'une reprise de Bolt Thrower sur "Antumbra" en 2017 m'avait plutôt surpris ! Non seulement le registre de base est loin du votre mais vous avez en plus réussi à l'adapter à votre sauce. Il y en a d'autres que vous aimeriez faire comme ça pour le fun ?
Sur notre premier album / EP "Confessions", j’avais déjà proposé une réinterprétation de "The Other Side Of Midnight", du groupe de hard / prog Crimson Glory, pour le coup totalement éloigné de HELIOSS. Je trouve l’exercice assez amusant. Faire une reprise en rejouant bêtement le morceau est assez inintéressant, tant pour l’auditeur que pour les musiciens, sinon pour s’échauffer en répétition. A l’inverse, totalement déstructurer un morceau pour le personnaliser peut être tant totalement douteux que génial. Avec la reprise de "...For Victory", j’avais envie de me situer dans le juste milieu : respecter la trame de la musique en y ajoutant la patte d’HELIOSS. Ai-je besoin de dire que, comme tout métalleux de bon goût, je suis un énorme fan de Bolt Thrower ? Pour la suite, rien de planifié : si nous devions faire à nouveau une reprise d’un morceau, je pense que D.M et moi en viendrions rapidement aux mains pour choisir lequel… (sourire)

Vous avez fait un gros travail sur le chant puisque malgré les growls on distingue tout de même les textes. Je suppose que vous avez mis un point d'honneur à ce que ce soit le cas ?
D.M est naturellement un chanteur qui articule bien même en faisant du growl des enfers. Et évidemment, sur HELIOSS, il n’est pas question d’avoir un chanteur de slam / death qui fait du grouik pendant une heure. Certains passages ont pu lui poser quelques problèmes de prononciation mais il s’en sort avec un naturel et une classe éclaboussante. Après, je ne dis pas que les paroles de HELIOSS sont si importantes qu’elles DOIVENT être audibles, mais il est en général bien plus sympa d’entendre un chanteur compréhensible, ce qui est loin d’être toujours le cas.



C'est probablement trop tôt puisque l'album est à peine sorti mais avez vous déjà une idée de la direction que prendra la suite ? Parce qu'après un album aussi ambitieux qui a tout poussé plus loin on se dit qu'il va être difficile de faire plus. Une envie de tenter une nouvelle approche pour la suite peut-être ?
Tu as bien résumé la chose. Après "Antumbra", j’ai immédiatement enchaîné sur la suite, comme si j’avais le sentiment de n’avoir pas tout dit. Après "Devenir Le Soleil", c’est un peu l’inverse, j’ai l’impression d’avoir atteint un genre de maximum et qu’il me fallait du temps pour laisser les choses se reposer et relancer la machine. A ce jour, rien n’a été entamé sinon quelques bribes ici ou là, mais avant de me lancer, il faut en effet que j’ai une idée sur la direction à prendre. Il ne s’agira pas de faire "Devenir Le Soleil Part II", HELIOSS doit continuer à évoluer, à tenter de nouvelles choses aller plus loin sur certains aspects, faire des choses qu’on a jamais osées, tenter d’innover. Même si HELIOSS n’a rien d’expérimental dans l’approche, il y a plein de choses que j’aimerais explorer, même si confusément je ne sais pas encore lesquelles. Cela dépendra aussi sans doute des hasard des rencontres et des opportunité : si je sympathise avec un joueur de biniou, qui sait ? Je l’inviterai en guest sur le prochain album ! En attendant, je ne suis pas resté inactif, j’ai lancé un projet synthwave / darkwave / néo-classique, Terminal Khaos Builders (terminalkhaosbuilders.bandcamp.com), j’ai écrit un peu pour le piano et j’ai une nouvelle collaboration musicale en duo qui prend forme et dont je reparlerai en temps utile.

Malgré le fait que vous êtes un duo et qu'il y a sur ce nouvel album un nombre gargantuesque d'invités, avez-vous l'ambition un jour de porter ce projet sur scène ?
Non. Je m’y refuse de manière assez catégorique, simplement parce que je n’aime pas la scène. Sans même aborder la complexité qu’il y aurait à mettre HELIOSS sur les planches (recruter des musiciens, faire des répétitions, trouver des salles… tout cela demande une énergie folle), j’ai toujours été extrêmement réticent à monter sur scène. Un mélange de timidité et de paresse… mais aussi, plus fondamentalement, parce que mon plaisir, en tant qu’auditeur, c’est l’écoute au casque. Bien sûr, je suis content de voir un artiste ou un groupe que j’apprécie sur scène, mais au final, quel que soit le niveau de plaisir de l’expérience – et il n’est pas toujours au rendez-vous, loin s’en faut – il n’équivaudra jamais au plaisir solitaire et introverti de vivre la musique travaillée, aboutie et peaufinée telle que conçue en studio. Le live donne un plaisir éphémère, parfois véritable, parfois contestable, que j’ai du mal à partager avec une foule bruyante et suante dans une salle mal sonorisée dont on ressort souvent épuisé, frustré, après parfois des heures d’attente devant des groupes qu’on ne connaît pas et dont on se fout pour voir LE groupe qu’on voulait voir. Bref, tu l’auras compris, je ne suis pas vraiment l’archétype du métalleux qui passe trois jours dans un camping à boire de la bière et à transpirer dans la foule mais plutôt un solitaire qui vit sa musique dans son coin, presque religieusement, sans chercher à la partager à tout prix avec d’autres gens.

Merci d'avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions, je vous laisse le traditionnel mot de la fin.
Merci surtout à toi et à toute l’équipe de French Metal pour le boulot que vous faites depuis des années !


Le site officiel : www.facebook.com/heliossband