Interview faite par Braindead au Bataclan à Paris.

Est ce utile de présenter Daniel Erlandsson, excellent batteur, respecté pour son jeu de baguettes tout en finesse et sa faculté d’insuffler une autre dimension à la double pédale. Lors du dernier passage d’Arch Enemy dans la capitale, l’occasion était trop belle d’évoquer avec lui, l’évolution de l’industrie musicale, les projets et l’avenir du groupe. Un entretient intègre et sans langue de bois, avec l’un des musiciens les plus érudits et sensés que j’ai pu rencontrer.

Après dix-sept années sur la scène metal internationale, comment expliques-tu un tel succès, sans n’avoir jamais perdu votre intégrité comme beaucoup, en acceptant des idées commerciales ? Et comment analyses-tu votre évolution en précisant ce que vous souhaiteriez changer si vous les pouviez ?

Daniel Erlandsson (batterie) : Je pense que nous avons toujours gardé la même ligne directrice en essayant seulement de faire de chansons meilleures à chaque fois. Nous passons beaucoup de temps à penser à la façon dont on veut présenter la musique, l’image du groupe avec pour but de rester sur la route aussi longtemps que possible, faire autant de shows que possible et interagir avec les fans. Et d’un autre côté nous essayons de faire quelque chose d’original. Beaucoup de groupes font des choses similaires mais je pense que l’on a un concept unique avec les musiciens et Angela. Chacun individuellement est bon dans le groupe, je pense ; c’est peut-être ce qui explique une partie de notre succès. C’est très dur à dire car nous avons plus tendance à nous focaliser sur la musique qui est notre objectif numéro 1.

Nous pouvons dire qu’il existe deux périodes distinctes dans l’évolution d’Arch Enemy ; avant et après l’arrivée d’Angela ; comment avez-vous ressenti ce changement radical ?
Eh bien, Angela a rejoint le groupe en 2001. Le groupe avec l’arrivée d’Angela était différent car on s’est focalisé plus sur notre professionnalisation, même si l’on a fait des albums et des courtes tournées mais on ne le faisait pas vraiment sérieusement en essayant de percer sur la scène internationale. A l’époque Johan (Liiva) était le chanteur du groupe ; un chouette gars d’ailleurs, mais lorsqu’on a commencé la tournée il s’est rendu compte qu’il n’était pas fait pour ça. Plus on avançait dans la tournée et plus il s’est aperçu qu’il ne voulait pas vraiment être sur scène. Il adorait chanter et écrire des chansons mais pas faire de tournées. Il nous a donc quittés et Angela nous a rejoints ; elle était l’opposé total de Johan. Angela adore être sur scène et elle s’y éclate vraiment. Tout le groupe a dû se faire à ce changement.

Avez-vous changé votre façon de jouer à ce moment là, ou est-ce Angela qui s’est adaptée à votre style ?
Quand on écrit des chansons Angela ne s’occupe pas de la musique. Elle gère les paroles, écoute les bandes et sur certains morceaux nous demande de changer des choses. Elle donne son opinion sur la musique ; sur ce point, elle fait partie intégrante du groupe depuis une douzaine d’années et le groupe continue à fonctionner ainsi. Je pense que chacun a quelque chose à apporter et on sait quel genre de musique ou matériel va fonctionner ; nous n’avons pas peur d’y inclure aussi toutes sortes d’influences étranges puisqu’au final quand Angela commence à chanter, les compositions gardent la patte "Arch Enemy" ; c’est pour cela que nous pouvons user d’influences aussi diverses.

Selon toi quel est l’album le plus réussi et quel en a été les effets dans votre évolution de carrière ?
C’est un peu comme lorsque vous parlez de vos enfants, vous aimez chacun d’entre eux mais pour différentes raisons. Personnellement je dirais "Doomsday Machine". Je pense que la plupart des membres diraient : "Wages Of Sin" car il y a eu un nouveau départ pour le groupe mais je pense que "Doomsday Machine" a été une étape importante pour nous car il y a eu une telle période de travail intense pour créer les chansons, enregistrer en studio, faire l’album, et ensuite le présenter en tournée aux USA et dans des festivals sachant que l’album est sorti en même temps. Toutes ces raisons font que, pour moi, il reste le meilleur album d’ARCH ENEMY.

Comment choisissez-vous les thèmes que vous abordez ? Quelles sont vos sources de création ? Dépendent-elles de la période à laquelle vous composez, peut-être une atmosphère, un environnement spécial ?
La musique arrive d’abord. On commence par composer et ensuite Angela et Mickael, surtout, écrivent les paroles. Ils essayent de capter une atmosphère qui pourrait fonctionner. Mais, pour ce qui est de l’inspiration, nous essayons juste de composer la musique que l’on aime. C’est aussi simple que ça. On n’écrit pas pour d’autres raisons. Si le résultat nous plaît ça fonctionnera. Si quelqu’un a une nouvelle idée tout le monde doit adhérer sinon ça ne fonctionnera pas.



Votre artwork est encore très riche et travaillé sur votre dernier album, travaillez-vous toujours avec le même artiste ? Si ce n’est pas le cas, comment choisissez-vous vos collaborations ?
Nous travaillons avec Nicolas Sanding de Dutch Sexuality ; c’est aussi un artiste qui nous a aidé sur beaucoup d’enregistrements. Nous avons aussi collaboré avec Anggun de Steam Machine qui a été un artiste différent pour nous. Il faisait de grandes sculptures et les photographiait pour nous. On a passé beaucoup de temps à penser au travail artistique. On pense que c’est important d’avoir quelque chose de cool avec beaucoup de détails et de la profondeur. Pour nous c’est important de représenter l’album.

L’importance d’utiliser de nouvelles technologies peut-être ?
Oui. C’est important d’avoir un travail artistique pour faire passer les messages et l’atmosphère de la musique. Pour le dernier album "Khaos Legions" nous cherchions quelqu’un pour travailler sur cet album et nous avons trouvé un gars aux USA qui a fait ce nouvel album. Il a dessiné la pochette et nous avons de suite pensé que ça pourrait fonctionner. C’est comme la peinture française pendant la révolution.

L’industrie musicale connait une crise majeure ; quels importants changements avez-vous constatés en vingt ans et comment le groupe s’est-il adapté ?
C’est dur de prédire l’avenir mais je pense que ça ne va pas aller en s’arrangeant pour les labels. Ils doivent prendre conscience de la situation et s’adapter en essayant de trouver de nouvelles idées, comment gagner plus d’argent. Mais en même temps je ne pense pas trop à ça car il y a une dizaine d’années les groupes gagnaient plus d’argent sur la vente d’album (environ 20%) et maintenant la tendance s’est inversée.

Aujourd’hui vous devez faire plus de live avant d’enregistrer un album. Je trouve que c’est très étrange…
C’est la situation actuelle et il y a plus de tournées de groupes. Il y a définitivement plus de compétition et de lives. Il est très important que les groupes gardent un côté unique ou leur côté original. J’espère juste qu’on pourra continuer à faire des concerts et donner de la musique à nos fans.

Justement vous vous managez seuls ; n’est ce pas trop compliqué ? Est-ce pour des raisons économiques ou philosophiques ?
Oui nous souhaitons pratiquer ainsi car nous avons fait partie d’une grande société de management pendant presque 10 ans et nous avons fait beaucoup de tournées en support de grands groupes avant de devenir tête d’affiche. Il y a environ quatre ans, nous avons commencé à nous manager seuls. Pour Angela c’était une réelle une étape, une réelle performance. C’est son point fort de diriger. C’est une personne très organisée ; elle a beaucoup d’énergie. Quand on dépend d’une compagnie de management tout est décidé mais nous en sommes informés qu’à la dernière minute. Maintenant nous planifions tout ce que nous souhaitons faire et c’est beaucoup mieux pour nous.

Avez-vous déjà été épuisés, blasés au point d’arrêter le groupe ?
Non pas vraiment en fait. Lorsqu’on chante trop souvent les mêmes chansons en concert, nous pensons aussitôt à faire un nouvel album.

Et c’est important de penser au futur et non pas au passé...
Oui tout à fait. Le groupe n’est pas moins populaire qu’avant et ça c’est une bonne motivation aussi.

J’écoute du metal depuis 30 ans et je pense qu’Arch Enemy est aussi célèbre qu’au début, en tout cas en France. Il y a une grande communauté de fans en France.
C’est très intéressant de commencer nos tournées comme on le fait car on remarque facilement dans les différents pays, quels sont les goûts des fans locaux. Comme en France par exemple on dirait que quelques groupes sont plus populaires ici que dans d’autres pays.

C’est très difficile parfois. Par exemple le concert de Paradise Lost ici-même, il y a trois mois, la salle était presque vide. Peut-être à cause de YouTube ou de la crise économique et du manque de moyens financiers.
Ça peut être dû à beaucoup de choses : une mauvaise promotion pour les shows peut-être. Beaucoup de facteurs à prendre en compte.

La publicité est de plus en plus chère et ceux qui utilisent les réseaux sociaux plongent dans une facilité pas très professionnelle…
Exactement, leur fonctionnement nous échappe parfois, la surabondance fait perdre l’information.

Comment juges-tu la scène metal actuelle, notamment avec ces nouveaux groupes qui produisent des sons similaires et les fans qui souhaitent à tout prix coller une étiquette à chaque groupe.
Ils y a pas mal de groupes intéressants mais qui cherchent encore leur identité ; j’apprécie des groupes comme Emmure qui envoie beaucoup d’énergie dans leurs compositions. En 1998, il y avait des choses différentes. La production n’était pas aussi bonne que maintenant. Même si un groupe n’est pas le meilleur en musique il peut sembler être le meilleur au niveau du son pour un album. Tout est dans le show live au final. Si un groupe peut reproduire plusieurs fois l’album live c’est bien.

Arch Enemy existe depuis dix-sept ans… Que ferez-vous dans dix-sept ans ?
Dans 17 ans ? Oh ! Nous aurons plus de 50 ans ! Je pense que je jouerai encore. Mais si ARCH ENEMY existe toujours, je n’en suis pas si sûr, je continuerai à jouer de la batterie.

Bonne nouvelle pour les fans !
Oui. (rires)


Le site officiel : www.archenemy.net