Interview faite par mail par Mister Thi

Bonjour les gars, la dernière entrevue entre vous et French Metal date de 2010, il s’en est passé des choses depuis… Peux- tu présenter Gorod à ceux qui ne connaîtraient pas ?
Mathieu (guitare) : En effet ça fait un moment ! Et bien on est un groupe de death metal originaire de Bordeaux, on existe depuis une quinzaine d'années. Notre premier album "Neurotripsicks" est sorti en 2004, et là on en est au cinquième, avec dans l'intervalle un EP autoproduit sorti en 2011. On qualifie souvent notre musique de "technique", et on nous compare volontiers à Necrophagist. Mais de mon point de vue on est dans une approche un peu plus progressive et ouverte, je veux dire que nos influences vont plus loin que le metal, et que la technique n'est pour nous qu'un outil parmi d'autres qui nous permet de coller à nos envies et de repousser sans cesse nos limites. Notre but est de toujours rester original et surprenant dans notre musique, en se répétant le moins possible, en cherchant de nouvelles recettes ailleurs en quelque sorte !

Le line-up a changé depuis Gorgasm, comment vous êtes-vous rencontrés ? Jouiez-vous dans d’autres formations auparavant ?
Mathieu : Ben, le bassiste, et moi même sommes les derniers restant du line-up des débuts. On s'est connu très tôt au collège / lycée. Les fans de metal étaient rares, les musiciens qui voulaient et pouvaient en jouer encore plus donc on a vite sympathisé. Le groupe a vraiment démarré avec l'arrivée de Sandrine à la batterie en '97, et la création de notre asso de locaux de répétition qui nous a permis de travailler régulièrement et efficacement. C'est d'ailleurs grace à l'activité de cette asso, qui proposait aussi un studio d'enregistrement, qu'on a rencontré tous les membres actuels de la formation : en 2003, on enregistrait le premier album de Zubrowska, où il y avait Julien au chant / guitare et Sam (notre batteur de 2009 à 2013) à la batterie. En 2006/2007, j'ai enregistré aussi le premier album de Juggernaut, l'excellent groupe de notre batteur actuel, Karol. Nicolas quant à lui jouait dans Arcania, groupe de thrash mélo d'Angers, qu'on avait accueilli pour leur premier EP puis les préprods de leur premier album. L'asso a fermé en 2009, peu aprés la réalisation du troisième album de GOROD, "Process Of A New Decline3, faute de moyens financiers et humains, comme souvent dans ce type de structure. Mais on en garde tous un excellent souvenir, comme je disais, parce qu'on y a croisé à peu prés tout le milieu musical local, ça a servi de base et de QG pour plein de groupes dont le nôtre, à qui ça a en plus servi de berceau et d'école.

D’ailleurs, pourquoi ce nom "Gorod" ?
Mathieu : On a préféré changer quand notre premier album est sorti aux US en 2005, il y avait déjà un "Gorgasm" en fait, groupe de brutal death basé à Chicago, qui était plus connu que nous, même en France d'ailleurs. On ne voulait pas sacrifier notre logo dont on était assez content, alors on a cherché des noms ou mots qui ressemblaient un peu. On a choisi "Gorod", qui sonnait bien à nos oreilles, qui n'existait pas dejà. Le hasard a voulu que ça veuille dire "ville" ou "cité" en russe, comme Novgorod, qu'on pourrait traduire par Villeneuve ici. Sa contraction de "gorod" en "grad" est utilisée aussi pour certaines villes comme Leningrad par exemple. Les textes du premier album parlaient d'une ville mystérieuse et fantastique donc en plus ça collait, même si c'était un peu tiré par les cheuveux !

" A Maze Of Recycled Creeds" vient de sortir chez Listenable, après quasi un mois quels sont les retours ?
Mathieu : Oh ils sont tous très bons ! On est vraiment contents. C'est assez difficile après cinq albums de rester au niveau, de surprendre encore sans trahir les fans ni lasser en proposant toujours les mêmes choses. De ce qu'on a pu en lire ou entendre, cet album semble un peu moins facile d'accès que le précédent, plus dense, plus arrangé. Je pense que ça vient du fait qu'on a pris un peu plus de temps pour le faire, plus de temps aussi pour le produire, le finir en somme. J'ai peut-être aussi pris plus de libertés dans l'écriture et dans le style, et Julien a fourni un gros travail sur le sens et le concept pour que cet album soit le plus cohérent possible, sur le fond comme sur la forme.



Et quel est le deal avec Listenable, car vous êtes également chez Unique Leader il me semble ?
Mathieu : Oui, on fonctionne avec deux labels depuis "Process...". Listenable s'occupe de l'Europe et quelques autres territoires, Willowtip puis Unique Leader quant à eux de l'Amérique du Nord. Le premier album est sorti d'abord sur un obscur label français, parfaitement oubliable, avant qu'il ne cède une licence à Willowtip pour les US . On a donc profité d'une vraie promo seulement aux US. En 2006, le deuxième album "Leading Vision" est sorti exclusivement chez Willwotip, donc encore une promo axée sur les US, même s'il était distribué en Europe. Pour le troisième, il nous fallait donc absolument être présents ici pour pouvoir décoller, trouver des dates (les US c'est bien beau mais on peut pas y aller tourner deux fois par an !). Listenable a donc pris la licence pour l'Europe et a fait le boulot pour qu'on soit reconnus ici. Willowtip ne souhaitant pas reconduire le deal pour "A perfect Absolution", on s'est tourné vers Unique Leader en 2012, mais en co-production avec Listenable cette fois. On voulait pouvoir profiter du meilleur de la promo en Europe et aux US, qui sont nos principaux territoires. Mais la cohabitation est difficile entre les deux labels, forcément, on n'est maintenant plus persuadés que ce soit la meilleure tactique, et cet album sera sûrement le dernier à sortir de cette manière.

Attention question difficile : si tu devais résumer ce nouvel album en 2 mots…
Julien (chant) : Dense et fluide.

Peux-tu nous en dire plus sur la pochette ainsi que les paroles ?
Julien : En ce qui concerne les textes, cet album raconte un court passage de la vie de Joséphin Péladan (1858-1918), auteur de romans et d’essais essentiellement phisolophiques et ésotériques. A la fin du XIXe siècle, il prend la direction du de l’Ordre de la Rose-Croix, une fraternité qui voit le jour à partir de 1614, lors de la parution anonyme de trois manifestes ayant pour but de réconcilier l’homme et la nature alors que le monde occidental traverse une période de grave crise socio-économique et politique. A partir de 1892, Péladan crée le Salon de la Rose-Croix dans le "temple" de l’impressionisme que constitue la galerie Durand-Ruel à Paris (il y aura six Salon au total). Il s’agit d’une exposition de peintures que Péladan théâtralise au point de donner l’illusion d’un lieu sacré car, il a pour ambition de convertir les visiteurs à une nouvelle religion de l’Art dont il se revendique le père.
En somme, Péladan se prend pour une sorte de "gourou" en utilisant le mysticisme et la fascination que peut générer l’Ordre de la Rose-Croix, qui sort une fois de plus de l’ombre pour être popularisé au travers d’une expostion d’art pictural. Le Salon de la Rose-Croix connaît un franc succès à l’époque et accompagne les avant-gardes à Paris, alors fortement attirées par l’ésotérisme, le mysticisme, le spritisme, les hallucinations sous l’emprise de narcotiques etc... Pour plus de précisions, je vous invite à présent à lire les textes ainsi que les explications qui les accompagnent dans le livret.
Enfin, la pochette est une interprétation personnelle d’Eric Liberge, le dessinateur qui a réalisé l’ensemble de l’artwork de cet album. Il s’agit de multiples processions qui se dirigent vers ces "molochs" qui symbolisent une forme d’asservissement et de domination sur une foule déshumanisée . Libre à chacun de l’interpréter selon sa propre perception, mais il y a dans ce dessin un lien avec la volonté de Péladan de convertir, de diriger et d’inculquer à ses disciples un enseignement aux "couleurs" de l’ésotérisme catholique.

D’ailleurs qui écrit les textes ?
Julien : C’est ma partie du travail. D’abord j’essaie de trouver un concept général qui pourrait coller avec la musique que compose Mathieu, ensuite je sélectionne et découpe les moments importants pour les attribuer à chaque morceau. Pour cet album il y aura eu un lourd travail de recherche et d’interprétation, sans parler des heures passées à trouver une place au chant dans cette musique quelque peu chargée.

Vous avez un parcours scénique assez impressionnant, entre les tournées aux USA, Canada, Europe en compagnie de The Faceless, Immolation, Morbid Angel (pour leurs dates françaises) entre autres. Comment expliquez-vous un tel succès (mérité) ? Et comment ça se passe pour obtenir ces plans ?
Mathieu : On doit tout ça à notre manager, Pascal Bironneau, qui s'occupe de nous depuis presque dix ans. Comme je disais plus haut, au début, comme on avait pas de promo ici, on galérait beaucoup pour trouver des dates, surtout qu'aucun d'entre nous n'avait le sens de la communication. C'est Pascal qui nous a déniché le deal avec Listenable, puis tous les plans de tournées qui ont suivi. Il avait déjà bossé comme tour manager pour Immolation, et d'autres groupes, et connaissait le milieu beaucoup mieux que n'importe qui. On a fait beaucoup de dates grâce à lui depuis en effet, des tournées dans toute l'Europe, aux US, et en Asie même ! Je pense que pour un groupe de metal c'est essentiel de tourner dans le monde entier, on ne peut pas se contenter d'un seul pays. Le metal est un phénomène mondial mais reste et restera toujours underground. Les fans sont nombreux mais disséminés un peu partout dans le monde. On doit pratiquement aller les chercher dans tous les pays si on veut étendre notre audience et continuer à exister. Cependant, même si on est très fiers du chemin qu'on a parcouru depuis nos débuts, et qu'on a toujours cette envie de continuer, on ne peut oublier que ces tournées sont encore motivées par la passion, et qu'elles ne nous ont jamais rapporté d'argent. Les sacrifices, la persévérance dont chacun à fait preuve ici sont à la base de la continuité du groupe et de son succès dans la durée.

Et du coup vous repartez bientôt sur les routes avec Black Daliah Murder et vos copains de Benighted, ça ne va être un peu triste tout ça ?
Mathieu : (rires) Je ne pense pas non ! On a tourné déjà en France avec Benighted et Kronos en 2011, ça reste un de mes meilleurs souvenir de tournée. L'ambiance était incroyable, chaleureuse et conviviale, on a vraiment bien rigolé. On se croise maintenant souvent dans les festivals ou sur des dates isolées et c'est toujours une joie pour nous ! Les TBDM on ne les connait pas directement, mais c'est un groupe que je respecte énormément. Ils m'ont mis une grosse claque au Hellfest, en 2010 je crois. Ils avaient un son de branque, les morceaux étaient joués à la perfection, on avait l'impression d'entendre un enregistrement ! Je me dis que c'était déjà il y a cinq ans, alors ça a dû encore s'améliorer depuis, ça doit être une tuerie !



Défendre en live votre musique c’est votre objectif à chaque sortie, et c’est un gage de qualité chez un groupe (tout style confondu), il n’y a rien de pire à mon sens que de dire à un groupe : "Le dernier album est excellent par contre en live c’est pas super…". D’accord ou pas d’accord ?
Mathieu : Entièrement d'accord. Les shows sont vraiment la finalité de notre musique, pas seulement un passage obligé pour la promo. On s'amuse toujours beaucoup sur scène, même si on s'applique à jouer les titres le plus parfaitement possible. On s'est aperçu que la bonne humeur et l'enthousiasme n'était pas incompatible avec la rigueur et l'austérité que pourrait demander une musique comme la nôtre. En plus on se rend compte que les gens le sentent, que cette joie est communicative. Pour nous les shows sont une fête, et tout ce qu'on demande c'est que le public se joigne à nous dans cette fête, qu'ils soient nombreux ou non. C'est un paramètre que je prends évidemment en compte quand j'écris des morceaux, essayant de minimiser les passages qui nous mettraient trop en danger pour qu'on puisse être chacun libéré du stress de faire des erreurs ou des maladresses. Ca continue bien sûr à arriver, hein, mais au moins la plupart du temps ça ne gâche pas notre humeur !

Pour revenir à “A Maze Of Recycled Creeds”, en plus d’un côté technique impressionnant (comme à votre habitude), j’ai été bluffé par le chant. La palette vocale s’est élargie. Julien n’osait pas avant ou ça ne s’inscrivait dans la dynamique des autres opus (depuis son arrivée sur "Transcendance" dans lequel on retrouve des titres avec du chant et titres instrumentaux) ?
Julien : Pour le choix du type de voix, à mon arrivée dans le groupe en 2010, il a fallu succéder à Guillaume qui est un chanteur clairement death metal, un maître en matière de voix gutturale. Cela avait donné les codes vocaux à la musique de GOROD et il m’est apparu essentiel de ne pas faire une transition trop abrupte afin de ne pas dénaturer complètement leur style. Un changement de chanteur est toujours délicat et j’avoue avoir vraiment marché sur des oeufs pour la réalisation de l’album précédent "A Perfect Absolution". De plus, en 2010 cela faisait plus de 5 ans que je n’avais plus participé à un groupe de death metal, donc cela n’a pas été facile de s’y remettre. Pour "A Maze Of Recycled Creeds", on peut considérer que de l’eau a commencé à couler sous les ponts, et je me suis permis d’insérer de nouvelles choses, bien que notre souci majeur soit resté celui de trouver le type de voix le plus approprié à chaque passage. On y va doucement mais on continue dans ce sens. On verra bien où cela nous mène.

Je vous souhaite le meilleur pour la suite et vous laisse finir comme vous le souhaitez.
Mathieu : Bah un grand merci à vous pour le soutien, vôtre webzine est un des premiers à nous avoir jamais chroniqués (depuis notre CD promo en 2002 !!!). J'espère qu'on traversera la France bientôt, en tous cas n'hésitez pas à venir voir les shows, discuter et boire un verre avec nous !


Le site officiel : gorod.free.fr