L'article

L'ENVERS D'UN CONCERT

Article rédigé par Antoine



Dans cet article, j'ai voulu parler de tout ce qui peut se passer dans l'envers du décor d'un concert. Ce qui y est lié mais qu'on ne voit pas forcément, tout ce qui sort de la représentation de l'artiste. Parce qu'il y a un sacré travail de mise en place pour organiser un concert. J'espère donc que l'article vous donnera quelques pistes pour dégrossir et démystifier tout qui peut intervenir dans ce travail de l'ombre. J'ai fait en sorte que tout soit lié mais que la lecture puisse se faire par étapes et ne pas avoir à tout lire d'un coup. Impossible de parler de tout et en détail, il faudrait y consacrer un livre entier ! Je me place donc surtout ici d'un point de vue en particulier, celui de l'organisateur du concert.

Présentation générale

L'organisateur en question ici est celle de l'Abordage à Évreux. Elle organise depuis une trentaine d'année un à deux concerts par semaine et aussi le festival du "Rock Dans Tous Ses États". J'ai pu discuter avec les salariés pour un peu mieux comprendre tout ça. Je pourrais mettre les interviews de but en blanc directement mais la forme ne serait très digeste. Donc je vais souvent mettre des phrases entre guillemets qui viendront de ces discussions. Donc il s'agit bien d'un cas particulier mais les démarches de la plupart des organisateurs doivent être sensiblement les mêmes en plus ou moins poussées, à plus ou moins grande échelle. Il peut y avoir aussi quelques points sur lesquels je parle d'autres structures, mais ce sera précisé.

Alors tout d'abord, dans le cas traité, il s'agit d'une association mais il peut y avoir aussi d'autres formes juridiques, une entreprise, une collectivité etc…

Cette association compte 7 salariés :

• Une comptable
• Un chargé de diffusion
• Un chargé de communication
• Une chargée de production
• Un chargé d'action culturelle
• Un co-directeur administratif
• Un co-directeur artistique

Travail au quotidien Tous ont une fonction essentielle et travaillent en synergie. Voilà à quoi ressemble leur travail au quotidien :

La comptable travaille avec la chargée de production et le co-directeur administratif. Ils s'occupent donc de tout ce qui est paperasse et administration "donc ça veut dire demander les budgets, les subventions, les partenariats, tout ce qui est obligation je dirais légale, il y en a beaucoup dans le cadre du festival, pour la salle ça va passer par tout ce qui est dossier d'assurances, ça va passer par la SACEM, les déclarations des spectacles SACEM, CLV, le suivi des budgets et de la billetterie". Côté administratif il y a aussi le contrat d'artiste "c'est la manière dont on achète le spectacle. Ça s'appelle un contrat de cession, l'agent ou l'artiste cède une représentation du spectacle. C'est comme ça qu'on contractualise donc l'agent qu'on appelle le tourneur en général, qui est l'employeur de l'artiste nous cède une représentation dans le sens où on a le droit de vendre des billets pour ce spectacle dont il salarie les gars". Pour ce côté administration il faut se dire que ça mobilise 3 personnes sur les 7 ! Comme quoi la réputation de la France pour son côté administratif est prouvé dans ce cas.

Le chargé de diffusion lui s'occupe de publier et donc diffuser sur tous les supports de communication (réseaux sociaux, site web, affichage urbain) les infos à propos des différents évènements. Informations qui sont rédigées par le chargé de communication qui réalise tous ces flyers, programmes et autres documents et aussi articles qui peuvent paraître dans la presse si jamais un journaliste ne se déplace pas mais c'est aussi l'organisation d'interviews, gérer et synchroniser les affichages. Il peut y avoir aussi des graphistes qui viennent travailler pour l'association ponctuellement et qui sont donc externes à l'association.

Le chargé d'action culturelle lui prend donc en charge tout ce qui concerne l'action culturelle "c'est tout ce qu'on peut mener avec les artistes en dehors de la salle, donc la programmation des concerts jeunes publics, les animations en lycée, collège, maison de quartier, prison. Donc pour l'instant c'est une seule personne, il a en charge de rendre visible tous les artistes qu'on peut avoir en résidence dite d'action culturelle c'est-à-dire des résidences ici pour créer un album ou en prison pour défendre un certain axe ou dans les maisons de quartier etc."

Il nous reste donc le co-directeur artistique, donc en plus de la fonction de co-directeur, il est programmateur. C'est lui qui a pour mission de trouver les artistes qui seront par la suite programmés sur la salle comme sur le festival. Il est donc "en contact avec les agents des groupes quotidiennement" notamment par mail. Les propositions d'artistes peuvent venir des recherches qu'il effectue mais aussi de propositions qu'on lui fait "avec une programmation d'un à deux concerts par semaine on va chercher des groupes, on nous en propose aussi beaucoup et il faut savoir repérer les choses intéressantes dans le nombre incroyable qu'on nous propose", il doit donc faire le tri dans tout ça "en fonction de nos goûts, de l'actualité et de l'attente du public". Régulièrement des artistes n'arrivent pas à être programmés, "Ça peut être à cause du planning, du budget, de la disponibilité de la salle. Ça arrive assez souvent, on ne fait pas tout ce qu'on veut, bien loin de ça". Et il faut aussi faire en sorte que l'artiste ne revienne pas trop souvent (si jamais il a une actu assez riche), la moyenne entre deux passages étant de 3 ans.

Au-dessus d'eux il y a aussi un conseil d'administration, avec le président, le trésorier etc. Ils sont là si par exemple un groupe nécessite un investissement réalisable mais qui comporte malgré tout un risque budgétaire, ils étudient le cas et le valident ou non.

Travail avant, pendant et après le concert

La partie précédente concernait le travail au quotidien, là on arrive au jour J, les préparatifs et le travail qui vient juste après le concert.

Avant le concert il faut déjà prévoir le personnel intermittent, les partenaires et les bénévoles et les déclarer. Monter, constituer les équipes d'intermittents c'est le travail du régisseur général en fonction des fiches techniques remises par le tourneur des artistes "c'est avant tout un rôle de coordination et de préparation". C'est donc des techniciens son, lumière, plateau. Il fait donc office d'interlocuteur entre l'Abordage et le tourneur, "je suis la pour faire l'interface entre notre équipe et la leur et veiller a ce que tout se passe bien de leur arrivé a leur départ". Il négocie aussi les fiches techniques en fonction de la salle et le co-directeur artistique loue le matériel manquant si besoin "la salle est plutôt bien équipée mais admettons le gars veut de la vidéo, il faut louer un vidéo projecteur qu'on n'a pas ou par exemple hier soir, on avait un groupe de funk, pour voyager plus léger ils voyagent sans leurs amplis". Il négocie aussi les exigences en catering et cuisine avec le cuisinier. Voilà pour ses missions qui sont déjà prenantes. Le cuisinier justement qui est chargé de l'accueil du groupe, de l'aménagement des loges, de préparer les repas (sur ce point tout dépend de l'organisateur, ça peut être fait sur place (comme à l'Abordage, au passage le repas était excellent !), commandé chez un traiteur, après on passe à la pizzeria ou au kebab, ou encore à la somme d'argent laissée aux artistes qui doivent se débrouiller avec (apparemment courant aux États-Unis) sachant que dans la liste que je viens de faire, on descend en prix mais forcément en qualité mais que globalement la France reste quand même un des meilleurs pays ! Il faut aussi engager des agents de sécurité et aussi trouver un hôtelier pour héberger les artistes et l'équipe. Et il faut coordonner tout ce monde là après, faire un topo sur la soirée. Voilà pour le personnel. Mais il faut aussi gérer les stocks de boisson pour le bar (grosse part de recettes), gérer la billetterie, préparer les caisses, les scanners à billets. Juste avant le concert c'est donc la mise en place des plateaux (le matériel des artistes), faire les balances, préparer le bar et le stand de merch qui lui est tenu par quelqu'un de l'équipe de l'artiste.

Pendant le concert, il faut donc accueillir le public, que ce soit pour contrôler ou vendre les tickets, s'occuper du vestiaire, du bar. Au moindre problème il faut pouvoir réagir rapidement, et des problèmes il peut y en avoir à n'importe quel moment et n'importe où ! C'est aussi évidemment tout le travail sur le son et les lumières, le changement de plateau quand un set est terminé.

Après il faut tout démonter, tout nettoyer, s'assurer que tout le monde repart bien et que rien n'a été oublié (pour les artistes comme l'organisateur). Et les jours suivants il faut faire les comptes, mettre l'argent en banque, faire un bilan du concert sur tous les aspects.

A savoir aussi, c'est que les structures prennent des bénévoles, pas forcément quelqu'un qui fait ses études dans le milieu "en proposant, en ouvrant facilement les portes au bénévolat à quelqu'un qui se présente et veut voir comment ça se passe on essaie de démystifier". Il suffit d'être motivé, de ne pas être manchot (tout s'apprend) et c'est tout. Je sais qu'avec une structure que je connais bien, et dans laquelle j'ai été bénévole, même si à la base je suis là pour photographier le concert j'aide à démonter le matériel après le concert, ça permet de donner un coup de main aux techniciens (qui ont une grosse charge de travail) qui ne refusent pas un peu d'aide et ça permet de passer de bons moments avec l'équipe de la structure organisatrice comme de l'artiste mais on ne va pas non plus devenir le meilleur ami du manager, du technicien ou de l'artiste. C'est juste un cadre où les gens sont généralement des passionnés et que c'est agréable de travailler dans ces conditions, et dans la bonne humeur.

Activités annexes

En dehors des concerts il peut y avoir aussi d'autres activités mises en place par la structure. C'est le cas par exemple pour les studios de répétitions et/ou d'enregistrement, je pense que ce point est assez clair pour ne pas avoir à être expliqué. Mais il y a aussi des résidences d'artistes et là ça peut être plus intéressant de détailler un peu. Les artistes peuvent venir dans le cadre de deux types de résidences "certains sont en résidences artistiques, donc la création d'un album, les répétitions, le filage avant un gros concert et d'autres sont là en résidence d'action culturelle comme je le disais ils créent leur album et en échange ils interviennent dans des lycées, des écoles ou la prison".

Ce sont des moments appréciés dans les lieux d'accueil "c'est un temps qui est super sympa, parce que contrairement au concert où c'est un peu rapide, le gars il arrive, on balance, on mange, ça joue, on démonte et bye bye, là l'artiste est là une semaine et pour la vie dans le lieu c'est sympa, ça rayonne un peu". L'action culturelle, je l'ai déjà présentée dans la première partie, avec le travail du chargé d'action culturelle.

Des expositions de peintures, de photos ou des formations sur la prise de son ou pour préparer les artistes et les techniciens peuvent aussi être mises en places notamment l'Echonova à Vannes qui a l'air de bien développer cet aspect (d'après la programmation, je ne m'y suis pas encore rendu) ou le 106 à Rouen dans lequel je me suis rendu à plusieurs reprises.

Un principe intéressant (du moins je trouve) toujours à l'Echonova, c'est ce qu'ils appellent l'Echonavette, c'est une navette avant et après le concert. Elle passe une seule fois et sur certains arrêts définis à la base. C'est programmé sur certaines soirées et non pas sur toutes mais étant donné que ça a un coût et que c'est gratuit pour les utilisateurs ça se comprend. C'est une bonne initiative pour les plus jeunes ou pour ceux qui n'auraient pas ou plus le permis.

Les conditions de travail

Je n'entends pas par-là vous écrire un contrat de travail, juste apporter quelques précisions.

Par rapport au volume horaire, il y a des hauts comme des bas "c'est très élastique, il y a des périodes où c'est très prenant, notamment sur le festival où pendant 2-3 mois on ne fait que ça. Et pendant la saison il y a des périodes où on fait deux ou trois concerts à la suite et où on disparaît du coup de la vie sociale pendant 3 jours. Mais à côté de ça on a vachement de contreparties, on a des horaires qui sont très flexibles dans les deux sens, là ça fait deux trois jours qu'on n'arrête pas de tourner". Mais c'est en contre-partie de certains avantages "un métier qui prend beaucoup de temps et en même temps, je ne sais pas si on doit appeler ça de la chance mais c'est quand même ultra riche de bosser dans ce terreau là où il y a de l'échange, moi j'ai quasiment 40 ans et il faut rester affuté. Et il y a vraiment la chance qu'on rencontre, des gens comme toi par exemple, les artistes qu'on a en bas ou les associations qui ont envie de faire. C'est la contrepartie que je trouve à un métier très prenant en tous cas, il n'y aurait pas ça… C'est mon moteur".

L'ambiance, c'est quelque chose que tous apprécient énormément car comme je le disais un peu plus haut, c'est un secteur où les gens sont passionnés et tous aiment ce côté humain qui en découle "j'adore  le côté relation humaine et le satisfaction de tous ressenti après le concert (quand tout a bien roulé)", "ce qui me plaît le plus : l'ambiance qui règne au sein de l'équipe. Le plaisir et la curiosité de recevoir et découvrir des artistes d'un peu partout" ou encore à propos du métier de programmateur "c'est assez gratifiant, on se donne beaucoup de mal pour organiser des soirées, des festivals. Et on a le résultat vraiment physique le soir avec le public en live. Après je pense que c'est pas un métier que je ferais très longtemps et qu'il faut faire très longtemps car ça biaise un peu son rapport avec la musique, les concerts. Parce qu'on est très critique, on a un regard assez extérieur sur ce qui se passe et ça demande d'être vachement à l'écoute, de s'intéresser à tout ce qui se passe et ça prend beaucoup de temps. Et je pense qu'on ne peut pas faire ça pendant des dizaine d'années". J'imagine qu'il y a bien comme dans toutes relations des tensions de temps en temps mais je crois que ça reste anecdotique.

Mais malgré tout ça reste quand même une histoire d'argent "on sait que ce milieu est très basé sur le capitalisme et le milieu marchand on aimerait garder dans la façon de faire quelque chose d'humain. On fait, j'espère qu'on fait du culturel et qu'on ne baigne pas dans un show-business un peu abject. C'est un lieu de passage, de vie, d'échange, de brassage. Et ça on y est attaché dans nos valeurs, je ne sais pas si ça transparaît dans ce qu'on fait mais on veut vraiment garder ça. Il y aurait peut-être des raccourcis mais on s'interdit pour l'instant de les emprunter. Du coup on est toujours un peu en difficulté financière, il nous manque toujours un peu d'argent, on n'est pas payés comme on devrait". Mais après c'est aux personnes d'accepter les compromis qu'il peut y avoir à travailler dans un milieu qui est quand même très sympa. Ces compromis peuvent donc être sur le volume horaire, le salaire, etc…


Donc voilà, j'espère que ça vous aura intéressé et que ça cassera certaines idées reçues peut-être. Après j'aurais pu parler de tout le travail qu'il peut y avoir par exemple au niveau des médias, que ce soit la presse écrite, sur Internet (comme French Metal), la radio etc, j'aurais pu parler de bien d'autres choses mais autant garder un certain axe. Peut-être que ça fera partie d'un autre article.

Et pour ceux qui veulent se proposer comme bénévoles, tentez le coup, même sans expérience ça peut se faire, suivant les tâches qu'on peut vous confier. Vous pourrez voir par vous-même ce que ça peut donner, et ça peut aider aussi certains à vaincre leur timidité qui sait, on peut en tirer plein d'avantages, encore faut-il se lancer !

Pour finir, quelques phrases qui résument assez bien l'article, ou du moins ce que je voulais y faire transparaître "il y a l'artiste, produire un concert de rock c'est cool…Alors oui mais c'est dans un cadre légal, nous c'est notre boulot depuis des années et on essaie de faire ça dans les règles de l'art. Des fois on voit des gens enflammés, je pense qu'il faut l'être –je l'ai été moi aussi pendant un moment- mais il faut trouver un juste milieu entre la passion et le fait que c'est de la production, il y en a qui produisent du savon à barbe, nous on produit des concerts. Après il y a ce petit supplément là évidemment mais ça reste une législation, on travaille de nuit… Forcément les jeunes ont les yeux qui brillent, pensent que c'est une grande famille ou que sais-je encore pour bonne partie un business. Parce qu'il s'agit de vendre des places, des bières…".

Et en bonus une petite anecdote : "Y a une dizaine d'année lors d'un concert à l'Abordage on accueillait les Washington Dead Cats, et, problème à cause d'une inondation dans le quartier, coupure de courant. Concert annulé ! Le groupe replie son matos, on fait évacuer la salle, ne reste une dizaine d'irréductibles légèrement bourrés au bord de la scène que le service d'ordre tente de faire sortir, et là le courant revient, ils s'en rendent compte… ça a été un brin compliqué de leur expliquer que malgré cela le concert n'aura quand même pas lieu sans se prendre une Doc Martens dans le nez ou un pied de micro dans la gueule !!!"

Je tiens à remercier toute l'équipe de l'Abordage, avec qui j'ai passé une très bonne journée et découvert que certains mots courants peuvent avoir une signification bien différente ce que l'on peut croire… J'espère avoir bien retranscrit le travail qui est celui des personnes qui travaillent dans l'ombre de ce qu'on aime tant… les concerts !