Interview faite par mail par Lisa

Après un hiatus de 6 années, Disarmonia Mundi marque son retour avec un nouvel album intitulé "Cold Inferno". Accompagné une fois de plus de Claudio Ravinale au chant, c’est Ettore Rigotti, (presque seul) maître à bord du projet, qui s’est chargé de la composition de l’opus, des parties instrumentales, du chant clair, et de l’entière production de cette nouvelle œuvre. On ne pouvait donc pas s’empêcher d’échanger quelques mots avec cet artiste aux multiples talents.

Salut Ettore, merci d'avoir accepté de répondre à cette interview. Le nouvel opus de Disarmonia Mundi, "Cold Inferno", est sorti il y a quelques semaines maintenant. As-tu déjà lu quelques chroniques de l’album ? Es-tu satisfait des premiers retours que tu as déjà pu avoir sur ce disque ?

Ettore Rigotti (chant / instruments) : Salut ! On a déjà lu quelques reviews assez enthousiastes, les premiers retours ont été très positifs, même après ces 6 années d'absence. C’est bien évidemment une super sensation que de voir nos fans continuer à nous suivre après toutes ces années, et c'est aussi génial de réaliser que de nombreux nouveaux auditeurs découvrent nos précédents albums à peine maintenant et les apprécient. Dès les premières semaines après la sortie du disque, "Cold Inferno" s’est très bien classé parmi les ventes digitales d’album et pour un groupe qui ne fait pas de concerts, et qui ne joue pas tellement sur l’aspect visuel comme à travers des clips par exemple, c'est un énorme accomplissement !

6 années séparent "Cold Inferno" du précédent album "The Isolation Game". Est-ce l’écriture de ce nouveau disque qui t’a pris tellement de temps, ou est-ce que tu étais très occupé avec la gestion de ton label et de ton studio, peut-être un peu les deux à la fois ?
Cet album a mis du temps à sortir pour de nombreuses raisons, principalement parce qu'entre temps je me suis lancé dans d'autres projets musicaux comme Imaginary Flying Machines et The Stranded. Avec Imaginary Flying Machine, j'ai fait un pause avec DISARMONIA MUNDI et j'ai essayé de créer quelque chose de nouveau et d'expérimental en jouant des covers des bandes originales de Studio Ghibli (studio d'animation japonais, produisant des animés, ndlr). Avec The Stranded, on est retourné vers du melodeath classique, mais en moins sombre et moins rapide que ce que nous faisons avec DM. The Stranded est aussi plus simple et plus accessible à l’écoute que DISARMONIA MUNDI et d’autres musiciens y sont impliqués, d'où la nécessaire création d’une toute nouvelle formation. Par la suite, j'ai dû également rénover mon studio d'enregistrement (The Metal House) et entre temps, j'ai travaillé en tant que producteur pour plusieurs groupes comme Destrage, I Killed The Prom Queen, Blood Stain Chid, Gyze, Babymetal et autres. Tous ces projets m'ont pris beaucoup de temps et ont retardé la sortie du nouvel album de DISARMONIA MUNDI. Mais comme je l'ai déjà dit dans d'autres interviews, le prochain album de Disarmonia ne se fera pas attendre 6 ans à nouveau !

Si tu devais sélectionner une seule chanson sur "Cold Inferno" afin de faire découvrir aux gens l'univers de Disarmonia Mundi, laquelle choisirais-tu ?
Je dirais "Oddities from the Ravishing Chasm". C'est ma chanson préférée et c'est la plus complète et la plus représentative de l'album. Si on regarde la discographie complète de DISARMONIA MUNDI, ce titre se place probablement dans mon top 3 de mes morceaux favoris du groupe. Cette chanson représente un lien entre notre son actuel et le style progressif que nous avions sur notre premier album "Nebularium". Ce morceau contient tous les éléments typiques qui caractérisent la musique de DISARMONIA MUNDI de nos débuts à aujourd’hui, donc je n’ai pas de doute sur ce choix !

Le nom du groupe signifiant “Disharmonie du monde” en français, je me demandais quel œil tu portais sur la société actuelle, as-tu un regard pessimiste sur le monde dans lequel nous vivons ? En parlant de ça, quelle est ton opinion sur la politique actuelle et que t’évoques ces différentes crises que nous traversons en ce moment ?
“Disharmonie du monde” est une bonne façon de définir notre société actuelle. On passe notre temps à se battre les uns contre les autres plutôt que d'essayer de vivre en harmonie. Oui, mon avis sur la politique etc. est terriblement négatif. Mais avant de chercher la petite bête au sein d’un système dont tout le monde sait qu'il est pourri jusqu'à la moelle, on devrait plutôt se concentrer sur les gens "normaux". C'est facile de s'attaquer aux institutions, mais la disharmonie du monde à laquelle nous nous référons est plus générale et nous concerne nous-mêmes et pas seulement ce monde politique corrompu et hors d'atteinte. Ces personnes-là sont trop occupées à compter leur argent et à succomber à la drogue et à des excès en tout genre plutôt que de faire quelque chose de bien dans leur vie.



Tu ne fais pas de tournée avec Disarmonia Mundi, tes rentrées d'argent se font essentiellement sur la vente de tes albums par conséquent. N’est-ce pas pari un peu risqué en considérant que de moins en moins de gens achètent des albums de nos jours ? Quelle est ton opinion sur le "côté obscur" d'Internet et plus particulièrement le téléchargement illégal ? Et pour quelles raisons penses-tu qu'aujourd'hui les gens ont moins tendance à acheter des albums ?
Je te l'accorde, c'est un gros problème, pas seulement pour les groupes studio comme DISARMONIA MUNDI, mais pour tous les autres groupes. Evidemment, faire des tournées non-stop est une bonne source de revenu pour toutes les formations, mais malheureusement, à l'heure actuelle, c'est la seule manière de gagner de l'argent pour la plupart d'entre eux. Les albums ne se vendent plus aussi bien. On dirait que cette société de consommation affecte aussi le domaine musical. Pour beaucoup de gens, un fichier mp3 ou téléchargé avec une qualité dégueulasse est plus sympa qu'un disque physique, avec son artwork et son livret de paroles. Pour eux, la chose la plus importante est de dépenser le moins d'argent que possible, et d'obtenir toutes les chansons gratuitement sur des clés usb afin de les écouter un maximum de fois via de mauvais écouteurs ou sur des enceintes d'ordinateur bas de gamme, pour ensuite les supprimer afin de faire de la place à de nouvelles pistes et ainsi de suite. Plein de gens possèdent des centaines d'albums mais ne connaissent aucun titre de chanson, voire même pas le nom de l'album ou du groupe (rires), j'en rigole mais c'est vraiment triste. Pour mes amis et moi, c'était différent. On attendait la sortie de l'album, on achetait les CDs et on courrait à la maison pour les écouter pour la première fois sur notre chaine hi-fi. C’était un espèce de rituel magique, un évènement que l'on vivait avec passion. Je suppose qu'il y a quand même encore quelques individus qui voient la musique de cette façon (certains fans de DISARMONIA MUNDI en sont la preuve) mais malheureusement, ils restent en minorité à l’heure actuelle.

D’ailleurs, ça ne te manque pas les tournées ? Et plus précisément la proximité avec le public que tu créés en partageant ton art sur une scène ?
Oui bien sûr, ça nous manque les tournées. Je voulais vraiment créer un vrai groupe à nos débuts. Jouer en live procure de supères sensations et permet d'avoir un lien direct avec nos anciens fans tout en touchant de nouveaux. Au début, on était déterminé à compléter notre line up pour commencer à tourner, mais entre "Nebularium" et "Fragments", au lieu de trouver les musiciens qu'il manquait à notre line up, j'ai perdu ceux déjà présents dans le groupe. Donc j'ai décidé de continuer à travailler seul et j'ai juste cherché un nouveau chanteur, et j’ai trouvé Claudio. On a travaillé seulement tous les deux jusqu'à la sortie de "Mind Tricks". Après cet album, j'ai de nouveau essayé de chercher des musiciens pour pouvoir mener DISARMONIA MUNDI sur scène, mais je n'ai jamais trouvé les bonnes personnes et le timing adéquat pour réaliser ce projet. En plus, réussir à organiser des shows avec Bjorn aurait été assez compliqué (il est très occupé avec Soilwork et The Night Flight Ochestra). Malheureusement, je ne pense pas qu'il y'ait beaucoup de chance de voir un jour DISARMONIA MUNDI sur scène.

Tu ne sembles pas très intéressé par l'idée d'avoir un line-up complet pour Disarmonia Mundi, pourquoi ? Est-ce dû au fait que tu n’aies pas trouvé les musiciens adéquats ou parce que tu préfères peut-être travailler seul ? Estimes-tu que l'actuel line up (Claudio et toi) soit la formule idéale pour Disarmonia Mundi ?
Après toutes ces années passées à composer seul, je peux maintenant dire que c'est la formule qui marche pour DISARMONIA MUNDI. Au début c'était plutôt un choix forcé parce que je n'avais trouvé personne qui voulait rejoindre le groupe sérieusement. Puis, avec le temps je me suis habitué à composer seul, et par la suite travailler avec Claudio sur les parties vocales est devenu la marque de fabrique de DISARMONIA MUNDI. Pareil pour l'enregistrement et la production. Toute notre musique est entièrement réalisée par mes soins. Bien qu'il y ait beaucoup de pour et de contre avec cette méthode de travail, elle me procure 100% de liberté et de créativité.

Disarmonia Mundi semble garder son propre style à travers les années, je veux dire par là que ton son n'a pas connu d'évolution drastique entre les différents albums. Est-ce que tu envisages de faire quelque chose de complètement différent pour les albums à venir ?
Oui, j'ai dans l'idée de faire quelque chose d'un peu différent, mais sûrement pas avec DISARMONIA MUNDI. Sincèrement, je ne suis pas contre une évolution ou un changement de son, ça se produit sur nos albums aussi. Mais je veux dire pas là que le style, le son principal et la direction musicale devraient toujours rester les mêmes pour que le groupe soit cohérent. Je comprends parfaitement qu'un musicien ait parfois besoin d'évoluer et de changer son style, mais je pense simplement que lorsque ça arrive, ça doit être fait avec un nouveau projet et un nouveau nom. Je sais qu’il est plus facile d'exploiter un nom connu pour sortir un album différent mais c'est risqué parce qu’incohérent et irrespectueux pour les fans qui s'attendent à retrouver le style auquel le groupe les a habitués.

Tu as créé ton propre label, Coroner Records, il y a 7 ans maintenant. Est-ce un grand accomplissement pour toi, quelque chose qui te trottait dans la tête depuis longtemps ? Et dans quelles mesures penses-tu que Coroner Record soit différent d'un autre label ?
Oui, on a créé Coroner Records il y a 7 ans, avec dans de l'idée de produire des bons groupes mais aussi ma musique. Comme dit, je préfère avoir 100% de contrôle sur ma musique malgré les avantages et inconvénients que cela comporte. Je voulais produire les albums de Disarmonia Mundi via Coroner Records aussi. Bien sûr, les plus gros labels ont plus de pouvoir promotionnel mais je préfère rester dans mon petit monde et prendre mes propres décisions.



Tu as enregistré "Cold Inferno" au sein de Metal House, ton studio personnel. Est-ce essentiel pour toi d’enregistrer tes albums dans ton propre studio et de les produire avec Coroner, afin de garder l'identité sonore de DM ?
Oui, c'est même une étape clé. J'aurais probablement pu obtenir un meilleur son de guitare ou de caisse claire dans un studio plus grand, mais ce n'est pas l'objectif. L'atmosphère générale et le travail sur le mix sont les aspects les plus importants dans la musique de DISARMONIA MUNDI. Faire attention à tous ces détails dans un autre studio nous aurait pris trop de temps, et je me répète, je préfère tout faire par moi-même pour être sûr que l'album sonne 100% DISARMONIA MUNDI.

Au regard de la créativité que tu possèdes, j’aurais aimé savoir quels autres formes artistiques t’inspirent, la littérature, la peinture, le cinéma ou autre peut-être ?
En toute honnêteté, je ne sais pas vraiment ce qui m'inspire à faire de la musique, sûrement juste la musique elle-même ! Je vis dans un très bel endroit entouré par la nature. C'est probablement une source d'inspiration et de créativité pour moi. Je me souviens qu'au début, c'était de voir d'autres musiciens ou producteurs passionnés par leur art qui m'inspirait. C'est sûrement toute l'admiration que j'avais pour eux qui est devenue ma principale source d'inspiration et qui m'a permis de me lancer dans la composition et la production de musique.

Tu te consacres à Disarmonia Mundi depuis maintenant 16 ans. Ce ne devient pas lassant parfois ? As-tu déjà pensé à quitter le monde de la musique et à te concentrer sur quelque chose de complètement différent ?
Oui, j’y ai pensé plein de fois ! Mais je n’éprouve pas de lassitude, ça c'est sûr. J'aime faire de la musique, jouer, composer, produire mes albums ou ceux d'autres groupes. Ce sont des domaines bien différents mais ils sont tous liés à la musique metal que j'aime depuis tout petit. Donc j'espère pouvoir continuer de faire tout ça encore longtemps !

As-tu toujours voulu faire de la musique ? En d'autres termes, est-ce ce que tu voulais faire quand tu étais petit ?
J'ai sérieusement pensé à me lancer dans la musique quand j'avais 16 ou 17 ans. J'ai commencé à en jouer juste pour m'amuser quand j'avais 12 ans et les trois premières années je me suis concentré principalement sur la batterie. Quand j'ai eu 14 ans j'ai commencé la guitare aussi, et l'année d'après j’ai découvert une nouvelle passion : enregistrer et produire de la musique. J'ai donc acheté du matos d'enregistrement et une table de mixage et j'ai enregistré ma première démo. Avant mes 12 ans, je ne sais pas, je n'ai absolument aucun souvenir de ces années-là ! (rires)

Quels groupes t’ont inspiré à l'adolescence, et lesquels t’inspirent aujourd’hui ?
Je dirais que je suis toujours inspiré par les mêmes groupes qui m'avaient déjà inspiré il y'a 20 ans : Iron Maiden et Edge Of Sanity sont mes deux plus grandes sources d'inspiration, sans aucun doute. Je n'ai jamais écouté d'autres groupes autant que je n'ai écouté ces deux-là !

Penses-tu que la musique d'aujourd'hui est meilleure ou moins bonne que celle que tu as connue à tes débuts ? As-tu certaines affinités avec des groupes modernes ?
Je suis désolé de dire ça, mais les années 90 restent les meilleures, c'est même pas comparable. Cette décennie était magique pour la musique metal. Si les années 80 ont été un tremplin pour le metal classique et le thrash, dans les années 90 on a été témoins d'une explosion artistique pure pour les genres les plus obscurs et extrêmes du metal. Peut-être que c'était juste une période faste pour le metal, mais en tout cas, elle me manque beaucoup. (sourire). Mais bon, au cours de ces 15 dernières années, quelques nouveaux groupes ont bien sûr sorti de belles choses, de nouveaux genres sont nés de mélanges avec des styles déjà existants et le résultat sonne bien. Mais de manière générale, aucun groupe ne m'a réellement surpris durant ces 15 dernières années.

La dernière chose qui m'intéresse concerne le processus d’écriture des albums de Disarmonia Mundi. Comment tes idées évoluent d’étape en étape, de la composition jusqu’à la version finale ? Ce processus a-t-il évolué au fil des années ?
Question difficile, le processus n'est pas tout le temps le même et dépend de la chanson. En général, je commence par un riff de guitare ou le clavier et ensuite, je construis la chanson avec une structure basique. Si ça sonne bien, je continue à la composer et à l'arranger en ajoutant des guitares, du clavier et les premières pistes vocales. Après ça, la démo est prête à être enregistrée dans les règles de l'art, en y ajoutant les derniers détails et les voix avec les paroles finales (en général, au début du processus, je chante un mélange d'anglais et d'italien sans queue ni tête, juste pour essayer de voir quels mots peuvent être les mieux adapter phonétiquement sur le moment). Parfois il arrive aussi que je commence une chanson par le chant, en général avec une partie de chant clair ou avec le refrain, et ensuite j'écris les parties guitares et la structure en suivant le ligne vocale. Il m'arrive également de temps en temps de composer presque la moitié d'une chanson juste en chantant les riffs de guitare a capella et en jouant la partie batterie avec mes mains en tapant sur une table ! (rires) Et je dois avouer que ça marche bien quand je le fais ! Au final, il n'y a pas de règles précises pour écrire une chanson !!

Merci encore d'avoir répondu à cette interview. Le célèbre mot de la fin est à toi !
J'aimerais juste remercier tous ceux qui nous soutiennent. DISARMONIA MUNDI continue d'exister essentiellement grâce à nos fans et à leur soutien. Continuez à nous suivre et à acheter nos disques, ça maintient le groupe en vie et nous permettra de sortir un nouvel album très bientôt. Merci les gars !


Le site officiel : www.disarmoniamundi.com