Interview faite par mail par Braindead

Après quatorze années de présence sur la scène metal, on ne vous présente plus ; comment expliquez-vous un tel succès sans n’avoir jamais renié vos racines death sur le fond (même si la forme évolue) ni même succombé à l’appel commercial ? Comment analysez-vous votre évolution et aimeriez changer certaines choses si c’était à refaire ?
L. Chuck D. (chant) : Le succès dont tu parles est surtout un succès d’estime, dans les faits nous sommes toujours restés les mêmes avec nos convictions, notre amour de la musique, la passion du death metal, la volonté et surtout la faculté à rester motivés contre vents et marées. Je pense que nos fans, que nous appelons les "Lusters", reconnaissent notre capacité à ne jamais les trahir. Nous leur sommes aussi fidèles qu’ils le sont avec nous et il est évident que nous ne serions rien sans eux. Maintenant pour répondre à la deuxième partie de ta question nous n’analysons plus notre évolution, nous nous laissons complètement aller à nos envies et ne tenons plus compte des avis médiatiques extérieurs qui pourraient s’exprimer sur notre manière de varier notre art. Tout est naturel au sein de CARNAL LUST, rien n’est programmé dans le sens mercantile du terme, nous avançons voilà tout. C’est probablement notre persévérance qui explique notre longévité. Mais je te confirme que je changerais énormément de choses si je le pouvais. Certains des musiciens qui ont fait un passage dans nos rangs n’avaient leur place que dans le fond du caniveau duquel nous les avons sortis, alors que nous regrettons le départ d’autres. Nous n’aurions pas non plus continué avec notre dernier label, nous avons trop tergiversé avant de nous séparer de lui. Pendant deux longues années son responsable a temporisé la sortie de "The Hate Complete" et en a profité pour vendre les packagings que nous avions créé à d’autres groupes plus rentables à son goût que nous. Jamais nous n’aurions du confier l’avenir de notre formation à un tel personnage, puisqu’à cause de lui nous avons disparu des écrans pendant trois longues années. Comment voudrais-tu alors que notre carrière ait pu décoller comme elle aurait dû le faire ? Il est incroyable de constater à quel point l’attitude d’un seul individu peut nuire à un ensemble, nous avons perdu des amis dans la bataille. Las de ne rien voir venir ils ont préféré abandonner, tout ceci au nom de la rentabilité commerciale. Nous ne parlions pas le même langage, nous parlions musique pendant qu'il parlait taux de rentabilité tout en nous promettant des choses qu’il n’a jamais tenues. Maintenant ce qui est fait est fait, nous ne pouvons pas revenir dessus, alors avançons !

Quels regards jetez-vous sur l’industrie musicale actuelle, les évolutions majeures (positives et négatives), les crises traversées et selon vous, quel est l’avenir du metal au sein de cette industrie ? Quelles solutions, privilégier le live  lorsqu’il est de plus en plus dur de se révéler sur Internet tant l’offre et les sollicitations deviennent asphyxiantes ?
L. Chuck D. : L’industrie musicale est comme le reste, en crise. Maintenant elle se montre, pour l’instant, incapable de gérer cette récession en ne réagissant que par de grands groupes industriels ne répondant qu’à des appels de formations bankables. Rien n’est fait pour les petites structures ou les genres non rentables comme le metal. D’un autre côté on ne constate aucune volonté politique de juguler ce pillage par téléchargement, pourtant il existe des moyens techniques pour empêcher cette rapinerie. Comment expliquer qu’un pays si peu démocratique comme la Chine entrave cette hémorragie pendant que l’Europe regarde ses formations musicales de tous bords mourir par manque de moyens. Les solutions sont pourtant simples : baisser le prix des CDs de manière drastique pour qu’aucun ne dépasse les 15€, entraver par des textes de loi et des moyens techniques le téléchargement illégal. Et pour toutes les associations parlant de mesures liberticides je me permettrais de leur demander si la mise à mort d’un style musical n’est pas liberticide ? Même les prestations live sont aujourd’hui très peu rentables. Si tu n’as pas une structure derrière toi les organisateurs refusent de travailler avec toi. Les raisons ne s’expliquent pas, c’est juste un fait. Maintenant il existe également un moyen encore plus simple que les autres, mais une prise de conscience de la part de tous les métalleux devient indispensable. Arrêtez de jeter votre argent dans de la bière chaude à 5€ pendant que des groupes de votre style de prédilection jouent à quelques encablures de là pour la même somme.



Avez-vous déjà éprouvé de la lassitude, un ras-le-bol au point de vouloir tout remettre en question, voire arrêter ?
L. Chuck D. : Oui, pour ma part il en a été question. C’est en ré-écoutant les maquettes de "The Hate Complete" que je me suis dit qu’il fallait absolument que ce dernier voit le jour. Après, advienne que pourra.
Ludo (guitare) : Non pas pour moi, mais une grosse remise en question de l'avenir du groupe, complètement ! Le ras le bol signifie plus l’arrêt total d'une activité or cela n'a pas été envisagé. De plus cela fait partie intégrante de la vie d'un groupe, et c'est en fait aussi grâce à ce genre d'épreuve qu'on arrive à proposer un album comme "The Hate Complete".

De plus en plus de groupes à l’instar de Carnal Lust, évoquent dans leurs textes la décadence humaine, voire une possible apocalypse, générée par l’homme et non par les forces de la nature, que pensez-vous de cette thèse du jugement dernier ? Par le passé, ce genre d’inspirations restait tout de même un folklore branché hard rock, mais de nos jours j’ai surtout l’impression que les paroles sont beaucoup plus revendicatives, nihilistes mais surtout annonciatrices d’un état d’urgence ?
L. Chuck D. : Comment pourrait-il en être autrement ? Le metal a toujours su forger ses textes et concepts de par son environnement. Trust en est le parfait exemple, ce qui est choquant c'est que trente années plus tard leurs compositions sont toujours d'actualité. De nos jours il suffit de regarder autour de soi pour trouver une inspiration sans limite. On tue pour rien, on pille, on viole sans que personne ne réagisse. Les gouvernements nous parlent de mesures coercitives, pendant que des peuples se meurent, en réduisant ses dispositions à de simples interdictions pour ses dirigeants d'acheter des produits de luxe. On se massacre en France pour des histoires de religion, de regard, de cigarette, alors que nous pensions que tout ceci avait disparu de notre paysage depuis l'inquisition. Pour ma part mon ami Lionel a été assassiné dans les rues de Provins pour avoir refusé de prendre 5 jeunes en stop. Comment rester muet devant une telle ignominie, devant ce non respect de la vie humaine qui s'instaure sur le globe ? Alors oui je suis pour le rétablissement de la peine de mort et je l'assume, car lorsque je vois que les meurtriers de Lionel de par leur minorité ne risquent que 8 ans d'emprisonnement je me dis que nous sommes devant une parodie de justice. La perpétuité n'existe même pas dans notre pays, nous devenons aussi prudes que les Américains en cachant une pauvre cigarette sur une affiche publicitaire mais tout en acceptant de voir des milliers de morts pendant le repas dominical. Personne n'a besoin d'être Nostradamus pour comprendre ce qu'il est en train de se passer. Nous avons déjà connu cela pour la dernière fois il y a une soixantaine d'années, et pourtant rien ne change. Les erreurs du passé ne servent à personne, nous recommençons exactement les mêmes bévues sous des prétextes toujours différents. Le mal s'insinue dans nos sociétés alors que nous sommes toujours prêts à trouver des circonstances atténuantes à tous ces pauvres délinquants. Le social et la prévention n'ont rien donné, attendons nous d'être anéantis pour réagir ?

En 2007, vous avez qualifié votre style de mariage entre la vague death Suédoise et la vague Américaine, est ce toujours le cas où chaque album possède, selon vous, son propre style ?
L. Chuck D. : Nous revendiquons le fait d’être l’enfant bâtard des vagues Suédoise et Américaine. Il ne s’agit pas là d’une quérulence temporelle, mais d’un état de fait profond et stylistique. Il en est de même sur cet album car il s’agit de notre signature, celle que nous nous sommes appropriée au plus profond de nos âmes sombres.



Vous dites que l’on a du mal à vous cataloguer, ce qui est vrai ; est ce selon vous une réelle force afin de mieux vous démarquer ou au contraire le risque que certains fans potentiels ne fassent pas l’effort de vous découvrir dans la mesure où vous ne rentrez dans aucune case connues censées les rassurer ?
L. Chuck D. : Je me souviendrai toujours d’une interview des Bérurier Noir réalisée lors de leur premier passage au Zénith. Les étiquetages sont bons pour les marques de fromage ou pour tout autre produit de la consommation courante, mais ici nous parlons d’art. Est-ce que Gojira peut être mis dans une case précise ? Il me semble que non ! Il s’agit donc bien là d’une force, nous sommes ce que nous sommes et ne tentons de ne ressembler à personne. Nous n’avons pas la prétention d’avoir créé quoique ce soit, mais nous restons imperturbables aux modes et autres variations mercantiles." Ludo : Depuis la sortie du premier EP de CARNAL, on nous a toujours flanqué de cette fameuse phrase : "Les compositions sont bonnes et envoies bien, mais ça manque d'originalité !". Aujourd'hui c'est terminé et c'est une réelle force et une vraie satisfaction personnelle ! Je tiens à dire aussi que ce groupe lors de sa création ne bénéficiait d'aucun support médiatique, logistique ou autre, nous sommes arrivés dans le milieu du death Français comme un cheveu sur la soupe ce qui à l'époque, a du en énerver plus d'un ! Aujourd'hui  avec cet album, la formation est à un tournant majeur de sa notoriété.

A chaque album, vos sujets d’inspirations semblent se compléter au point de revêtir l’aspect du œuvre qui se construit au fil du temps ; Carnal Lust compose-t-il son propre corpus johannique ?
L. Chuck D. : Je ne suis pas un Saint loin de là. Cette comparaison me fait réellement plaisir mais je ne pense pas être le rédacteur d’un nouveau testament. Pour être tout à fait franc avec toi j’ai toujours été contre toute forme de religion car, pour moi, elle représente l’annihilation de toute pensée individuelle. Mais ma tolérance me pousse à accepter d’écouter les idées des autres sans renier les miennes. Il est vrai que notre dernière œuvre est écrite tel un missel composé de chapitres et de versets, mais ce clin d’œil à la religion s’arrête dans les méandres de mes émotions.
Ludo : Nous avons toujours écrit sur des sujets qui touchent la société actuelle donc qui te dirige dans tes choix, tes opinions et cet album n'échappe pas à la règle.

Peux tu nous parler de votre nouvel effort "The Hate Complete" ? J’ai cru comprendre que sa forme est proche de la littérature en terme de narration ; l’histoire d’un homme qui vit un véritable chemin de croix qui prendra la forme d’une sorte d’Enfer de Dante, mais sur Terre.
L. Chuck D. : The Hate Complete a été élaboré non pas comme un livre mais comme un film. J'ai tout d'abord proposé à mes camarades un pitch de départ afin de voir si l'idée de composer sur une telle thématique pouvait les intéresser. Par la suite j'en ai fait un scénario que nous avons validé tous ensemble, et ce n'est qu'après avoir déterminé ce que chacun des écrits suscitait comme émotion que nous avons composé la musique. Le projet d'un court-métrage n'est pas abandonné et nous en faisons appel à tous les étudiants en audiovisuel pour mettre cet album en image. Mais nous proposons toutefois un produit artistique qui n'a jamais été vu. Notre album se compose de deux chapitres racontant effectivement l'histoire d'un père pris de démence vengeresse après l'assassinat d'un de ses fils et sans vouloir trop t'en dévoiler la première partie se passe bien sur Terre, mais la suite est plus spirituelle. Deux librettos sont présents dans le packaging où les textes se mélangent à une bande dessinée illustrée par Guillaume Tiret dont le travail est tout simplement fantastique. Alors comme tout album tu peux tout à fait ne profiter que de la musique, maintenant ce disque est interactif et si tu veux en comprendre tous les aspects tu dois prendre le temps d'écouter, de lire et de regarder en même temps.
Ludo : Comme le dit Chuck, il a été élaboré comme un film, ce qui impliquait que tout les acteurs de l'album se devaient de respecter la trame. C'est aussi pour cela que nous avons demandé à Mick de Destinity de venir poser ses voix et à Mike de Yorblind de nous pondre des soli aussi pesants qu'émotionnels. Même Guillaume et Andrew ont dû s'imprégner de tout cela, le premier pour nous faire ses planches et l'autre pour nous donner ce son si riche, massif et plein de finesse.



Je suis toujours intrigué par la manière dont composent les artistes (musique, cinéma, littérature…). Pourrais-tu nous expliquer qui intervient et à quel moment, si le groupe procède à un brainstorming post création, si chacun de vous à son lieu de prédilection pour composer ; en un mot la pré-prod.
L. Chuck D. : Même si je t'en ai déjà parlé plus haut je vais tenter d'être un peu plus précis. Nous avons organisé des séances de lecture chez Ludo une fois les textes terminés. Étaient présents Jérôme, Ludo et moi-même puisque nous étions réduits à un trio à cette époque. Chacun d'entre nous notait l'émotion principale qu'éveillait chez lui cette narration, et lorsque nous étions tous d'accord sur l'émoi à faire ressortir nous prenions les instruments. Jérôme en tant que batteur pouvait même nous siffler une mélodie que nous mettions immédiatement sur bande. C'est Ludo qui a proposé la majorité des riffs, mais j'ai également pris la six cordes pour proposer ma vision de la chose. Toute la pré-prod s'est donc faite dans une toute petite pièce où trois énergumènes composaient leur musique. Dès la finalisation de la maquette instrumentale je jetais ma voix sur les pistes pour voir si le tout tenait la route et respectait l'ambiance et la chronologie du concept. Après l'arrivée de nos deux nouvelles recrues nous avons voulu les faire participer activement à l'écriture de cette œuvre unique. C'est donc avec eux et dans le local de répétition que nous avons composé le deuxième chapitre avec la même technique que précédemment mais en quintette.

Une tournée est envisageable pour la promotion de "The Hate Complete" ? Avez-vous déjà des dates à avancer… éventuellement d’autres groupes avec qui vous allez tourner…
L. Chuck D. : Après trois années de trou noir scénique et discographique plus aucun promoteur ne nous fait confiance. Nous traversons de ce côté là une période très difficile, je profite de chacune de mes interviews pour lancer des appels. Nous avons déjà fait nos preuves depuis de longues années, notre album reçoit les meilleures critiques de notre carrière et pourtant nous nous heurtons à un mur d'incompréhension. Tous attendent de voir les retombées de l'album avant d'éventuellement nous programmer. Pourtant les groupes de qualité sont légions chez Great Dane Records et des plateaux composés de leurs signatures seraient un magnifique challenge artistique. Recueil Morbide, Scars On Murmansk, Withdrawn, Dylath-Leen, 7th Nemesis devraient se voir offrir des conditions de jeu descentes tant ces formations font preuve de talent. Pour notre part notre fantasme est de faire la première partie d'Amon Amarth. Qui sait ?
Ludo : Ce qui est sûr, c'est que nous allons tout faire pour promouvoir cet album aux travers de concerts et festivals ! Il le mérite largement !



Que pensez de la scène metal actuelle, entre ces jeunes groupes qui font du copier-coller sans réelle personnalité et certaines légendes qui reviennent et fond comprend que la qualité est peut-être derrière nous ? Quels nouveaux groupes ont selon vous, un potentiel pour durer et se faire connaître sur la scène internationale ?
L. Chuck D. : Avec la technologie actuelle il est fort simple de cacher ton manque de technique par des logiciels de rectification et d'amélioration. Les jeunes formations acceptent tout ; payer pour leur enregistrement, pour leur promo, pour jouer et elles ne se rendent pas compte qu'elles continuent à tuer le marché. Qui plus est nous retombons dans les travers du milieu des années 90, tout se ressemble. Plus de personnalité, de spontanéité tout est préformaté et sans âme. Et si je ne devais ne citer que deux formations qui à mon sens méritent un statut beaucoup plus important que celui qui est le leur aujourd’hui je parlerais de Destinity et Withdrawn. Et non je ne suis pas d'accord avec toi la qualité n'est pas dernière nous, mais comme dans la dernière génération l'épuration naturelle a commencé. Le grunge est mort de sa médiocrité et seuls les plus talentueux sont restés, le metal à mèches rebelles subira le même sort. Et les groupes de death, de thrash et de black que l'on dit moribonds seront toujours là dans une décennie. Voici 14 années que nous vivons pour et à travers notre passion, n'est ce pas là la meilleure contradiction ?

Comment envisagez vous l’avenir de Carnal ? Des envies particulières… des projets annexes… et avec quel groupe fantasmez vous de partager une affiche ?
L. Chuck D. : Notre avenir n'est désormais plus entre nos mains. Nous avons donné le meilleur de nous même dans "The Hate Complete", désormais c'est à vous tous de savoir si vous voulez donner une suite à cet album. Continuez à télécharger et nous sommes morts ! Mais nous partirons fiers d'avoir accompli ce que nous avons fait, rien ni personne ne pourra jamais l'effacer. Nos vies ont été entièrement consacrées à notre art et oui nous avons encore des fantasmes, mais seuls le public et les promoteurs peuvent leur donner vie.
Ludo : Peut-être une suite est-elle déjà prévue, qui sait....


Le site officiel : www.carnallust.net