Le groupe
Biographie :

Gorguts est un groupe de death metal technique québécois fondé en 1989 par Luc Lemay (chant / guitare). Le groupe s'est orienté vers l'avant-garde metal avec l'album "Obscura" en 1998. En 2002, le suicide du batteur Steve MacDonald a amené la suspension du groupe, jusqu'à l'annonce de son arrêt en 2004, ainsi que la formation par les membres Luc Lemay et Steeve Hurdle (guitare) du groupe Negativa (qui a sorti un EP en 2006). En 2008, Luc Lemay a annoncé une réactivation de Gorguts en parallèle. Steeve Hurdle décède en Mai 2012. Gorguts signe chez Season Of Mist début 2013 pour une sortie du nouvel album, "Colored Sands", en Septembre.

Discographie :

1991 : "Considered Dead"
1993 : "The Erosion Of Sanity"
1998 : "Obscura"
2001 : "From Wisdom To Hate"
2013 : "Colored Sands"
2016 : "Pleiades' Dust" (EP)


Les chroniques


"Pleiades' Dust"
Note : 18/20

Trois ans après l'incroyable retour studio des Suébécois avec l'ébouriffant et exigeant "Colored Sands", voilà que Gorguts rempile avec un nouveau disque forcément très attendu. Gorguts a toujours été un groupe évoluant dans sa propre sphère, cherchant à explorer les limites éloignées de sa musique et à modeler une personnalité propre quitte à désarçonner.

Avant-gardiste, expérimental, évoluant en dehors des sentiers battus, refusant les compromis, le formatage et la conformité, Gorguts est une référence pour tout groupe ou musicien aspirant à la plénitude artistique, à l'originalité musicale et à l'indépendance de réalisation et d'expression (cf. le concept politico-mystico-oriental de "Colored Sands" et celui de "Pleiades' Dust", tout aussi recherché et passionnant, reflétant le personnage du leader Luc Lemay, à propos de la "Maison de la Sagesse").

Présenté comme un simple EP mais n'étant aucunement à considérer comme une sortie mineure du groupe, "Pleiades' Dust" est la suite directe de "Colored Sands" et peut tout à fait légitimement se concevoir comme un album longue durée. "Pleiades' Dust" est un achèvement dans la carrière de Gorguts et une étape logique de son développement artistique. C'est ainsi que, du haut de sa montagne sacrée, Gorguts a atteint son Nirvana musical. Luc Lemay continue de tracer sa route sans jeter un coup d'œil à celles qui longent parallèlement la sienne. Gorguts se prend pour Yes sur "Pleiades' Dust" en ne proposant qu'une seule, longue et épique compo. Il décide ne rien faire comme les autres et va jusqu'au bout de son désir d'expérimentation en créant un concept assez novateur, même pour le metal.

Le défi est donc de faire connaître un aspect méconnu de la connaissance, de la culture, et de la sagesse d'une partie de l'Humanité, articulée ici à travers une librairie médiévale arabe, au moyen d'un EP de death technique. Une démarche extrêmement originale faisant appel à des qualités telles que la curiosité, la raison et le respect des autres cultures (les islamistes radicaux feraient bien de se pencher sur l'art et les sciences de leur ancêtres, que cet EP met en lumière, ils se feraient peut-être ainsi, de honte, harakiri). Mais toute cette élucubration intellectuelle, ce concept pseudo-vertueux, blabla, qui donne mal à la tête de certains, c'est bien beau, mais le rendu sonore doit être un gros bordel de tech-death ultra-brutal et aseptisé, où la branlette guitaristique se confond avec le néant musical, me direz-vous ?

Eh bien, non, car derrière cette pièce musical unique de trente-trois minutes, cette masse énorme, ce colossal travail d'écriture et de mise en place, sous cette monstrueuse pièce labyrinthique et chaotique (mais un chaos maîtrisé, attention), se trouve une cohérence et une simplicité d'écoute confondante. Une écoute au calme et attentive au casque permet une compréhension parfaite de l'ensemble. L'auditeur n'est pas étourdi ou noyé dans le magma métallique, dissonant et technique du death metal de la formation, il subit les secousses et les nombreux tours de grand huit sans perdre le fil et sans qu'un sentiment de trop plein, de rebut ou d'écœurement ne survienne. Gorguts a donc parfaitement réussi à créer un pièce d'une demi-heure qui se tienne de bout en bout et qui soit toujours intéressante et captivante.

L'un des plus célèbres album du groupe canadien se nomme "From Wisdom To Hate", on serait tenter de résumer la carrière de Gorguts par la formule "From Hate To Wisdom" tant le groupe semble avoir trouver la sagesse dans sa démarche.


Man Of Shadows
Juin 2016




"Out From There"
Note : 17,6/20

Le Canada possède son lot de groupes cultes, entre le thrash de Annihilator et le brutal death technique de Cryptopsy, ainsi que le vieil underground de Obscene Crisis. Au beau milieu de tout ça, il y a Gorguts, groupe devenu culte à son tour au fur et à mesure des années. Culte parce que, comme plein d'autres groupes du début des années 90, ils ont sorti des albums très inspirés par la scène de l'époque avec "Considered Dead" et "The Erosion Of Sanity", pas noyés dans celle-ci mais presque, avec un son Morrisound, Scott Burns aux manettes et une signature chez Roadrunner, les outils nécessaires et obligatoires de la grande époque quoi... Bien sûr que même si très typiques de cette période, ces deux albums étaient très bons, ce n'est que des années plus tard que le monde s'est un peu plus intéressé à ceux-là, quand ils ont commencé à devenir rare dans la possession, d'où la réédition de Roadrunner en 2004 et celle de Metal Mind en 2006. Et ce n'est qu'à partir de "Obscura" confirmé par "From Wisdom To Hate" que l'orientation musicale du groupe a pris une tournure plus avant-gardiste et progressive, tout en restant très technique. C'est ce Gorguts auquel il faut s'attendre aujourd'hui avec "Colored Sands", mais avec certainement un goût encore plus prononcé pour les atmosphères glauques où leur espèce de death metal est de moins en moins death pour laisser la place à une alchimie de riffs ultra expérimentaux et psychologiquement torturés. Le groupe a subi quelques changements depuis la mort de Steve Macdonald, et il ne reste aujourd'hui guère que Luc Lemay (guitare et chant) comme membre originel du groupe pour en être sa mémoire vivante. Et il aura donc fallu attendre douze ans pour que Gorguts redevienne une entité. Une entité composée maintenant de Colin Martson (Behold The Arctopus, Dysrhythmia) à la basse, John Longstreth (Origin) à la batterie et Kevin Hufnagel (Dysrhythmia).

L'évolution du groupe dans cet univers très cinématographique par moments montre que Gorguts est devenu un combo qui compose de la musique, qui réécrit la musique, en apportant une touche plus que personnelle au death metal le faisant avancer dans le bons sens. Les neuf chansons ou plutôt quasiment les neuf "bandes-son" qui composent cet album qui dure tout de même un peu plus d'une heure, ne peuvent être écoutées une ou deux fois. Non, en effet pour bien comprendre la portée étrange et pourtant envoûtante de ce "Colored Sands", l'auditeur doit prendre le temps d'écouter l'album un bon nombre de fois avant d'en considérer véritablement le fond et la forme. C'est obligatoire parce que dès le premier titre "Le Toit Du Monde", si l'écoute n'est pas attentive, on a du mal à en saisir l'approche névrosée et psychotique des riffs, mais surtout des atmosphères de prime abord hasardeuses si l'on n'y fait pas gaffe, mais en fait très subtiles,ordonnées et structurées intelligemment. Sinon tout le déroulement de l'album s'en trouve bousculé et l'incompréhension demeure.

Les titres sont structurés intelligemment disait-on ? Oui bien sûr comme le veut tout style de musique extrême avant-gardiste, comme l'est étrangement Way To End, ou encore certains morceaux des derniers Enslaved. Eh bien ici Gorguts a poussé vraiment loin l'expérimentation en mêlant encore plus la torture mentale avec des parties toujours death metal puissant, mais dans une configuration très classée dans des tiroirs qui ne s'ouvrent qu'au moment voulu pour faire ressortir une brutalité technique et violente, surtout dans les growls puis le son des guitares et de la batterie, et pour repartir tout aussi vite qu'elle n'est venue. Les morceaux sont plus ou moins composés dans cet état d'esprit, un état d'esprit où Gorguts nous emmène dans des contrées brumeuses, où l'angoisse demeure la seule émotion qui puisse encore prouver que nous sommes encore vivants pendant l'écoute. On part dans une direction calmement, discrètement... grâce à des passages de guitares et de basse aussi dont le son de la production met bien en avant son côté sombre, puis sans savoir pourquoi on court dans l'autre sens, sans jamais s'arrêter, dans un charivari de technique et de violence guidé par des riffs obsessionnels et une batterie réglée comme un métronome. L'album se déroule en fait comme une histoire , et l'auditeur est soufflé par la puissance des parties death metal qui sont au moins aussi phénoménales que celles des deux derniers Immolation, sans que l'on entre pour autant dans une structure classique de musique death.

Un titre comme celui qui nomme l'album "Colored Sands" évolue petit à petit dans une approche hypnotique pour finalement se dérouler progressivement dans un univers qui déboussole complètement, les guitares deviennent folles même dans le solo, la batterie est sauvage sur ce morceau, et le chant hurle de toute ses forces sa haine comme si le vocaliste était dévoré de l'intérieur. Les titres sont maîtrisés,mais absolument pas structurés de manière conventionnelle, or le contrôle est gardé malgré tout pour que l'auditeur se fasse autopsier musicalement tout en gardant l'esprit éveillé. Il n'y a pas vraiment ce que l'on pourrait considérer comme des rythmiques, mais plutôt des "tranches" d'émotions, des morceaux d'impulsion, c'est exactement comme ça que l'album est découpé. Hormis pour un titre en particulier : "The Battle Of Chamdo" où le côté mystique qui règne sur l'album depuis le début se développe totalement d'une manière cinématographique comme on l'avait soulevé . En effet comme le disait un ami proche, on a l'impression que ce morceau qui n'est pas du tout metal d'ailleurs, composé d'ambiances de violon et de sonorités envoûtantes rappelle tout à fait les musiques d'Howard Shore pour les films de Cronenberg ou encore arbore les couleurs du classique Psychose avec Anthony Hopkins. Le titre le plus court de l'album d'ailleurs pile poil au milieu faisant office de coupure , de séparation entre les deux parties de l'album. Un mur fissuré qui permet malgré tout de laisser passer l'auditeur à travers la brèche pour contempler la seconde partie et voir que le labyrinthe représenté par cette magnifique pochette est interminable. Une seconde partie qui commence violemment avec "Enemies Of Compassion", morceau plus metal que ceux placés sur le début de l'album, avec toujours ces thèmes très axés sur une folie intérieure où les guitares deviennent complètement incontrôlables, partant dans une course effrénée dans les aigus pour que le morceau puisse terminer ensuite dans un registre plus cadencé. La continuité de l'album est encore plus dérangeante et bouleversante, mais surtout plus furieuse. Les titres tels que "Ember's Voice" ou "Absconders" rentrent dans une thématique délirante encore plus oppressante, matérialisée par une violence inouïe qui attaque l'auditeur et l'oblige à se retrancher dans le moindre petit recoin pour ne pas subir les assauts furieux de leur "psychotic death metal".

Gorguts n'est pas revenu pour juste revenir, le groupe a su amener des idées fraîches, même si très difficiles d'accès car il faut vraiment prendre le temps d'écouter et de comprendre comment cette technique située hors des sentiers battus (comme le montre le dernier morceau "Reduce To Silence" avec sa rage schizophrène) peut arriver à séduire un auditeur pas encore prêt à affronter l'impensable. "Colored Sands" est à la musique ce que L'Antre de la folie est au septième art, et ce nouvel album est incontournable dans la discographie du groupe, certainement le plus original et le plus terrifant...


Arch Gros Barbare
Août 2013


Conclusion
L'interview : Luc lemay

Le site officiel : www.gorguts.com