Interview faite par Braindead au Bataclan (Paris).

Eths est né en 1999, votre sixième album "III" sort l’année de vos 13 ans… Superstitieux ?
Staif (guitare) : (rires) Ah non c’était un hasard, un pur hasard…

"III" comme le troisième album d’Indochine, "III" comme le numéro du percussionniste de Slipknot ou plus sérieusement "III" comme la Trinité dans la Doctrine Chrétienne (Dieu comme entité unique, le Père, Le Fils et le Saint Esprit) ?
Candice (chant) : C’est le troisième album, mais bien sûr on peut aller plus loin dans l’analyse…
Staif : Il y a plein de choses derrière mais comme à chaque fois, on préfère que chacun y voit ce qu’il veut…

Beaucoup évoquent l’album de la maturité, un qualificatif très réducteur voire faux, dans la mesure où de par la constance des termes abordés, j’ai le sentiment qu’Eths recherche en permanence, expérimente construit album après album une œuvre ultime basé sur l’exploration de l’humanité sous son côté le plus sombre. Qu’en pensez-vous ?
Candice : C’est dur d’avoir du recul, on a fait les morceaux que l’on aimait et on a cherché à ce qu’ils se complètent, mais bon après c’est à notre public d’avoir ce regard-là, mais nous sommes super contents t’entendre ça…

A ce titre, "III" sonne comme la réécriture d’une bible synthétisant toutes prophéties d’une fin annoncée...
Candice : (rires) C’est vrai que l’on aborde pas mal de sujets concernant ces choses-là…

Les textes de Candices sont très imagés, viscéraux comme du Cronenberg et très complexe comme Lynch ; à cela s’ajoute un artwork qui rappelle le monde de Clive Barker (femelle Cénobite aux Enfers dans Hellraiser) ; Pourquoi avez-vous décidé depuis treize ans maintenant, de construire votre œuvre sur des thèmes aussi nihilistes mais néanmoins fascinants ?
Staif : (rires) C’est justement pour ça, la réponse est dans la question.
Candice : C’est souvent dans les questions que les réponses se trouvent.
Staif : Ca nous fascine et on aime le côté obscure, il y a beaucoup de charme dans le sombre.

La prod' est davantage décisive, sans concession quant à l’alternance, voix douce / câline sous forme de comptines quasi enfantines et voix hurlée / growls emprunts de douleur ; ces deux sensations vous sont-elles venues suite à ton nouveau rôle de mère ?
Candice : Oui notamment le chant clair, parce que sur le plan de la composition, les mélodies me venaient avant les chants saturés, donc ça été plus simple pour moi dans un premier temps d’aborder le chant clair que de trouver des passages adéquates pour le chant saturé.

Tout au long de l’album, nous percevons un rythme cadencé et martial sur "Voragine", un préambule prophétique sur "Harmaguedon" une prière nihiliste nous renvoyant aux heures de "Crucifère", pour "Adonaï", une entêtante comptine enfantine des plus sordides sur "Inatis Vinter", des chants grégoriens sur des growls très death pour "Sidus", les hurlements et complaintes d’"Hercolobus" faisant penser à L’Enfer de Dantes. En fait vous écrivez votre propre nouveau testament ?
Candice : (rires) Mais c’est bien, les gens ont à chaque fois des perceptions différentes et c’est tant mieux…
Staif : Mais comme disait Candice c’est souvent inconscient de notre part, plutôt que de se dire on va façonner quelque chose, on reste à l’écoute de nos pulsions, de ce qu’on a envie de faire, les choses ne se font bien sûr pas toutes seules mais il y a beaucoup de place au hasard, à l’aléatoire, au feeling, et donc nouveau testament oui et non, car dans un sens nous ne voulons pas nous réinventer mais pousser notre style ailleurs, tout en restant ce que l’on a toujours été…

On a tendance à évoquer l’Armageddon comme une succession de catastrophes naturelles conduisant à la fin de cette civilisation ; mais ne pensez-vous pas qu’entre une paupérisation croissante, la fracture sociale, les crises à répétition, la disparition des valeurs morales et l’incompatibilité des religions, cet Armageddon sera finalement initié par l’Homme ? (Ndlr : à ce moment, faits du hasard et travaux obligent, des gravats passent devant la fenêtre de la loge)
Greg (guitare) : Ah oui y'a de très fortes chances c’est clair.
Candice : Mais je crois que nous en sommes tous contients.
Staif : Si tu regardes dans l’histoire, il y a toujours des signes avant-coureur, chaque civilisation avant de décliner engendre perte de moralité, irrespect envers les aînés, on perd la valeur des choses et là nous sommes en plein dedans, c’est un changement…




Ce qui est remarquable avec Eths, c’est votre culture, votre ouverture d’esprit qui permet de multiplier les influences dans vos créations, les rendant très riches et finalement assez uniques d’autant que vous êtes peu à chanter en Français ; pouvons-nous parler finalement d’un style Eths à part entière ?
Greg : C’est toujours dur de juger de ça, se dire que ce que l’on fait est original, non c’est plus au public de juger de ça, mais à priori, nous cultivons notre propre identité et le fait d’évoluer en permanence…
Guillaume (batterie) : Mais c’est vrai que ce n’est pas à nous de faire cette remarque-là, nous essayons juste de faire la musique que l’on aime.

Vous êtes passé par le néo core, metal core, et maintenant le metal alternatif à tendance expérimental à la limite du death ("Sidus"), devons-nous attendre d’autres évolutions dans les années à venir ?
Staif : Ah j’espère… depuis le début, ça a toujours été notre but que d’essayer de nouvelles choses ; aller ailleurs, tenter des trucs et si tu nous suis, explorer les côtés opposés…
Guillaume (batterie) : A une époque, nous abordions tous les styles mais directement, tandis que maintenant, nous commençons à les digérer et donc comme sur "Adonaï", tu as des parties groovy mais qui restent tout de même metal… avant nous avions tendance à partir dans la facilité, si nous voulions faire du funk, nous mettions une guitare funk derrière, tandis que maintenant, nous voyons le côté groovy de façon plus métallique, nous définissons mieux les extrêmes tout en recentrant le style ; nous utilisons des influences de plus en plus lointaines tout en essayant de garder le même son au final.

Que pensez-vous du fait que l’on cherche absolument à étiqueter chaque groupe sans vraiment demander leurs avis les enfermant ainsi dans une identité musicale dont certains ont du mal à se défaire et au risque de déstabiliser les fans les plus hardcore en cas de changement créatifs, je pense à Paradise Lost et sa période cold wave, Kreator et plus récemment le coup de gueule de Meshuggah concernant son affiliation au djent, un genre dont ils ne connaissaient même pas l’existence… et en avez-vous aussi souffert ?
Guillaume : Le djent ? qu’est-ce que c’est ?

Le djent serait un dérivé du mathcore…
Guillaume : C’est quoi le Mathcore ? Non mais la réponse est dans le reportage, "Metal : voyage au cœur de la Bête", quand tu commences à regarder l’organigramme, tu constates que tout vient du même endroit donc maintenant, il faut qu’il arrêtent, je ne comprends pas pourquoi les métalleux ont besoin d’étiqueter à la virgule près…
Staif : Mais c’est partout, surtout dans l’electro, ce besoin des fans de spécialiser un genre…
Guillaume : Kruger nous avait fait aussi cette remarque, on les avait catalogués comme groupe sludge, et eux estimaient qu’ils faisaient du metal, à la limite du rock’n’roll… ce sont plus les médias et le public qui ont besoin de mettre les groupes dans des cases pour s’y retrouver au final ! Mais on se retrouve avec des rayons (disquaires) illisibles ; la dernière fois, je cherchais un album de Filter et je ne savais pas si je devais regarder en rock indé, en metal… au bout d’un moment ça devient n’importe quoi ! En parlant de ETHS, nous avons toujours considéré faire du metal, point barre.

Vos ambitions tendent vers l’international, ce qui est bien normal ; avez-vous une stratégie particulière, mis à part un nouveau label et nouveau line-up et un producteur qui a rendu votre dernier album encore plus percutant ? N’est-ce pas trop dur lorsqu’on chante en Français ?
Guillaume : C’est pour cela justement que nous avons eu cette approche…
Staif : …et en même temps, pas tant que ça car même sur la version Anglaise, nous avons eu les remarques de fans étrangers qui voyaient ETHS comme un groupe qui chante en Français, même s’ils ne comprennent pas toujours nos paroles ; ça fait plaisir à entendre car nous aimons notre langue.

C’est vrai qu’il y avait plus de groupes, il y a quelques années qui chantaient en Français, comme Babylon Pression qui avait des textes très incisifs, mais ces groupes sont moins présents !
Guillaume : Mais après c’est une question de mode et de suivi médiatique, Babylon existe toujours, tourne toujours tant bien que mal, le rock et le metal en France, c’est toujours un éternel recommencement, tu as des vagues tous les dix ans, ça revient à la surface, ça repart dans l’underground. A l’époque où nous avons sorti "Sôma", nous étions à l’apogée du metal sur le plan visibilité média, depuis nous sommes repartis dans la cave et là nous sommes en train de remonter gentiment…

Donc Eths est bien de retour après ces quatre années salutaires, que pouvons-nous attendre pour les mois et années à venir ?
Guillaume : Tourner !!!!
Grég : Tour du monde !!!! (rires)
Guillaume : Jouer partout…
Staif : …et le plus possible !!!!


Le site officiel : www.eths.net