Interview faite par mail par Angie

Brett Caldas-Lima du TOWER STUDIO
Mobo du CONKRETE STUDIO

Tout d'abord, j'imagine que l'on ne devient pas producteur en un seul jour ! Pourriez-vous nous raconter brièvement votre parcours avant d'en arriver à monter vos propres studios ? Des débuts en tant que musicien ou autre peut-être ?
Brett : En effet Rome ne s'est pas construite en un jour. Comme je pense pas mal de producteurs ou d'ingé-sons, j'ai commencé par être musicien. Au fil des enregistrements de démos ou de la composition sur ordinateur j'ai fini par pas mal apprivoiser ces petites bébêtes. Et c'est l'enregistrement de l'album "Cybion" de mon groupe Kalisia qui m'a véritablement mis le pied à l'étrier, c'est à ce moment là que j'ai décidé d'en faire mon métier. J'ai alors quitté mon emploi d'infographiste. Je devais de toute façon me concentrer pleinement sur cet objectif pour en venir à bout vu l'immensité de la tâche. C'est donc ainsi que j'ai tenté ma chance dans le domaine qui me passionnait vraiment (la musique et plus particulièrement le metal). Le risque était gros mais à vaincre sans péril on triomphe sans gloire. Et je n'avais pas d'enfant à charge, je me disais donc que c'était le bon moment, maintenant ou jamais quoi... De plus, être musicien me semble être un pré requis pour travailler avec des musiciens, pour se comprendre, savoir ce qu'il est possible de faire, jauger du niveau de la personne en face de soi et lui demander le meilleur de lui sans lui demander l'impossible non plus, et ce quelque soit l'instrument.
Mobo : J'ai fait mes premiers pas dans le monde de la musique grâce aux jeux vidéo. Je suis compositeur de musiques de jeux depuis le début des années 90. Plus tard, j'ai monté un groupe qui s’appelle Plug-In (www.myspace.com/pluginband), et quand j'ai quitté mon boulot dans le jeu vidéo, j'ai décidé de monter un tout petit studio, pour enregistrer les guitares et les basses de mon groupe et pour continuer à produire mes musiques de jeux en freelance. Je me suis fait la main au départ avec très peu de matos. J'ai commencé à me servir de ce "studio" pour mixer la musique des autres en 2003. Mes premiers mixages ayant reçu un accueil très positif, j’ai décidé de persévérer. Puis j'ai commencé à investir progressivement dans du matos pour pouvoir proposer l'enregistrement en plus du mixage et du mastering, car je commençais à avoir de plus en plus de demandes pour la presta complète...

Les groupes que vous enregistrez sont évidemment constitués pour la plupart de métalleux assoiffés de gros son ! Mais y a-t-il d'autres styles musicaux sur lesquels vous avez été amenés à travailler ?
Brett : Pour l'instant non pas vraiment. Je ne m'intéresse absolument pas à l'argent facile, qui consisterait à enregistrer des trucs de rap ou de rn'b qui sont des styles de musique qui m'en touchent une sans faire bouger l'autre. Si j'ai choisi ce métier c'est pour faire ce que j'aime, et la musique que j'aime le plus c'est le metal. Je suis totalement ouvert au rock et au jazz, mais je n'ai pour l'instant pas eu l'occasion de véritablement travailler avec ce genre de formation. Peut-être un jour, pourquoi pas, ça m'intéresserait bien en tout cas. De toute façon, le metal est une spécification qui demande d'être très pointu dans le domaine. Donc cette spécialisation me va bien.
Mobo : J'ai monté ce studio dans le seul et unique but de bosser avec des groupes de metal, parce que c'est le style de musique qui me parle le plus. J'ai souvent des demandes de groupes de styles différents (du hip hop au ska) mais que je décline parce que ce sont des styles qui ne me touchent pas et dont je ne connais pas les codes. Donc si c'est pour passer mes journées à mixer ou enregistrer de la musique qui me gonfle, autant que j'aille bosser à la poste...

Quand on parle de studio et de production, le thème de l'argent est certes inévitable ! Niveau investissement dans la structure et le matériel, c'est pas un peu flippant au début ?! Sans vouloir rentrer dans des détails personnels, pourriez-vous nous expliquer comment se déroule la recherche financière pour un tel projet ?
Brett : Elle ne s'est pas déroulé pour ma part. Mes premiers clients payants (Malmonde, groupe de Grenoble) m'ont fait confiance et m'ont payé une partie de mon salaire à l'avance, ce qui m'a permis d'investir un petit peu dans du matériel, et nous avions également acheté du matériel pour l'enregistrement de l'album de4 Kalisia. J'ai donc commencé petit, je ne voulais surtout pas faire d'emprunt, ou acheter du matos super cher sans être sûr d'en avoir besoin. C'est donc comme ça que j'ai constitué mon "parc". Besoin d'un troisième micro tom pour tel groupe, alors je l'achète à ce moment là, pas besoin d'avoir 6 micros de grosse caisse ou 12 de toms tant que tu n'enregistres pas Mike Portnoy ! De plus, je reste persuadé que la course au matériel haut de gamme est un leurre, l'important c'est l'humain derrière et le musicien. Donc pas besoin d'investir des dizaines de milliers d'euros quand on débute. Enfin c'est ma philosophie mais c'est sans doute aussi parce que je n'avais pas d'argent de toute façon que je m'en suis bien aisément accommodé !!!
Mobo : C'était très flippant ouais ! Surtout que je venais de démissionner de mon job pour me mettre à mon compte, donc pas droit au chômage. Ma solution à l'époque a été de m'associer avec d'autres travailleurs indépendants. Nous avons monté une SCM (Société Civile de Moyens) qui nous a permis de faire un emprunt commun pour financer nos besoins respectifs, surtout au niveau immobilier. Mais un studio ne se construit pas en un jour... L'investissement est constant, et chaque enregistrement me permet d'acheter un nouveau micro par ci, un nouveau pré-amp par là...  


(Brett du TOWER STUDIO)

Permettre à des groupes plus ou moins professionnels de pouvoir enregistrer leur album à des prix abordables et ainsi se faire connaître de la scène Française est tout de même formidable ! Avez-vous eu des remerciements de certains qui ont réussi à gravir les échelons ?
Brett : Oh tu sais, au bout d'un certain temps, c'est un peu comme pour les accouchements, on oublie, et certains groupes finissent par se croire aussi bons qu'ils ne sonnent sur l'album en oubliant tout ce qui s'est passé en amont... Mais sinon je garde de bons contacts avec la plupart des groupes et certains reviennent même me voir ce qui est une belle récompense.
Mobo : Oui, bien sûr, certains groupes sont très reconnaissants. Le dernier et meilleur exemple en date reste Eryn Non Dae. C'est une grosse histoire d'amour entre eux et moi. Je les ai pratiquement forcés à enregistrer leur premier EP (quand ils s’appelaient encore End.) tellement je suis fan de ce qu'ils font. Avec le dernier album que nous avons fait ensemble, ils ont signés chez Metal Blade (Normal, l'album est fantastique !), et on est vraiment très fier de cela. Mais au delà de ça, ce sont devenus de vrais amis, et ils prennent toujours soin de souligner dans leurs interviews l'importance de mon implication dans la production de leur album, ce qui me touche vraiment beaucoup venant de gens aussi talentueux.  

Avant de pouvoir commencer à enregistrer dans vos studios, les groupes doivent-ils respecter certaines conditions (présentation d'une maquette par exemple) ?
Brett : Avant de pouvoir enregistrer, non je n'exige rien d'eux. Par contre, s'ils ne sont pas au point, ça tournera à la catastrophe pour eux, donc dans leur intérêt évidemment il leur faut bosser un maximum, que chacun sache ce qu'il doit jouer et ce que jouent les autres (je ne compte plus les guitaristes qui disent à l'autre guitariste de leur groupe pendant l'enregistrement (ou pire, après) : "Ah mais attends tu joues ça toi ? Mais non c'est pas ça !". Sur mon site j'ai listé tout un tas de conseils pour les groupes justement, afin qu'ils soient au mieux préparés.
Mobo : Oui, je demande toujours à écouter au moins une maquette ou des enregistrements répèt' pas trop pourris. Je refuse de travailler avec des groupes qui ne me font pas vibrer un minimum, ou qui sont vraiment trop à la rue sur leurs instruments. J'ai refusé quelques groupes pour l'une ou l'autre de ces raisons. Je leur explique toujours pourquoi je ne peux pas travailler avec eux, et généralement ça se passe plutôt bien.

Le métier de producteur doit demander beaucoup d'investissement personnel, mais touchez-vous à d'autres secteurs dans le milieu de la musique ou est-ce déjà bien suffisant ?
Brett : Et bien je suis aussi pas mal investi dans mon groupe Kalisia. Nous avons sorti notre album en début d'année, après plus de dix années de travail dessus.
Mobo : J’ai été un temps bassiste de Bumblefoot, de Warattah, de Olympus Mons mais j'ai du tout lâcher progressivement, faute de temps. Aujourd'hui je me consacre uniquement à mon groupe Plug-In et un projet perso en gestation. En dehors de ça je continue à faire des musiques de jeux vidéo.

Avec un marché musical en crise et l'explosion des home-studios, ça ne doit pas être facile tous les jours. Qu'est ce qui fait que dans un tel contexte, les groupes soient en confiance et choisissent d'enregister dans vos studios ?
Brett : J'ai la prétention d'espérer que la qualité de mon travail doit y être pour quelque chose. De plus, mes tarifs ne sont vraiment pas abusés, ça joue aussi beaucoup car comme tu le sais, les musiciens sont toujours des gens pauvres sans le sou...
Mobo : Il est vrai qu'il est de plus en plus facile de s'enregistrer soit même. Je le propose d'ailleurs moi même à certains groupes un peu limite au niveau du budget. Il m'arrive ainsi assez souvent de ne faire qu'un mixage / mastering sur des pistes enregistrées à la maison par le groupe. Mais ceux qui viennent me voir le font généralement parce qu'ils ont besoin soit d'une expertise, soit d'une oreille extérieure, soit d'être encadrés, soit parce que leur matos est un peu limite pour faire de bonnes prises ou tout ça à la fois. A chaque enregistrement, je remarque des choses que le groupe n'avait pas remarquées (genre les deux guitares jouent des trucs qui collent pas ensemble). J'apporte aussi des idées d'arrangements ou de structures quand je le sens, on peut discuter de certains placements pour le chant pour être plus en phase avec la musique, bref on soulève pas mal de points que le groupe en s'enregistrant tout seul n'aurait peut-être pas relevé. Pas plus tard qu’hier, j’ai fait modifier sa partie de batterie au batteur du groupe que j’enregistre en ce moment pour qu’il colle une grosse caisse sur une note de basse et tout le groupe s’est frappé le front en disant "mais pourquoi on n’y a pas pensé…". J'ai aussi des gars qui m'ont dit venir en studio parce là au moins, ils sont sûr de pas mettre six mois à s'enregistrer. Et puis bien sûr, il y a le son. Les groupes qui viennent chez moi choisissent souvent mon studio car ils ont aimé une autre de mes prods…


(Mobo du CONKRETE STUDIO)

Dans le domaine du son, la technologie évolue de plus en plus vite. Comment faites-vous pour toujours être à la pointe du progrès ? Le matériel est-il changé régulièrement ?
Brett : Le matériel informatique change assez régulièrement, mais travaillant sur Mac, j'ai la chance à la fois de ne pas avoir à changer d'ordi tous les 6 mois, et également de pouvoir revendre mon ordinateur précédent à un prix correct. Ensuite, tout ce qui est micros & co ne sont pas changés mais ajoutés. Enfin, ce sont les logiciels et les plugins (je travaille exclusivement "in the box" - c'est à dire via des plugins) qui sont les plus prompts à changer et être mis à jour sans cesse. Ça représente un certain budget... Car oui, aussi incroyable que ça puisse paraître aujourd'hui, j'achète les logiciels que j'utilise !
Mobo : Changé non, enrichi oui. Quand on connait bien son matos, ça sert à rien de le changer tous les 6 mois. Donc j'investis régulièrement dans des nouveaux micros et pre-amp, des cartes son, des plug-ins, mais c'est pas pour autant que je me sépare des anciens appareils. Sauf quand vraiment je m’en sers plus du tout. Et encore… Le mois dernier, je me suis servi sur des guitares d’un micro pourri (le premier micro que j’ai acheté quand j’y connaissais rien du tout) qui nous a apporté le petit truc qui nous manquait. Ca faisait 8 ans que je m’en étais pas servi…

Est-ce qu'il vous est déjà arriver de perdre confiance en vos projets, de vouloir tout arrêter et reprendre vos études en fac de médecine (rires) ou la passion reste-t-elle maîtresse ?
Brett : Ouhla, ça m'arrive après chaque album !!! Mais bon, je me dis que de toute façon je ferai mieux la prochaine fois...
Mobo : Ca arrive d'avoir un petit passage à vide, j'ai voulu tout plaquer une paire de fois à cause de rapports difficiles avec certains groupes qui semblent ne pas avoir idée du temps et de l’énergie qu’on met dans la production d’un album. Mais au final je suis toujours là, donc je pense que ça devrait durer. Ce qui ne te tue pas te rend plus fort, comme on dit...

Etes-vous confiants en ce qui concerne le futur musical en France, notamment pour la scène metal ?
Brett : Oui. Et non, je ne citerai pas le succès de Gojira ! Hahaha...
Mobo : En ce qui concerne le public, pas trop non... Y'a un public metal en France, mais il ne se déplace que pour les grosses affiches (en tout cas dans la région Bordelaise). Il ignore en masse les petits concerts et petits festoches que des assos pleines de bonnes volontés s'épuisent à organiser. Mais heureusement ça ne décourage pas les groupes qui sont de plus en plus nombreux, et les passionnés qui font vivre le style sur le net et ailleurs sont toujours aussi remontés, donc let’s rock !

Que conseilleriez-vous aux jeunes gens qui vous lisent et rêveraient de monter eux aussi un jour leur propre studio ?
Brett : En dehors des considérations techniques, de l'apprentissage du métier (perso je suis totalement autodidacte donc c'est tout à fait possible), je vous conseillerais de vous faire aider par des associations ou des organisations pour les démarches administratives quand vous voudrez véritablement vous lancer, car c'est un vrai casse tête et si personne n'est là pour te dire "Ah mais non, ne vous inquiétez pas, l'URSSAF vous demande 4.000 euros mais c'est une erreur de leur part vous ne leur devez que 1.200 de part l'article machin du contrat bidule..." tu as vite fait de mettre la clé sous la porte aussitôt la société créée, ou plutôt comme c'est très souvent le cas au bout d'un an...
Mobo : De se faire la main avec du petit matos, et d'essayer d'en tirer le meilleur. Chaque enregistrement ou mixage apporte sa dose d'expérience, quelques soient les conditions dans lesquelles il est réalisé. Ca permet de comprendre comment ça marche, et d'expérimenter. N'ayant pas suivi de formation dans le son, je ne me permettrai pas d'en parler, ne sachant pas trop ce que ça peut apporter... Mais avant toute la technique et le matos, l'important, c'est d'avoir des oreilles.

  
(Brett & Mobo)

Pour terminer cet interview, pourriez-vous nous rapeller les coordonnées de vos studios pour nos lecteurs musiciens les plus intéressés ?
Brett : Bien sûr, c'est www.towerstudio.net
Mobo : Mon studio est à Bordeaux mais devrait bouger en dehors de la ville l'année prochaine. Vous pouvez me rendre visite sur le www.myspace.com/conkrete pour y écouter quelques unes de mes prods !

Quelque chose à rajouter qui n'aurait pas été évoqué dans cet interview et qui vous tient à coeur peut-être ? (En tout cas un grand merci !)
Brett : Merci à toi pour cette interview (et encore désolé d'avoir été si long à y répondre), je suis impatient de lire les réponses de mes comparses sur French Metal ! C'est mon dernier mot Jean-Pierre !
Mobo : Un grand merci à toi, à Pete et à toute l'équipe de French Metal pour le travail que vous abattez pour le metal (yeah !) ! Un autre grand merci aux groupes qui m'ont fait confiance. Guettez les albums à venir d'ici le début de l'année prochaine de Simplixity, Warattah et Idiome (on est plein enregistrement là !), c'est du tout bon !!! Pour finir, un salut amical aux collègues dont j’ai croisé la route (Franck Hueso, Brett Calmas-Lima, R3myboy, Mathieu Pascal…)


Les sites officiels :
www.towerstudio.net
www.conkrete-studio.com