Après une pause forcée entre 2007 et 2012, Witchcraft, groupe suédois ayant anticipé de très loin le come-back du rock vintage, a repris sa carrière chez le géant Nuclear Blast avec un très bon "Legend" en 2012, dans la continuité de ce qu'il faisait, suivi aujourd'hui par "Nucleus", album qui se démarque sensiblement de ses prédécesseurs tant artistiquement que visuellement (magnifique pochette haute en couleurs et originale pour la formation hard / psyché / doom d'Orebro).

De profonds changements de personnel expliquent l'attente de ce nouvel opus mais pas que. Magnus Pelander, secondé par deux nouvelles recrues arrivées en 2015 (Tobias Anger à la quatre cordes et Rage Wilderberg aux fûts) livre un album très dense et consistant de 69 minutes (73 avec le morceau bonus de l'édition limtée), aux contours épiques évidents. Pour preuve, le trio nous propose dans cette nouvelle collection deux compositions étirées avoisinant les quinze minutes ! Magnus a donc pris beaucoup de temps pour élaborer et peaufiner son cinquième album et à l'écoute de ces longs titres fleuves et des autres morceaux plus courts mais non moins travaillés, on comprend parfaitement que le Witchcraft 2016 veut aller de l'avant quitte à bousculer un peu les choses.

Plus foncièrement doom torturé que ses prédécesseurs, "Nucleus" montre un Magnus écorché-vif et sanglant. Il chante de façon plus intense et ses hurlements révèlent une détresse interne profonde, comme le reflètent également les titres des morceaux. Ce chant couplé à des rythmes plombés, des guitares acérées, une exécution "à l'arrache" sentant bon les premières prises (de nombreux pains sont au programme) et une production brute (saturation de la basse et du chant, dissonances des guitares...) et mais néanmoins soignée font de "Nucleus" un album agressif et sale où la mélancolie de Magnus transpire. D'inspiration logiquement sabbathienne, "Nucleus" est aussi garni de guitares et soli psychés et de claviers mystiques faisant écho au grand Pink Floyd, le tout servi de façon très directe et crasseuse.

Le leader combat donc ses démons et ses humeurs noires sur cet album à la sensibilité prononcée. Une sensibilité que l'on retrouve dans les sonorités claires des guitares, les instants de chant poétique et ses claviers discrets aux sonorités diverses, conférant au tout un côté intime et feutré. A la fois rugueux et poli, sombre et lumineux, la dichotomie, voulue, peut rendre perplexe et donner le sentiment de dispersion voire de trouble mentaux profonds de la part des auteurs. Mais cette dichotomie d'intention est très intéressante dans le rendu final et donne tout son intérêt à "Nucleus".

Seuls le très bon hard "The Obssessed" et le single "The Outcast", aux claviers orientalisants rappelant Orphaned Land, sont remuants et enjoués, possédant des riffs groovy et enlevés. Mais ne vous y trompez pas, le ton n'est pas franchement à la rigolade et les paroles demeures amères comme celles de "The Outcast" ("Save a nation from a bad economy, is like sailing away on an endless sea"). Witchcraft livre donc son album le plus personnel et dramatique, mettant au jour un côté inédit de sa personnalité artistique et musicale tout en conservant le son et le style Witchcraft. On pourrait comparer cet album à ce que "Pornography" fut pour Robert Smith et The Cure. Les fans pourraient tout autant apprécier que rejeter mais "Nucleus" est une expérience à tenter pour les fans de rock 70's.