Interview faite au téléphone par Zemurion

Bonjour et merci d'avoir accepté cette interview, à l'occasion de la sortie du nouvel album de Hantaoma. Pour commencer, peux-tu nous présenter le groupe ?
Patrice Roques (chant / instruments) : HANTAOMA est né en 1997, entre deux albums de Stille Volk. J'avais envie de refaire un peu de metal - car je n'en faisais plus depuis un petit moment – tout en y mélangeant ce qu'on faisait avec Stille Volk. L'idée, c'était de faire un projet folk metal, en sachant qu'à cette époque ce n'était absolument pas à la mode. Tout ce qui était pagan / folk metal, c'était assez original. L'idée c'était de ne faire que des musiques traditionnelles, agrémentées d'arrangements metal. Le projet s'est mis en place et, en 2003 / 2004, on a commencé à avoir un certain nombre de morceaux. On a donc proposé un contrat avec Holy Records qui a sorti le disque en 2005. On a ensuite fait un petit arrêt d'une dizaine d'année (rires) et on s'est remis au travail pour sortir le nouvel album.

Pourquoi avoir créé cette entité distincte de Stille Volk ? Ce n'était pas envisageable que le groupe sorte des albums plus metal ?
Non. On a fait une petite expérience sur "Ex-Uvies" en 1998, mais je pense que c'est un album qu'on aurait dû sortir sous un autre nom. Il est vraiment trop différent du premier et des autres qui ont suivi. C'était vraiment un projet à part. L'idée était quand même de garder Stille Volk acoustique. C'est pour ça qu'on a créé un autre projet à côté.

Quel a été le problème avec "Ex-Uvies" ? Il ne convenait pas aux attentes des auditeurs ?
Je pense que le choc a été brutal. Même pour nous ! Attention, c'est un album que j'adore. Mais c'est un album qui a dérouté les auditeurs, qui nous a dérouté nous-mêmes, qui a dérouté le label... Qui a dérouté tout le monde en fait. Après la sortie du premier album de Stille Volk (qui s'appelait "Hantaoma" lui aussi, c'est pas simple), on s'est dit qu'on allait faire quelque chose de complètement différent. Et, en effet, le "complètement différent" s'est transformé en quelque chose de vraiment, vraiment, très, très différent. On n'était pas vraiment préparés pour sortir un album comme ça. Le public était pas préparé, plutôt. Nous on l'était. (rires)

Dans Hantaoma (le groupe), il y a le parti pris de ne chanter qu'en occitan. Est-ce que tu peux nous en parler ?
Ça, ça fait partie de l'idée de départ. C'était dans le cahier des charges du groupe. Il n'y avait pratiquement aucun groupe de metal qui chantait en occitan à l'époque, si ce n'est le groupe black metal de Patrick, Sus Scrofa, qui a commencé à chanter en occitan dès 1991. Pour moi, c'est une langue qui réveillait toutes les histoires de sorcellerie que j'avais entendu de ma grand-mère quand j'étais gamin. Ce n'est pas du tout une langue utilisée pour communiquer, c'est vraiment un accès vers l'imaginaire à travers ces vieilles histoires.

La scène folk / pagan a le vent en poupe depuis quelques années et on y croise un peu de tout. Des groupes qui font ça pour le côté festif et bucolique, d'autres qui sont dans une démarche très identitaire, voire politique, en prônant le retour aux "vraies racines" face à la mondialisation galopante et à l'uniformisation des cultures... Comment est-ce que vous vous situez par rapport à tout ça ?
On ne se situe pas forcement par rapport à tout ça... Déjà on rejette toute idée politique extrême. On a été clair dès le départ avec Stille Volk parce que, effectivement, tout ce qui était lié au paganisme, ça a été récupéré par des groupuscules d'extrême droite à l'époque. On avait reçu des courriers de petits connards qui voulaient nous contacter par rapport à ça, mais nous on rejette tout ça. J'ai l'impression que, pour beaucoup de groupes, il n'y a pas de réelle réflexion historique. Ils idéalisent un passé avec tous ces combats qu'on voit fleurir avec des anachronismes hallucinants. Ils utilisent un passé déformé, qui n'existe pas, pour créer quelque chose qui n'existe pas non plus dans le présent... Bien sûr, il y a des groupes qui ont une réflexion là-dessus ; je fais une généralité. Je pense, par exemple, à Enslaved qui ont une vraie réflexion même s'il ne font pas vraiment partie de la scène pagan. Après, il y a aussi beaucoup de suiveurs qui se réinventent un passé qui n'est pas forcement rattaché à une réalité historique. Nous, on rejette toute idée politique et on ne parle d'aucune bataille. On se concentre sur les mythes et les légendes pour rester dans l'imaginaire et la mythologie. Tout le reste, ça ne nous intéresse pas.



Parlons un peu du nouvel album, "Malamòrt". Quel a été le processus d'écriture de cet album ?
Ça a été très long. La plupart des morceaux ont été composés tout de suite après le premier album. En gros, entre 2005 et 2007, quatre-vingt pour cent de l'album était déjà composé, sans forcément avoir l'idée d'en faire un deuxième d'ailleurs. C'est à dire que, quand je joue d'un instrument, je ne joue pas pour chercher à progresser mais surtout pour m'amuser et composer. Donc, au fur et à mesure des compos, je me suis rendu compte qu'on avait peut-être de quoi faire un nouvel album. Ça, ça a été la première étape. Deuxième étape : il a fallu trouver un batteur, parce qu'on n'avait plus le batteur du premier. Donc ça, ça nous a pris au moins deux ou trois ans. Il fallait trouver un batteur qui puisse s'enregistrer tout seul parce qu'on n'avait pas de budget. Il n'était pas du tout envisageable pour nous d'utiliser une batterie programmée. De toute façon, on sait pas le faire, mais c'était clairement hors de question. Après, il a fallu trouver un certain nombre de musiciens parce qu'on avait dans l'idée de faire une collaboration avec des musiciens qu'on apprécie. La troisième étape ça a été l'enregistrement qui a pris énormément de temps. Il a fallu que chacun s'enregistre chez soi, que chacun attende les parties des autres... Et, avec le mixage et le mastering qui ont quasiment pris deux ans, ça a fait treize ans, en gros. Il faut dire qu'on n'était pas pressés non plus. On n'avait aucune attente par rapport à un timing plus ou moins précis.

Comment est-ce que vous vous êtes répartis le travail Patrick et toi ? Par exemple, qui a fait les voix sur l'album ?
Patrick a fait toutes les voix, contrairement au premier album où on était quatre à chanter. Sur cet album, il a fait toutes les voix claires et toutes les voix saturées, plus les instruments trad' (vielle à roue, flûtes...). Moi j'ai fait toutes les guitares mélodiques et acoustiques, ainsi que les instruments acoustiques à cordes (nyckelharpa, bouzouki, mandole, mandoloncelle...). Toutes les guitares rythmiques ont été faites par le guitariste de Boisson Divine, toutes les basses et cornemuses par Matthieu de Valuatir et de Manzer, et les batteries par Thomas qui joue aujourd'hui dans DunkelNacht.

"Malamòrt" me semble bien plus sombre que "Malombra", avec des racines black metal beaucoup plus assumées. A quoi cela est-il lié ?
Là aussi, c'est un parti pris. C'est un album beaucoup moins naïf que le premier. Il est plus structuré thématiquement avec des paroles beaucoup plus sombres. J'avais une vingtaine de morceaux dans lesquels il y avait de tout. On a choisi de garder les morceaux les plus sombres, même s'il y a trois ou quatre qui restent dans la mouvance du premier album.

Avez-vous des concerts prévus ?
Le Hellfest le Samedi 24 Juin et après, rien de prévu. Ça dépendra des propositions qu'on aura.

Hantaoma sur scène, ça ressemble à quoi ?
Sur scène, il n'y a aucun instrument folk. On a eu envie de baser les lives sur une structure uniquement metal, c'est à dire deux guitares, une basse, une batterie et un chant. Donc, c'est un savant mélange entre du black metal et du heavy metal. On joue les morceaux des deux albums sans les instruments trad'. Ça aurait été trop compliqué de gérer huit ou neuf personnes pour que ça rende bien, donc, pour l'instant, on est parti sur cette formule-là. On évoluera peut-être dans l'avenir mais ce n'est pas forcement prévu. C'est un concert de metal. C'est du Primordial, c'est du Kampfar... C'est pas du Eluveitie, du Korpiklaani, ou autres. Sans critiquer ces groupes, bien sûr ! (rires)

Quels sont tes projets pour les années à venir ?
Là on est en train de terminer l'enregistrement du prochain album de Stille Volk qui devrait partir au mixage au mois de Mai. On a un gros concert à côté de Toulouse le 28 Avril avec Faun, Les Compagnons Du Gras Jambon et La Horde, et un autre concert en Italie au mois de Mai. Moi j'ai toujours mon projet black / death occulte qui s'appelle Aurost sur lequel je suis en train de travailler de nouveaux morceaux et, peut-être, le réenregistrement d'une démo de mon premier groupe qui date de 1986 ! On a la frustration de ne pas l'avoir sorti à l'époque parce qu'on avait quinze ans et qu'on n'avait pas les connaissances nécessaires pour l'enregistrer nous même.



Ce serait avec les membres de l'époque ?
Il y aurait le batteur avec qui j'ai monté le groupe, le bassiste qui est à la Réunion (rires) et qui se contenterait d'enregistrer les basses, je ferai toutes les guitares, et le chanteur... A priori on a pas de nouvelles depuis vingt ans donc là... Il faut qu'on voit comment on fera au niveau du chant. Il y aura les trois quarts du groupe.

Donc là, tu jongles actuellement sur quatre projets si j'ai bien compté.
Exactement ! (rires) De toute façon, si j'ai pas la musique, j'arrête de vivre. Donc il faut nécessairement qu'il y ait beaucoup de musique qui m'entoure, toute la journée. Quand je dis "j'arrête de vivre", c'est une métaphore, hein ! (rires)

Justement, est-ce que tu vis de ta musique ou pas du tout ?
Pas du tout ! De toute façon, avec trois concerts qu'on fait tous les dix ans, ce serait compliqué ! (rires) Et puis, pour nous, il faut que la musique reste un plaisir. S'il doit y avoir des impératifs financiers à côté... Non, il faut que ça reste un plaisir.

J'ai lu, justement, que vous avez la réputation de faire très peu de concerts. Est-ce que c'est une volonté ou est-ce que c'est quelque chose qui te frustre ?
En fait, c'est en fonction des propositions. C'est à dire qu'on nous propose pas grand-chose, finalement. Nous, ça nous permet de miser sur la qualité. En plus, on n'a pas forcement envie de partir à droite, à gauche tous les samedis ; on a tous des gamins dans le groupe. Et puis, ça ne m'intéresse pas que les concerts deviennent routiniers. On a peu de propositions mais la plupart des propositions qu'on a sont quand même de très bonnes opportunités. On se concentre sur ces opportunités-là. On refuse peu, mais on nous propose pas non plus énormément. Après, on a des conditions financières qui font que, effectivement, on ne va pas jouer pour 200€ ou 300€. Même si on ne demande pas des milles et des cents, c'est vrai que parfois, on reçoit des propositions... Ce sont les propositions que j'avais quand j'avais dix-huit ans et que je faisais du thrash avec un groupe qui s'appelait Braindeath : dormir chez les habitants sur des matelas pour toucher 50€... Aujourd'hui, on préfère privilégier les bonnes dates.

Les propositions de concerts que tu me décris, c'est souvent le quotidien de 90% des groupes de metal français !
Oui, mais on a passé l'âge ! (rires) Après, aucun soucis avec ceux qui le font ! A dix-huit ans, ça me posait aucun problème mais aujourd'hui, c'est plus vraiment ce que j'ai envie de faire.

Je te laisse le mot de la fin si tu as quelque chose à rajouter pour nos lecteurs.
Un grand merci pour l'interview ! J'espère que le disque ne décevra pas les gens et qu'ils sauront l'apprécier à sa juste valeur même si je pense qu'il faudra plus d'une écoute pour pouvoir saisir toutes les nuances qu'on va pouvoir y trouver. Peut-être qu'on se verra sur des concerts ou autre !


Le site officiel : www.facebook.com/hantaomaofficiel