Interview faite par OroBlues à Paris.

Ce soir c’est Paris, heureux ?
Colin H Van Eeckhout (chant) : Ben c’est cool. On était déjà là avec Mathieu le guitariste pour notre projet solo et c’était chouette, c’était dans les Voûtes et on n’avait encore jamais été là et c’était très bien, il y avait une très belle atmosphère.

Le concert est sold out au Divan du Monde, vous avez un public très fidèle. Ça vous fait quoi de remplir les salles parisiennes à chaque fois que vous venez ?
Ça nous étonne et on est content. C’est étrange des fois, il y a des villes où ça va mieux que d’autres. Mais Paris, et la France en fait, on a toujours bien été reçu. Il y a une dizaine d’années c’était aussi la même chose. Il y avait moins de monde parce que c’était encore de plus petites salles, mais on a beaucoup d’amis à Paris et c’est toujours très cool d’être ici. Mais on aime avoir des petites salles complètent plutôt qu’une grande demi remplie ; pour notre musique c’est mieux d’être plus près de chacun. Il faut qu’il y ait de la sueur, ça doit faire mal.

Il y a une dualité assez forte dans vos morceaux. C'est à la fois très spirituelle dans la démarche, le passage obligé des ténèbres avant d'accéder à la lumière ; et en même temps, il y a cet appel frontal à des émotions, du ressenti à l'état brut à chacune de vos prestations scéniques. Qu'est-ce qui vous a poussé à élaborer cette dualité ? 
C’était surtout nos propres ressentis au début des années 2001-2002. On a vraiment réalisé qu’on avait quelque chose de spécial. C’est une période de ma vie où mon père était en train de mourir et je me rappelle qu’on jouait dans une petite salle dans le coin où on vivait dans ce temps-là, et j’avais déjà la main cassée. On avait commencé à jouer, on se perdait dans nos trucs et on se sentait bien comme ça. On savait qu’on avait notre route à prendre. La musique en tant que médium est trop utilisée comme un divertissement mais en réalité ça a beaucoup de pouvoir. Et c’est notre challenge, surpasser les choses communes. Mais c’est étrange. On est roulé dedans et on continue. Mais c’est difficile à expliquer. Ce n’est pas une piste concrète qu’on a choisie. C’était ce qu’on faisait sur l’instant et ce qu’on aimait faire. C’est comme une troisième dimension. Quelque chose que tu ne peux pas contrôler, tu ne peux pas travailler pour l’avoir. C’est là ou ce n’est pas là dans un morceau et ça c’est notre but, de chercher et de chercher ; que tout se ressent et qu’on apprenne d’où on vient et où on veut être.



On dit que la création est un processus cathartique, mais vous concernant j'ai plutôt l'impression qu'il s'agit de la scène. C'est aussi pour ça que vous tournez autant ? C'est nécessaire pour vous ?
Oui, c’est un peu l’idée de savoir pourquoi on aime être sur la terre quoi. C’est ce que nous on doit faire et on le fait. Et parce qu’on en a besoin. Mais pour qui et pourquoi, ça on n’a pas de réponse. Mais c’est vrai que dès qu’on se met sur un podium, ça se concentre là et on se donne tous à 300%. Il n’y a aucune autre place où tu peux faire ça. C’est très étrange mais c’est très exclusif. On a de la chance de s’être trouvé tous les cinq et d’en être déjà là après une quinzaine d’années.

On parle souvent de vos influences musicales, mais Amenra c'est un tout : d'autres influences littéraires, philosophiques, picturales, sociétales ?
C’est étrange parce que tout le monde attend qu’on lise tout le temps et qu’on s’éduque à fond mais personne de nous n’a un background en art, en religion, en philosophie ou je ne sais pas quoi. Ce qui nous influence davantage, c’est la vie et tous les trucs qui sont très près de nous. Mais il faut pouvoir les analyser correctement et les traduire dans la musique. Alors des influences, il n’y en pas vraiment. Pas de philosophes sur lesquels on se base par exemple. Les philosophes ont essayé d’analyser ce qu’est Dieu et la vie en général, et nous on essaye de faire la même chose avec notre musique. On tente d’analyser tout ce qu’un être humain peut ressentir sur les questions universelles, et éventuellement de trouver des réponses. Probablement comme les philosophes ou comme n’importe quel artiste qui utilise un médium. Mais des références littéraires ou des poètes qui nous ont influencés, je ne pourrai pas donner des noms. Des fois, ce sont des trucs que des potes à nous disent et moi je commence à réfléchir. C’est plutôt l’école de la vie, on n’essaye pas de jouer les académiciens. On ne va pas dans cette direction. Et même si les influences musicales sont présentes, on finira par jouer quelque chose de différent et de plus en plus on diffère de nos influences. Et de toute façon nous sommes trop occupés, on n’a pas le temps de lire plus de livres… et même si j’essaye, j’oublie les références en général.

Vos albums appellent la scène, une expérience plus qu'un concert sous la forme d'un combat pour le public. Quel(s) rapport(s) vous entretenez avec ce dernier ?
C’est une question difficile pace que chaque groupe a besoin d’un public pour continuer à vivre. Mais on essaye de ne pas se noyer dans ce que les gens peuvent penser, ce qui est difficile. C’est l’erreur que beaucoup de groupes ont pu faire selon moi, où chacun s’éloigne de son noyau dur pour devenir un groupe encore plus important. Beaucoup de mes groupes favoris ont changé par exemple. Je ne le reconnais plus après trois albums, ils prennent une autre direction sans trop savoir pourquoi. Nous, nous restons attachés à nos valeurs et même si on reste très proche de notre public, je ne vais pas forcément vers les gens, je ne crée pas spécialement de contacts.

En 2009 vous avez sorti "Afterlife", un EP entièrement acoustique. Qu’est-ce qui vous a poussé à entamer cette démarche ?
A l’époque on avait sorti quatre albums, et autour de nous beaucoup de personnes écoutaient des morceaux acoustiques et ça nous a interpellé parce qu’on aimait bien ça en fait. On s’est alors dit qu’on pouvait le faire aussi. C’était dans notre tête depuis longtemps mais c’est surtout venu au moment notre batteur et notre guitariste ont eu chacun un deuxième enfant. On a pris conscience qu’on avait l’opportunité d’écrire quelque chose d’éternelle. Même si nous ne sommes plus ici, ce sont vraiment des mots qui restent. C’est une sorte de testament, une lettre que tu peux écrire à tes enfants ou aux gens que tu laisses derrière toi quand tu pars. C’est comme ça que l’Afterlife est né.



Je vous ai vus plusieurs fois en concert. A Paris, Londres, en Belgique. La dernière fois, c'était au Dunkfestival, à Zottegem. Amenra c'était le concert des concerts, la tête d'affiche qui clôturait le festival. Malheureusement il n'y a pas eu de rappel, de merchandising ni de retour sur votre prestation au festival sur les internets. Vous étiez dans quel état d'esprit ce soir-là ?
C’était cool de jouer là-bas. Ca faisait longtemps qu’on voyait l’affiche et qu’on se disait qu’il fallait qu’on joue là-bas parce que c’est là où doit être quoi. Mais des fois on a des semaines trop chargées pour se charger du marketing. Et puis le merchandising… On n’avait pas envie de monter notre supermarché. Mais faut pas le prendre personnellement. Des fois on a quelqu’un avec nous qui le fait… Et des fois on est fatigué. Et c’est une chose qui arrive de plus en plus souvent. Mais on a vraiment aimé le Dunkfestival, l’équipe était chouette. Et c’est le seul festival auquel j’aime aller sans jouer, parce que c’est plus petit et qu’il y beaucoup de trucs intéressants. Après je ne saurais pas dire quel groupe j’ai préféré parce que je ne me souviens plus du nom. C’est étrange mais j’en fous en fait. Ce qui compte c’est ce que ça m’apporte sur le moment et ce que je prends avec moi pour le reste du voyage.

Vous avez créé Amenra en 1999, à l'âge de 14 ans. Comment vous sentez vous par rapport à votre projet en 2015 ? Le processus de création a-t-il changé ? Comment a-t-il évolué ?
Oui, le processus a changé parce qu’on a les enfants maintenant et on a moins le temps, la famille, le boulot… C’est plus difficile c’est vrai, on peut moins prendre notre temps. Il faut qu’on crée ensemble rapidement. On a plus de pression quoi. C‘est pour ça que ça prend plus de temps pour nous d’écrire quelque chose parce que c’est tellement forcé… Il s’est déjà passé trois ans depuis la sortie de notre dernier album mais c’est seulement maintenant qu’on va commencer le prochain. On va essayer d’en écrire deux en fait. Un acoustique et un comme d’habitude. C’est pour ça qu’on doit arrêter de jouer en live parce qu’on doit se concentrer sur l’écriture. Ce n’est pas possible de faire les deux en même temps pour nous. On doit se concentrer à la maison sinon on oublie. Et puis tous les projets solo de chacun de nous nous influencent, appellent à de nouvelles expériences. On jette tout ça dans un pot, et ça devient de plus en plus gros. C’est donc plus difficile à gérer aussi mais c’est beaucoup plus intéressant pour nous d’avoir tout ça comme bagages. Et puis on devient de plus en plus difficile car on a plus d’expérience. On penserait que ça serait plus facile au fil du temps mais c’est faux ; c’est beaucoup plus compliqué. Il faut pouvoir se renouveler, mais il ne faut pas non plus qu’on se perde, qu’on aille trop loin de ce qu’on est. Normalement ça doit être instinctif pour écrire un truc. Mais après des années, tu as un certain niveau, tu as des règles qui n’existent pas mais que tu as construites dans ta tête et qui t’empêchent d’avancer. Il faut pouvoir appuyer sur le bouton off et laisser parler son instinct. De toute façon on se laisse beaucoup de temps pour écrire le prochain album, ce n’est pas pour tout de suite…

Je remercie sincèrement Colin pour ce moment très précieux partagé quelques heures avant le concert d’Amenra au Divan du Monde à Paris.


Le site officiel : www.ritualofra.com